Le jihadiste malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi à La Haye, le 27 septembre 2016 / © ANP/AFP
La Cour pénale internationale (CPI) doit rendre jeudi 17 août l’ordonnance de réparation pour la destruction des mausolées de Tombouctou par un jihadiste malien, un jugement dont l’exécution pourrait bien être une gageure pour le Fonds au profit des Victimes.
Le Touareg d’une quarantaine d’années Ahmad al Faqi al Mahdi a été condamné en septembre à neuf ans de prison pour avoir « dirigé intentionnellement des attaques » en 2012 contre la porte de la mosquée Sidi Yahia et contre neuf des mausolées de Tombouctou, au nord du Mali.
Après avoir plaidé coupable à l’ouverture de son procès, cet homme aux petites lunettes avait demandé pardon à son peuple pour avoir saccagé ces monuments classés au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, assurant être « plein de remords et de regrets ».
Né vers 1975, il était un membre d’Ansar Dine, l’un des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda qui ont contrôlé le nord du Mali pendant environ dix mois en 2012, avant d’être en grande partie chassés par une intervention internationale déclenchée en janvier 2013 par la France.
En tant que chef de la Hisbah, la brigade islamique des moeurs, il avait ordonné et participé aux attaques contre les mausolées, détruits à coups de pioche, de houe et de burin.
Son procès était le premier organisé à la CPI pour destruction de biens culturels. Et sa condamnation constitue « un avertissement (…) qu’il s’agit d’un crime sérieux », avait souligné la procureure Fatou Bensouda.
Bien que le jugement avait envoyé un message fort, l’ordonnance de réparation « allègerait l’impact permanent de ces crimes », a indiqué à l’AFP Alina Balta, chercheuse en victimologie à l’Université de Tilburg (sud).
L’ordonnance de la CPI a également « le potentiel d’apporter de l’espoir aux victimes de crimes similaires commis dans d’autres parties du monde », comme les destructions de Palmyre, en Syrie, et d’autres sites historiques en Irak par le groupe Etat Islamique, a-t-elle ajouté.
– Des défis de sécurité – Selon le Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, les juges peuvent maintenant décider que les victimes ont droit à des dédommagements, y compris « la restitution, la compensation et la réhabilitation ».
La Cour basée à La Haye peut également rendre une ordonnance directement contre une personne condamnée, ordonnant des réparations similaires.
Toutefois, on ignore encore sur quel type de dédommagements les juges s’accorderont à l’audience jeudi.
Mais pour le Fonds au profit des Victimes, organe indépendant financé par des contributions volontaires publiques et privées, appliquer l’ordonnance ne sera pas une mince affaire et pourrait prendre un temps considérable.
Dans un document remis récemment à la CPI, le Fonds a demandé aux juges de disposer « d’au moins six mois » pour produire un plan d’exécution provisoire.
La situation sécuritaire au nord du Mali « pose de sérieux défis non seulement à la mise en oeuvre de toute ordonnance, mais aussi au temps dont le Fonds pourrait avoir besoin pour consulter toutes les parties prenantes pertinentes », a-t-il fait savoir aux juges.
D’autant plus que nombreuses sont les victimes de Tombouctou à avoir été déplacées et à ne plus y vivre actuellement.
Par ailleurs, le Fonds au profit des Victimes a averti que les espoirs de dédommagement des victimes devraient être « entretenus avec prudence » afin d’éviter que certaines attentes ne s’élèvent « à un niveau irréaliste, ce qui peut mener à la confusion, la colère et la rancoeur quand elles ne sont pas satisfaites ».
« Si l’on fait d’un dédommagement financier un élément central de ces réparations, cela risque de créer – face à la pauvreté – une incitation pour les gens dans d’autres villes à attaquer des sites de patrimoine culturel », a encore souligné le Fonds, appelant les juges à la vigilance quant à une éventuelle publicité faite dans le cas d’une compensation financière.
– Restauration – Cette ordonnance constituera la seconde ordonnance de réparations dans l’histoire de la Cour établie en 2002 pour poursuivre des auteurs présumés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
En mars, la CPI avait attribué 250 dollars « symboliques » à chacune des 297 victimes d’un ancien chef de milice congolais, Germain Katanga, condamné en 2014 à douze années de détention. Le total des préjudices physiques, matériels et psychologiques s’élevait à 3,75 millions d’euros, selon la Cour.
La CPI avait estimé que M. Katanga était personnellement responsable du paiement d’un million de dollars, tout en reconnaissant son indigence.
Fondée à partir du Ve siècle par des tribus touareg, tirant sa prospérité du commerce caravanier, la ville de Tombouctou est devenue un grand centre intellectuel de l’islam et a connu son apogée au XVe siècle.