La clause d’assistance mutuelle déclenchée par la France : bilan un mois après
François Hollande a, lors de la conférence de presse finale, dressé un petit bilan de la mise en application de l’article 42.7.
Il y a un mois, Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, arrivait au Conseil des ministres de l’Union européenne avec un message très simple, se résumant à quelques mots : je demande l’invocation de la clause de l’article 42.7. Une clause, parfois dénommée clause de solidarité, plus souvent clause de d’assistance ou de défense mutuelle, dont même les spécialistes européens avaient un peu oublié l’existence.
B2 a enquêté sur la mise en oeuvre de cette clause. Tous les détails ont été publiés il y a quelques jours dans notre édition professionnelle, article plusieurs fois remis à jour, en dernier lieu aujourd’hui. Au bout d’un mois, on peut tracer un premier bilan et donner quelques explications supplémentaires.
Un bilan pour l’instant mitigé. Tout d’abord, on perçoit une tendance de fond. Le soutien politique est entier parmi les 28. Et la prise de conscience réelle. Mais, au-delà des mots, l’engagement effectif est très diversifié. Ensuite, il est souvent difficile de dégager ce qui correspond réellement à un engagement nouveau — répondant à la clause d’assistance mutuelle —, et ce qui correspond juste à du recyclage d’une décision déjà prise ou la « réorientation » d’une mission déjà engagée ou déjà décidée. Il y a souvent un mélange des deux, dans une confusion savamment entretenue par nombre de gouvernements, pour des raisons à la fois internes et externes. Enfin, il s’agit bien souvent d’un premier jet. Plusieurs pays ont indiqué qu’ils entendaient approfondir le sujet et faire d’autres propositions l’année prochaine. Pour certains pays, redéployer des financements des hommes et des financements (déjà planifiés et entérinés dans les mandats votés par leurs assemblées) n’est pas toujours facile
Trois alliés rapidement engagés. L’engagement effectif a été fait de façon majeure par trois alliés : Allemagne, Belgique, Royaume-Uni. Chacun pour différentes (bonnes) raisons internes.
A Londres, la demande française a constitué une excellente fenêtre d’opportunité pour David Cameron. Le Premier ministre qui avait essuyé un échec notable à la Chambre des communes en août 2013 revient ainsi dans la ‘course’ et retrouve, surtout, un rôle dans la coalition internationale dirigée par les Américains. Le Royaume-Uni était, de fait, marginalisé ; la place d’allié « fidèle » étant conquise par la France. Au plan interne, il lui a permis également d’enfoncer un coin dans le camp travailliste.
A Berlin, l’engagement allemand, proposé par la ministre de la Défense Ursula von der Leyen, a été arbitré au plus haut niveau par Angela Merkel, et rapide. Ce qui est à remarquer particulièrement et marque la détermination allemande de se trouver aux côtés de la France (tout comme de trouver une place d’allié sûr dans la coalition internationale, motivation semblable aux Britanniques sur ce point). Certes il reste en soutien logistique mais ce soutien est très utile et bien ciblé (surveillance aérienne, satellitaire, ravitailleurs en vols, maritime…) sans compter ce qui n’est pas dit (l’engagement des renseignements allemands, du BND, particulièrement actifs dans la zone). Son coût (134 millions d’euros pour un an) témoigne de la valeur de l’engagement. Une décision prise en quelques jours. Ce qui prouve qu’on peut allier réactivité et consultation démocratique quand il y a une volonté politique et un contexte favorable.
L’engagement belge doit aussi être noté. Certes il s’agit en partie d’une réorientation de la mission du Leopold Ier plus qu’un engagement nouveau mais il s’accompagne d’une mise en réserve dès 2016 de nouveaux moyens notables pour un pays de ‘petite’ taille (environ 300 hommes pour une opération au Sahel). Pour un pays de taille plus moyenne, c’est un engagement notable,
Des contributions modestes mais utiles. Une bonne douzaine d’autres pays ont procédé assez rapidement à des prises de décision, chacun selon ses contraintes internes et possibilités. Les uns ont proposé des heures de vol d’avions de transport stratégique type C17 ou gros porteurs Antonov An124 (Suède, Luxembourg et peut-être Finlande), d’autres (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et peut-être rép. Tchèque) ont annoncé un petit renfort de personnel supplémentaire dans les deux missions déployées au Mali — la mission européenne EUTM Mali pour la formation de l’armée malienne et les casques bleus de la MINUSMA.
Quelques pays (peu) se sont engagés pour la mission en Centrafrique, EUMAM RCA, qui ne suscite pas beaucoup d’enthousiasme (Roumanie, Suède). La Croatie a offert des munitions.
Ces engagements paraissent souvent assez limités. Mais additionnés les uns aux autres, ils forment un tout qui n’est pas négligeable (*). Mis bout à bout, on compte environ 33 personnels de plus pour EUTM Mali et 4 personnels pour EUMAM RCA, ainsi que 120 heures de vols stratégiques.
Ceux qui n’ont rien proposé. Une dizaine de pays n’ont, pour l’instant, apporté aucune réponse officielle à la demande française. Parmi eux, on retrouve quatre puissances ‘moyennes’ disposant d’un corps d’armées important (Espagne, Italie, Pays-Bas, Pologne) qui pourraient donc mettre des moyens.
Certains ont de ‘bonnes’ raisons. L’Espagne est en période électorale. L’Italie veut garder un focus sur la Méditerranée, la Somalie et la Libye. Les Pays-Bas, déjà engagés au Mali (dans la MINUSMA) et au Moyen-Orient, examinent de près l’option de s’engager plus avant en étendant leur mission de F-16 au-dessus de l’Irak vers la Syrie (pour La Haye, c’est davantage une question de temps). Pour d’autres comme la Pologne, c’est plus confus, tout comme la Hongrie, qui n’a pas répondu précisément.
L’Irlande a manifesté sa bonne volonté mais n’a pas concrétisé, tout comme l’Autriche. D’autres pays (Grèce, Portugal) ont de sérieuses difficultés économiques et de vraies difficultés à s’engager ou n’ont pas vraiment de moyens (Chypre, Malte).
Commentaire : On retrouve là le gros problème de la défense européenne. D’une part, il n’y a pas de planification globale des engagements extérieurs. Chacun fait comme il veut, selon ses convictions, les opportunités qui se présentent, sans réellement de stratégie. En gros c’est un gigantesque foutoir … et souvent pas mal de gaspillage financier tout comme opérationnel. D’autre part, les pays ayant à la fois des capacités militaires réelles (celles disponibles et non celles figurant sur les livrets d’Etat-major), des possibilités financières et volontaires politiquement, se comptent sur les doigts d’une main (et demi). Les autres sont, un peu comme des passagers clandestins. Ils peuvent fournir quelques personnels (pas plus de 5 en général), pour des opérations supplémentaires, mais déjà engagés dans d’autres opérations de l’OTAN ou de l’ONU (voire pas du tout), ne peuvent pas dégager de moyens supplémentaires. Ils bénéficient de la sécurité globale, sans vraiment s’engager…
Bruxelles2
Quels pays ont répondu à l’appel de la France ?François Hollande a, tout à l’heure, lors de la conférence de presse finale dressé à son tour un petit bilan de la mise en application de l’article 42.7. Cela s’est fait en deux temps : d’abord une intervention liminaire, préparée d’avance, plutôt optimiste. Puis un recalage, un peu plus précis quand nous l’avons interrogé en soulignant que nous n’avions pas tout à fait, les mêmes noms que lui dans notre besace… L’Europe a été au rendez-vous. « Un mois après que le ministre de la Défense ait saisi ses homologues, les pays européens ont répondu. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, la Suède, le Danemark, les Pays Bas, l’Italie. Il y a une très grande solidarité, très grande mobilisation pour nous permettre d’avoir sur le plan militaire la réponse et la riposte qui est nécessaire . Nous unissons nos forces contre Daech. Et nous veillons aussi à ce que les trafics que Daech peut organiser, trafic de pétrole, trafic d’œuvres d’art puissent être annihilés. La France peut faire le constat que la solidarité a été au rendez-vous. » Merci de faire enquête. L’occasion était trop belle pour ne pas demander quelques précisions au président, car il nous semblait un brin lyrique. Dans notre enquête, en effet, nous n’avons pas noté un tel enthousiasme néerlandais ou italien par exemple. François Hollande, dans une taquine réponse, a d’abord « remercier « de faire enquête et me fournir (ainsi) des informations qui peuvent être utiles »… Puis il a apporté quelques précisions, utiles, car elles qualifient l’engagement de chaque pays, et rétropédalent un peu dans son exposé de départ. Décision importante au Royaume-Uni. Le président français a notamment voulu expliquer pourquoi la réponse du Royaume-Uni et de l’Allemagne en particulier étaient fondamentales, au plan politique comme militaire. Au Royaume-Uni, « c’est important car Cameron avait été empêché d’intervenir quand la France y était prête, par rapport au régime de Bachar qui avait utilisé des armes chimiques. Cette fois-ci, il a pu obtenir le concours de son parlement, de la Chambres des communes pour agir en Syrie contre Daech. » Et décision majeure en Allemagne. Pour l’Allemagne, aussi, « c’est une décision tout à fait majeure prise par la Chancelière et le Bundestag. C’est la première fois que les Allemands vont pouvoir participer à une opération extérieure, pas seulement en fournissant du matériel mais aussi du personnel (1). Donc c’est un moment très fort de solidarité. » La Suède : pas si simple vu la tradition. « D’autres pays, comme la Suède, ont annoncé le 16 décembre des moyens en matière de transport aérien. Là aussi, vous connaissez la tradition de la Suède, ce n’était pas si simple. » D’autres contributions en attente. « En Belgique et au Danemark, des débats sont en cours aussi pour cette contribution. Et je sais que l’Italie, les Pays-Bas ont aussi cette volonté. En Espagne, il y a des élections dimanche. Et ce sera après le scrutin que nous pourrons avoir la confirmation. » Des contributions modestes mais symboliques de la solidarité. « Nous allons continuer avec tous les pays. Quelquefois ce sont des pays qui donnent des contributions modestes mais qui sont symboliques aussi de leur volonté de participer à la lutte contre le terrorisme, contre Daech et de montrer aussi une solidarité à l’égard de la France. »
(1) Le président s’enthousiasme quelque peu. L’Allemagne s’est fortement engagée dans les Balkans, d’abord, dans les années 1990, qui est la première intervention de ce type à l’extérieur, puis en Afghanistan, sous bannière de l’OTAN dans les deux cas. Ce qui est sûr, c’est que c’est la première fois qu’il y a un tel engagement au Moyen-Orient, et surtout aussi rapide…
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