Mali – Unesco : combattre l’extrémisme par l’éducation à la culture de la paix
Dr Oumar Kéïta, ambassadeur du Mali auprès de l’Unesco et le président Ibrahim Boubacar Kéïta en mars 2015 à Koulouba.
Victime de l’extrémisme religieux, le Mali qui renaît de ses cendres entend s’y prémunir par « l’élaboration d’un programme national sur la culture de la paix » avec le soutien de l’Unesco.
L’ambassadeur Oumar Kéïta, délégué permanent du Mali auprès de l’Unesco, a participé les 18 et 19 janvier dernier à Bamako à une importante rencontre sur « l’élaboration d’un programme national sur la culture de la paix au Mali ». Cet atelier de réflexion qui a enregistré la présence d’experts en provenance de la France, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Niger et du Burkina Faso, s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre la Résolution 38C/11 adoptée au cours de la 38e Conférence générale de l’Unesco à Paris, en novembre 2015, et visant à appuyer « l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali ».
Les participants dont des représentants de la société civile malienne, des structures gouvernementales, du système des Nations Unies, du corps diplomatique et des organisations sous-régionales ont définis les axes prioritaires du programme qui devra intégrer les initiatives innovantes s’inspirant des pratiques endogènes de résolution des conflits et de protection des droits humains. Le programme mettra un accent particulier sur la participation des femmes et des jeunes conformément à la vision du président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) de faire du Mali un havre de paix.
Patrimoine culturel. Le Mali renaît de ses cendres grâce au programme de réhabilitation du patrimoine culturel financé par l’Unesco et par la volonté des populations à résister à la folie destructrice des jhadistes qui n’ont épargné ni les biens, ni les personnes.
Inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, Tombouctou « la cité des 333 saints » était restée, d’avril 2012 à janvier 2013, sous le contrôle de groupes islamistes armés. Ces groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, qui considèrent la vénération des saints comme de « l’idolâtrie », avaient entamé en juin 2012 la démolition de plusieurs mausolées de la ville, dont celui de sa principale mosquée. Des manuscrits anciens et d’autres mausolées, témoignant de l’âge d’or de la ville au XVIe siècle, avaient été détruits.
Le Mali sert désormais de référence pour les interventions de l’Unesco en temps de crise. La Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) est la première opération de maintien de la paix à avoir été mandatée par le Conseil de Sécurité à appuyer la sauvegarde du patrimoine culturel. Une réussite grâce à la détermination et à la résistance des populations face à la volonté des intégristes d’effacer leur histoire.
←Irina Bokova et Oumar Kéïta
« Le Mali est fier de servir de modèle au courage que doivent prendre les populations face au péril qui menace leur existence, leur identité », a déclaré le 15 septembre dernier, l’ambassadeur délégué permanent du Mali auprès de l’Unesco, Oumar Kéïta, à l’ occasion de la projection du film-documentaire « sur la piste des manuscrits de Tombouctou » du réalisateur français Jean Crépu. Selon lui, le caractère tolérant de l’islam pratiqué au Mali prouve que « cette religion a rencontré sur nos terres une symbiose unique avec les croyances endogènes ».
« Le Mali est un pays d’une longue tradition scientifique. Les manuscrits traduisent non seulement la vieille tradition de l’écriture mais aussi la densité du travail intellectuel au Mali. Par leur atteinte, ce sont l’innovation, l’enseignement et le développement qui sont attaqués », avait-il rappelé.
« En s’attaquant aux manuscrits, c’est aussi la capacité du Mali à se perfectionner que les extrémistes veulent remettre en question. Au fort de la crise, ce sont des Maliens conscients du potentiel de ces manuscrits et de leur valeur pour l’humanité qui ont pris sur eux le risque de mettre à l’abri cette richesse. Face à la barbarie, ils ont déployé un courage extraordinaire pour exfiltrer les manuscrits vers Bamako assurant ainsi leur sauvegarde pour le Mali et le monde », avait-il insisté.
« Détruire un patrimoine culturel est considéré comme « un crime de guerre » selon la convention de La Haye », disait en juillet dernier la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, lorsqu’elle visitait à Tombouctou des mausolées reconstruits par le savoir-faire des artisans maliens.
Ahmad Al Faqi Al Mahdi est le premier suspect arrêté dans l’enquête ouverte début 2013 sur le Mali et portant sur les exactions commises par les groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. En tant que chef présumé de la « Hesbah », la brigade des mœurs, il a dirigé et participé à des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion et des monuments historiques dans la vieille ville de Tombouctou.
Education. « Personne ne naît extrémiste violent », a déclaré la directrice générale de l’Unesco Irina Bokova le 6 novembre dernier à Paris lors d’une manifestation de haut niveau sur « La prévention de l’extrémisme violent par le biais de l’éducation », organisée en partenariat avec la mission permanente des États-Unis. « Les extrémistes violents sont créés, ils sont alimentés, ils sont encouragés. Les extrémistes violents n’offrent que destruction et haine. Nous devons leur répondre par la culture et le savoir. Les extrémistes violents encouragent la peur et la division. Nous devons leur répondre avec des capacités de réflexion critique, des opportunités d’engagement civique, des compétences pour le dialogue entre les cultures ».
Le secrétaire d’État adjoint des États-Unis, Anthony Blinken, a souligné que le rôle de l’Unesco en tant que gardien d’une humanité commune était plus que jamais nécessaire. « En donnant aux jeunes esprits une perspective mondiale ancrée dans le respect, la justice sociale, la diversité et la réflexion critique, nous pouvons non seulement lutter contre la radicalisation dès qu’elle se produit, mais aussi prévenir son expansion en amont », a-t-il déclaré. « Au 21e siècle, ce qui définit la richesse réelle d’une nation, ce sont ses ressources humaines, et sa capacité à maximiser le potentiel de ces ressources pour être créatifs, innover, penser, argumenter et créer ».
Des points de vue qui rejoignent la vision du Mali. Comme l’a affirmé Me Mountaga Tall, ministre de l’enseignement supérieur et président de la Commission nationale malienne pour l’Unesco. « A présent l’heure est à la consolidation de la paix et de la réconciliation nationale. C’est pourquoi le gouvernement du Mali dans un souci de diligence a mis en place la Commission Dialogue justice et réconciliation. Cette dynamique est soutenue par le Conseil exécutif et la Conférence générale qui ont tour à tour adopté la résolution de « soutien de l’Unesco à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger » en vue de la mise en place d’un programme national d’éducation à la culture de la paix et de la non-violence ».
Ce qui reste fidèle à l’état d’esprit qui a prévalu à la création de l’Unesco en 1945 : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».
M. TRAORE