Elle dit avoir eu un enfant avec Ali Bongo : « Ma fille est la Mazarine du Gabon »
Joyce Gennifer Ondo et sa fille Ammisa Albertine Ondo.
INTERVIEW – Le tribunal d’Angers est saisi d’une demande de reconnaissance en paternité visant le président du Gabon. Ali Bongo risque de devoir se plier à un test ADN à haut risque… juste avant la présidentielle.
L’affaire, classée « hypersensible », est entre les mains du ministère de la Justice. La Chancellerie, saisie par le procureur d’Angers, doit désormais transmettre l’assignation à la présidence du Gabon, à Libreville. Une petite bombe en perspective pour Ali Bongo, l’actuel chef de l’État, candidat à sa réélection en août. Assistée de Me Olivier Pardo, Joyce Ondo, au nom de sa fille Amissa, assigne le président gabonais en reconnaissance de paternité. « Amissa est sa fille, et je me suis tue pendant trop longtemps pour le protéger », confie au JDD Joyce Ondo, qui raconte ici pour la première fois son histoire. « Ma fille est la Mazarine du Gabon, mais à ceci près que son père a toujours refusé de la voir. » Le dossier en reconnaissance de paternité a été déposé auprès du tribunal de grande instance d’Angers où résident la mère et l’adolescente aujourd’hui âgée de 17 ans. De nombreuses pièces et témoignages, consultés par le JDD, appuient et crédibilisent ses dires. À la clé, le tribunal pourrait demander au père présumé de se plier à un test ADN.
Un test à très haut risque pour l’actuel président. Ali Bongo est en effet soupçonné au Gabon d’avoir été adopté par son père, l’ancien président Omar Bongo, et d’être originaire du Biafra. Or l’article 10 de la Constitution gabonaise oblige les candidats à avoir une ascendance gabonaise de quatre générations au moins. S’il ordonne ce test, le tribunal d’Angers aura probablement entre les mains l’avenir politique d’Ali Bongo… « Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout, au besoin en demandant des tests ADN avec d’autres membres de la famille Bongo », promet Me Pardo. En clair, si Amissa Ondo se révèle être bien la fille d’Ali Bongo, tout test ADN comparatif avec d’autres enfants d’Omar Bongo pourrait se révéler déterminant… « Mais je suis certain qu’Ali Bongo aura la dignité de François Mitterrand », pronostique Me Pardo.
Pourquoi parlez-vous aujourd’hui pour la première fois?
Cela dure depuis des années, et depuis des années, je me tais. Ali Bongo sait parfaitement qu’Amissa est sa fille. Son entourage le sait. Son père, Omar Bongo, le savait. Ali m’a promis pendant des années de la reconnaître, puis il m’a proposé de multiples choses, mais la dernière fois que je l’ai vu, en novembre, il est allé trop loin dans les menaces. J’ai décidé d’engager cette action en justice pour protéger ma fille. Et pour dire la vérité. Les gens au Gabon ont le droit de savoir. Moi, je n’ai rien à cacher.
«J’ai rencontré Ali en mai 1994. J’étais en seconde au lycée. Lui, il était député»
A quand remonte votre relation?
J’ai rencontré Ali en mai 1994. J’étais en seconde au lycée. Lui, il était député de Bongoville. Ali a ensuite financé mes études en France où je suis venue passer le bac français. J’étais « la fiancée d’Ali Bongo », et il est même venu demander ma main à mon père. Nous devions nous marier. Et puis brutalement, en mai 1995, lors d’un déjeuner, il m’a annoncé qu’il se mariait avec une Américaine. J’étais enceinte une première fois de lui, et il m’a demandé de faire le nécessaire. Ce que j’ai fait… Je n’ai pas eu trop le choix. Il m’a offert une montre en diamants. Après je suis allée m’installer à Rouen pour continuer mes études.
Quand vous êtes-vous revus?
En septembre 1995, à Paris, à son retour d’une liposuccion aux États-Unis. On se voyait régulièrement lors de ses passages en France, deux fois par mois environ. En septembre 1997, je suis tombée enceinte d’Amissa. À l’époque, il était en instance de divorce. On a choisi ensemble le prénom d’Amissa Albertine, qui était le prénom d’une de ses sœurs décédée. Mais il a brutalement changé d’avis début 1998.
« Il m’a téléphoné en disait que son père était furieux, qu’il fallait de nouveau avorter »
C’est-à-dire?
Il m’a téléphoné en disait que son père était furieux, qu’il fallait de nouveau avorter. Un de ses proches m’a conduit dans la même clinique de Neuilly que la première fois, mais j’étais enceinte de 4 mois et le terme était dépassé. Même en Angleterre, ils ont refusé. Soi-disant il y avait un établissement à Buenos Aires qui pouvait le faire, mais là c’est moi qui ai refusé. J’ai tenu bon. Jusque-là, tous les mois je recevais 10.000 francs français, soit 1.500 €, en espèces. Alors les versements se sont arrêtés net. Amissa est née le 26 mai 1998. Six mois après, je suis rentrée à Libreville. Tout le monde me tournait le dos. Au bout d’un an, M. Park, l’aide de camp coréen d’Ali Bongo, m’a passé un coup de fil et m’a fait porter un billet d’avion pour Paris. J’avais rendez-vous avec Ali Bongo dans sa suite au George-V, mais il n’était pas là. Il avait « dû rentrer précipitamment à Libreville ». M. Park m’a donné 25.000 francs pour que « je fasse des courses » en l’attendant. Je suis rentrée au Gabon aussitôt… Je n’ai pas revu Ali Bongo avant début 2000.
Vous avez reparlé de votre fille?
Bien sûr. Quand il m’a revue, il voulait m’acheter une maison, mais il m’a prévenue qu’il ne « verrait pas Amissa ». J’ai tout de suite décliné pour la maison… Il m’a offert une Mercedes C 180, que j’ai acceptée. Et puis quand il s’est remarié en décembre 2000, avec l’actuelle première dame, je me suis dit que c’était terminé entre nous. J’ai trouvé du travail dans une banque, et j’ai même posé pour une publicité. C’est là qu’un jour le président Omar Bongo a demandé à me voir. C’était en 2005, on est resté une heure à bavarder. Il ne savait pas pour Amissa. « Ali ne sait pas garder les femmes », a-t-il soupiré… Le lendemain, Omar Bongo m’achetait une belle maison et une voiture. Il m’a même proposé de reconnaître lui-même l’enfant… ça, j’ai décliné. Et puis en 2008, j’ai tout plaqué pour revenir en France avec Amissa. On s’est installées à Longjumeau, dans le sud de Paris.
«Il nous versait 15.000 euros par mois en liquide»
Omar Bongo est décédé en juin 2009, et Ali Bongo a été élu en août…
Oui, j’ai même voté pour lui! Je suis rentrée au Gabon et je l’ai croisé un jour presque par hasard. J’avais beaucoup grossi. Il avait l’air content de me voir et m’a dit qu’il fallait que je perde des kilos. Il m’a « offert » deux semaines dans une thalasso à Biarritz. C’était à l’été 2012. On s’est revus à Libreville le 2 septembre 2012, le jour où il faisait son grand discours au Parlement, « comment être gabonais ». Pour Amissa, il m’a demandé de lui « laisser du temps »… Il m’a offert une Lexus RX 350 et j’ai eu une maison le 26 décembre 2013. Il nous versait 15.000 euros par mois en liquide, via un lieutenant de son entourage… On se donnait rendez-vous tous les débuts de chaque mois devant l’agence Air France de Libreville.
Vous vous cachiez, votre fille et vous?
Pas du tout. Dans ma famille, tout le monde sait qu’Ali est le père d’Amissa. En grandissant, elle s’est mise à me demander à le voir. Mais il a toujours refusé. Pour Amissa, cela devenait difficile à vivre, ce père fuyant. Je l’ai envoyée faire ses études en France, à Angers, en 2014, et depuis la rentrée 2015, elle est en terminale. Tout s’est précipité en 2015, quand ont démarré ces histoires sur l’origine d’Ali Bongo…
« Un de ses proches est venu me voir pour me dire qu »on allait régler le problème autrement' »
C’est-à-dire?
Personne ne comprend au Gabon pourquoi il ne se plie pas à un test ADN avec sa mère, qui est toujours en vie. S’il est bien son fils, cela permettrait de faire taire les critiques! Mais il a produit des extraits de naissance qui sont tous controversés… En juillet 2015, un de ses proches est venu me voir pour me dire qu’Ali ne reconnaîtrait pas Amissa et m’a dit « qu’on allait régler le problème autrement ». Il m’a dit : « Combien tu veux pour un règlement définitif? » J’étais choquée d’entendre cela… Spontanément, j’ai dit 10 milliards de francs CFA (15 millions d’euros), une maison pour Amissa, un immeuble pour moi à Libreville, un appartement à Longjumeau, et deux voitures. Il m’a dit : « Et tu t’engages qu’Amissa n’en parle plus jamais? »
«Aujourd’hui, je parle pour nous protéger, moi et ma fille»
Ils vous ont versé tout cela?
Pas du tout, au contraire, les ennuis ont commencé. Soi-disant je faisais du chantage, alors que c’était eux qui voulaient « ce règlement définitif ». Moi, je n’ai toujours voulu qu’une seule chose, qu’il reconnaisse sa fille. J’ai décidé d’aller voir Me Pardo en septembre 2015, et quand ils l’ont appris, ils m’ont envoyé un nouvel émissaire.
Que voulait-il?
Que je laisse tomber les avocats et que je vienne discuter directement avec le président à Libreville. J’ai accepté, tout en confiant à Me Pardo tous les pouvoirs pour engager une action si je ne revenais pas. Je me suis retrouvée face à Ali Bongo un mercredi de novembre 2015. Ce jour-là, il était d’accord pour mettre Amissa à l’abri du besoin, mais il ne voulait toujours pas la reconnaître. Je l’ai revu le vendredi. Cette fois, il voulait me proposer « un montant », pour que je n’engage rien avant les élections, et qu’on se revoie en 2017 pour « régler le problème »…. J’ai répondu que « j’allais réfléchir ». Cette phrase l’a mis dans tous ses états! « Tu vas réfléchir? » Il s’est brutalement mis en colère, me traitant de « kamikaze », me reprochant « d’en vouloir à son pouvoir ». J’en suis restée bouche bée… en rentrant en France, j’ai décidé de lancer cette procédure. Il est allé trop loin… Aujourd’hui, je parle pour nous protéger, moi et ma fille.
Laurent Valdiguié – Le Journal du Dimanche