Comment améliorer la lutte contre le djihadisme au Sahel ?
Au Sahel, « faire revenir l’Etat sur le terrain »
Comment améliorer la lutte contre le djihadisme au Sahel ? La réponse d’Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Ce sont les pays du Sahel eux-mêmes qui ont eu l’initiative d’un G5 pour combattre le djihadisme, un phénomène transnational. On met l’accent sur l’aspect militaire de ce G5, en oubliant que ces pays se sont aussi mis d’accord sur un plan d’investissement prioritaire qui définit des projets, centrés sur les régions frontalières, dans les domaines militaires, certes, mais aussi de la gouvernance et des infrastructures. C’est ce retour de l’État, sur le terrain, qui est décisif.
Une école militaire commune a été ouverte en septembre dernier à Nouakchott en Mauritanie. Une école de police régionale va être créée à N’Djamena, au Tchad. Les armées des cinq pays ont l’autorisation d’entrer sur 50 km dans le territoire de leurs voisins. Une plateforme sécurisée de renseignements, en lien avec Interpol, est en train d’être montée. Sur le plan des opérations militaires, un rude coup a été porté au G5 en juin quand son quartier général (QG) de Sévaré au Mali a été attaqué. Depuis, peu d’opérations conjointes ont eu lieu.
Prise de conscience au Niger. Chaque pays du G5 a sa propre trajectoire. Le Burkina Faso connaît depuis deux ans une dégradation sécuritaire spectaculaire. L’ancien président Blaise Compaoré avait des conseillers connectés directement aux djihadistes du nord du Mali. Le pouvoir actuel n’a pas ces clés et a démantelé certains régiments de l’armée, utiles dans cette lutte, mais suspectés d’être fidèles à l’ancien président.
Au Mali, touché dès 2012 par le terrorisme, l’armée a été vaincue par les djihadistes et tarde à se reconstruire. Le degré de corruption du pays est invraisemblable, et on observe une sorte de paresse à prendre en charge les problématiques du nord et du centre du pays. Les djihadistes recrutent sur l’incapacité et la corruption de la justice malienne.
L’attitude du Niger est différente. L’État fait face au problème avec son armée. Mais le pays ne se contente pas de combattre les terroristes. Il a créé une Haute Autorité à la consolidation de la paix qui veut offrir des perspectives aux populations des zones en crise. Le Niger a pris conscience que l’État doit être présent pour assurer la justice et l’encadrement des conflits entre les agriculteurs et les éleveurs.
Pas d’acte violent depuis 2011 en Mauritanie. La Mauritanie est un exemple de réussite. Après avoir été touchée au début des années 2000 par le terrorisme, elle a remis à niveau son armée, créé des unités spécifiques pour la garde de ses frontières. L’État a mobilisé les autorités religieuses pour qu’elles aillent dans les prisons démonter l’argumentaire salafiste. Depuis 2011, le pays n’a pas connu d’acte violent, alors que sa frontière avec le Mali est immense.
Enfin, le Tchad avec plus de 30 000 hommes possède l’armée la plus puissante de la région. Elle veille avec efficacité sur ses frontières. Le pouvoir – brutal et corrompu – sait qu’il joue son crédit international sur ce pouvoir sécuritaire.
Recueilli par Pierre Cochez, pour La Croix
Au Sahel, « la réponse militaire ne peut être suffisante »
La réponse de Roland Marchal, chercheur sur l’économie et les conflits dans l’Afrique sub-saharienne au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po.
Au Sahel, la France a une détermination militaire reconnue par tous. La menace djihadiste dans cette zone a été présentée par les Européens comme le cœur de la crise. Si cette question était vraiment le centre du problème, comment expliquer que des supposés djihadistes ultra-minoritaires obtiennent autant d’appuis auprès des populations locales ?
Ces groupes ne se développent pas pour des raisons idéologiques ! Ils proposent des réponses à des situations locales de domination et de dépossession. Dans un tel cadre, la réponse militaire ne peut être suffisante. Il vaut mieux comprendre ces ressorts, le rôle de l’État et de son appareil de sécurité au niveau local. Pour cela, il faut que les pays européens aident les États sahéliens touchés par ledit djihadisme à se réformer en profondeur. Pour le moment, les Occidentaux ont surtout contribué à restaurer un système inégalitaire qui permet aux djihadistes de recruter sans difficultés.
Une approche plus politique et sociale. En définissant l’intervention occidentale comme une lutte contre le djihadisme, nos hommes politiques s’interdisent fondamentalement toute autre approche que militaire. Ils n’ont plus à se poser la question des responsabilités puisqu’ils opposent un camp du bien, nos soldats et des États menacés, à un camp du mal, les combattants djihadistes. Il est absolument nécessaire de dépasser cette matrice en revenant à une approche plus politique et sociale qui autorise un règlement de la crise, basé sur la compréhension des dynamiques locales et une réforme drastique des comportements des États vis-à-vis de leurs populations.
Les Européens doivent accepter que le centre de la crise n’est pas le djihadisme mais le fonctionnement des États sahéliens. Bien sûr, une réponse militaire est nécessaire mais dans un cadre politique différent. Notre opinion publique demande à être rassurée par des réponses simples et compréhensibles, mais la réponse ne peut pas être aussi manichéenne.
Clarifier les règles. Je m’interroge sur cette myopie d’une Union européenne qui dépense beaucoup d’argent dans la région sahélienne, renforçant quelques strates élitistes et opportunistes sans transformer les rapports entre ces appareils d’État et des populations qui voient la corruption, l’arbitraire, la milicianisation se développer sous le registre de la lutte contre l’extrémisme radical. Si l’on tente une fois de plus de former des armées républicaines, autant clarifier les règles du partenariat et obtenir les réformes structurelles indispensables.
Recueilli par Pablo Menguy, pour La Croix
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