L’inquiétante dérive russe du Mali
Les autorités maliennes ont annoncé le 18 mars « suspendre » la diffusion des programmes de Radio France internationale (RFI) et de France 24. Au moment où des mercenaires russes défendent le pouvoir en place à Bamako, cette censure des médias français laisse le champ libre à Moscou pour investir l’espace médiatique.
Editorial du « Monde ».Vitrine de la démocratisation de l’Afrique de l’Ouest après la fin d’une longue dictature en 1991, le Mali a commencé à se décomposer dans les années 2010, affaibli par la corruption de son régime et ébranlé par une rébellion touareg alliée aux islamistes, renforcée par les combattants et les armes « libérés » par la chute du colonel Kadhafi en Libye. L’intervention militaire française, déclenchée en 2013 à la demande de Bamako, a sans doute empêché le pays de tomber, jusqu’à présent, entre les mains des djihadistes.
Mais son échec, sanctionné par la décision de retrait annoncée le 17 février par Emmanuel Macron, accélère le raidissement de la junte qui a pris le pouvoir en mai 2021, dans le sens d’une rupture brutale avec la France, d’un rapprochement avec la Russie et d’un écrasement des libertés.
La décision, annoncée le 18 mars par les autorités maliennes, de « suspendre » la diffusion des programmes de Radio France internationale (RFI) et de la chaîne France 24 est la dernière en date des manifestations de cette inquiétante dérive. Le motif invoqué par les militaires maliens est la retransmission de reportages où s’expriment des victimes d’exactions commises par l’armée malienne et, probablement, par des mercenaires du groupe privé russe Wagner. Or ces actes de torture et ces meurtres visant des civils sont documentés tant par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, qui les a qualifiés de « graves violations du droit international », que par des enquêtes du Monde et de Jeune Afrique.
La coupure des émissions des chaînes françaises accusées par la junte de chercher à la « déstabiliser » s’inscrit dans un climat marqué par la multiplication des menaces visant à faire taire toutes les voix critiques et les opposants. Les militaires au pouvoir, qui ont privé d’accès aux soins l’ancien premier ministre Boubèye Maïga qu’ils avaient fait incarcérer, ont une part de responsabilité dans son décès, lundi 21 mars.
Alarmante, l’atteinte à la liberté d’information cible aussi les médias maliens, auxquels les militaires interdisent de relayer les enquêtes de RFI et de France 24. Le silence imposé à ces médias très populaires vise à priver les Maliens d’informations fiables, pour mieux imposer la propagande antifrançaise des militaires et leur alliance avec Moscou.
De fait, la censure des programmes français marque une nouvelle avancée de l’influence russe en Afrique de l’Ouest. La junte malienne joue sur la frange de l’opinion prompte à justifier sa décision par le « précédent » que constituerait l’interdiction par l’Union européenne des outils de propagande russes que sont RT et Sputnik, au titre de sanction contre l’agression de l’Ukraine. Alors que des mercenaires russes défendent le pouvoir en place à Bamako, la coupure de RFI et de France 24 laisse le champ libre à Moscou pour investir l’espace médiatique laissé vacant.
Le refus de certains pays africains de condamner la guerre en Ukraine à l’ONU encourage la Russie à pousser ses pions en Afrique en cherchant à attiser la colère contre l’ex-colonisateur. Dans les années 1950-1990, la guerre froide Est-Ouest a alimenté les conflits en Afrique. Le retour d’un climat comparable ne fait que compliquer l’équation de la politique de la France à l’égard de l’Afrique. S’ajoutant aux appétits chinois et à l’agressivité des djihadistes, les ambitions de Vladimir Poutine, accueillies avec bienveillance par certains Africains, pèsent désormais aussi sur le continent.
Le Monde