Marine Le Pen échoue pour la troisième fois
La candidate d’extrême droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Mais elle n’a (toujours) pas réussi à briser le plafond de verre.
(Par Romain Herreros) Jamais deux sans trois. Ce dimanche 24 avril, Marine Le Pen a encore échoué à accéder à la fonction suprême. En dépit de tous ses efforts de dédiabolisation et d’une campagne davantage axée sur le social que sur les thèmes chers à sa famille politique, c’est bien Emmanuel Macron qui a été réélu président de la République. Une défaite sous forme de claque pour la fille de Jean-Marie Le Pen, qui n’a jamais été aussi proche de l’exploit.
Pour la première fois, elle bénéficiait d’une réserve de voix inédite au second tour et imprimait sur un sujet de fond qui lui permettait d’élargir son socle. Au final, elle ne progresse que de huit points entre 2017 et 2022, pour terminer à 41,5%, selon les premières estimations. Encore insuffisant pour embrasser un destin présidentiel.
“En dépit de deux semaines de méthodes déloyales, brutales et violentes, les idées que nous représentons arrivent à des sommets un soir de second tour de l’élection présidentielle. Le résultat de ce soir représente en lui-même une éclatante victoire”, a déclaré ce dimanche Marine Le Pen, qui s’est tout de suite tournée vers les législatives pour balayer un second tour qui semble toujours inatteignable.
Pourtant, la députée du Pas-de-Calais préparait de longue date sa revanche. Elle qui, bien aidée par un Emmanuel Macron désireux de faire le vide politique autour de lui, a terminé le quinquennat avec l’étiquette de première opposante, malgré les conséquences de son débat raté qu’elle a payé durant de longs mois. La victoire du RN aux élections européennes en 2019 avec 23.34%, en tête, survient après le séisme des gilets jaunes et l’autorise à se projeter vers un meilleur avenir. Là voilà qui se remet à qualifier le RN de “premier parti de France” et à réclamer “la dissolution de l’Assemblée nationale”. Surtout, elle se définit comme le vote “utile” contre Emmanuel Macron. Un message qu’elle a martelé jusqu’à ce vendredi 22 avril.
On n’a jamais arrêté de parler d’immigration. Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen
Alors que la course de fond démarre, trois ans avec la présidentielle, les lieutenants marinistes jurent que l’heure est venue pour leur championne. Exaspérée par la crise sanitaire et les tensions sociales qui en découlent et encore marquée par l’irruption d’un mouvement social inédit, la société française pouvait, pensaient-ils, avoir envie de renverser la table.
En janvier 2021, un sondage Harris Interactive fait l’effet d’une petite bombe. Pour la première fois, la candidate est donnée au coude-à-coude au second tour face au locataire de l’Élysée. Qu’importe que cette étude, d’une valeur toute relative, semble bien trop prématurée pour en tirer des conclusions durables (y compris pour le sondeur qui comptait la garder secrète), l’espoir est grand dans les rangs lepénistes où l’on mise sur la dynamique que pourraient déclencher des succès aux élections régionales au mois de juin.
Le plafond de verre des régionales
Cela ne se produit pas. Le RN reste incapable de gagner une région, malgré les espoirs placés en Thierry Mariani en Paca ou en Sébastien Chenu dans les Hauts-de-France, deux régions jugées gagnables par le parti d’extrême droite depuis 2016. Le résultat est encore plus cruel sur le plan comptable: la formation lepéniste a perdu 142 conseillers régionaux et départementaux entre 2015 et 2021. Fragilisée en interne par ce scrutin, Marine Le Pen ne dévie pas de sa stratégie, et maintient son cap en vue du XVIIe congrès du RN qui se tient à Perpignan, en juillet 2021. Ceux qui doutent de la stratégie de la cheffe sont écartés du dispositif présidentiel. On les retrouvera pour la plupart chez Éric Zemmour quelques mois plus tard.
Car l’état-major mariniste est persuadé de sa stratégie de “normalisation”, visant à se débarrasser des outrances sur l’immigration et l’islam, afin de se concentrer sur le pouvoir d’achat, dans un contexte de crainte d’une crise économique provoquée par la crise sanitaire. “On n’a jamais arrêté de parler d’immigration, on n’a jamais changé de discours. Mais on n’est pas monomaniaques. La présidentielle est une élection généraliste, qui doit s’incarner aussi sur d’autres thématiques”, défendait alors auprès du HuffPost Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen.
Des justifications qui répondaient aux critiques émises en interne, accusant la présidente du RN de laisser un espace politique à Éric Zemmour, dont l’officialisation de la candidature axée sur le “grand remplacement” ne faisait plus de doute. Une menace de concurrence qui n’a fait que se confirmer au fil des semaines. À tel point que le doute s’installe dans les rangs lepénistes au moment où, début octobre, le polémiste dépasse dans une étude Harris Interactive Marine Le Pen en intentions de vote. Son propre père, Jean-Marie Le Pen, n’exclut pas de la lâcher au profit de l’ancien journaliste, en fonction des circonstances.
“C’est tout de même incroyable que Marine Le Pen s’en sorte sur l’Ukraine” Un ministre au HuffPost au mois de mars
En off, certains hauts cadres ne mâchent par leurs mots sur la candidate et sa stratégie. “Elle s’est fâchée avec son père, sa nièce et les politiques du mouvement. Alors quand elle met un genou à terre, il n’y a plus grand monde pour l’aider”, ricane en février 2022 l’un d’eux, avant de rejoindre quelques semaines plus tard Éric Zemmour. Un concurrent qui, au bout du compte, a davantage rendu service à Marine Le Pen qu’il ne l’a affaiblie. Agissant comme un paratonnerre, sa candidature radicale permet à la candidate du RN de passer sous les radars, et de labourer le terrain en se présentant comme la championne du pouvoir d’achat.
Même quand son modèle, Vladimir Poutine, déclare la guerre à Kiev. “C’est tout de même incroyable que Marine Le Pen s’en sorte sur l’Ukraine”, regrette auprès du HuffPost un ministre en mars 2022, stupéfait de voir que seul Éric Zemmour paye son tropisme russe dans les intentions de vote. “Quand il a commencé à descendre dans les sondages, Marine a bénéficié d’une dynamique de vote utile. Sans la guerre en Ukraine, l’inverse se serait sans doute produit”, décrypte en avril un cadre de Reconquête! passé par le RN, comptant plusieurs campagnes à son actif.
Naviguer à vue
À quelques jours du premier tour, au RN, on salue la “résilience” de la candidate. Alors qu’Éric Zemmour prend un malin plaisir à mettre en scène les derniers ralliements, dont la propre nièce de la candidate, Marion Maréchal, rien ne semble freiner son ascension. Elle continue de grimper, enquête d’opinion après enquête d’opinion, et est toujours donnée au second tour de l’élection présidentielle.
Sur les plateaux de télévision, les commentaires sur sa “bonne campagne” de proximité, loin des meetings spectaculaires du fondateur de Reconquête! se multiplient. Jusqu’au dimanche 10 avril, et sa deuxième qualification pour le second tour de l’élection présidentielle avec 23.15% des suffrages, deux points de plus qu’en 2017 et un million de voix supplémentaires.
Boomerang
Sauf que le coup d’envoi de la diabolisation lui revient immédiatement à la figure comme un boomerang. Éric Zemmour et ses outrances hors du jeu, Marine Le Pen se retrouve brusquement en pleine lumière. Son programme est disséqué. On y trouve des incohérences constitutionnelles, et des incongruités économiques. Des lacunes qui l’obligent à se contredire d’un jour à l’autre. Un jour, elle dit qu’un référendum sur le rétablissement de la peine de mort pourrait être possible via le référendum d’initiative populaire qu’elle souhaite instaurer. Elle dit l’inverse le lendemain.
Même schéma pour l’interdiction du port du voile: un jour c’est sa mesure phare, le lendemain en un revirement express ce n’est plus sa priorité, au risque de prêter le flanc (encore) au procès en incompétence qui lui colle à la peau. En parallèle, le camp Zemmour lui reproche d’avoir renié sa promesse de gouvernement d’union nationale, alors qu’elle écarte l’idée de gouverner avec le polémiste ou Marion Maréchal, qui ont appelé à voter pour elle au soir du 10 avril. Dans les sondages, l’écart commence à se creuser.
Marine Le Pen navigue à vue. Persuadée que sa marge de progression se trouve à gauche, et plus particulièrement chez les insoumis, elle se dit favorable à un gouvernement incluant Arnaud Montebourg. Ce dernier répond illico… par un appel à lui faire barrage. Comme pour se rassurer, l’intéressée multiplie les déplacements, dans des zones où elle se sait appréciée. Et aimée. Les selfies sous les regards des caméras s’enchaînent. Du réconfort comparable à celui que recherche un enfant à travers son doudou. “Je trouve ça très bien les charentaises!”, assume-t-elle, alors que le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, l’accuse de mener une campagne en pantoufles, à domicile, sans le moindre risque. Pendant ce temps, le moment fatidique du débat d’entre-deux-tours approche.
2002-2022
Impossible pour elle de revivre le cauchemar de celui de 2017. Alors elle va s’isoler 48 heures pour le préparer, donnant ainsi l’impression d’avoir besoin d’une séance de bachotage, pendant que le chef de l’État alterne activités régaliennes liées à la guerre en Ukraine et campagne au pas de charge démarrée sur le tard. Encore raté. Marine Le Pen ne parvient pas à faire vaciller le locataire de l’Élysée, qui s’est (encore) montré plus technique et précis que la candidate RN.
Au lendemain de l’exercice, ses lieutenants n’avaient que “l’arrogance” du chef de l’État pour l’attaquer sur les plateaux de télévision. Comme s’il ne restait que la forme pour défendre une candidate en sérieux déficit de fond. Un progrès en comparaison de 2017 où il n’y avait même pas la forme pour la sauver.
Mais une copie toujours insuffisante pour Marine Le Pen qui aura à composer avec un impétrant, Éric Zemmour, bien décidé à remettre en cause le monopole que la famille Le Pen exerce sur l’extrême droite française depuis cinquante ans. Et il n’aura pas attendu. Moins d’une heure après l’annonce des résultats, il a appelé “le bloc national à s’unir et se rassembler” pour les législatives, rappelant au passage que “c’est la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen”.
À la troisième défaite présidentielle, pourrait ainsi succéder la fin d’une hégémonie. Ce qui serait autrement plus douloureux pour Marine Le Pen, qui s’y préparait depuis son éclosion politico-médiatique. C’était lors de la présidentielle de 2002. Et c’était, déjà, pour commenter une défaite.
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