Ce qui empêche le Mali de construire une paix définitive
Les hommes armés du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) aux environs de Kidal.
Après trois phases de pourparlers entre les autorités maliennes et les mouvements du nord aucun accord en vue. Quelles sont les raisons du blocage? Explications.
Depuis près de 24 ans, les autorités maliennes tentent de trouver une solution définitive aux sempiternels conflits qui minent le nord du pays. De 1991 à 2006 plusieurs accords de paix ont été signés, mais ces derniers, n’ont pas permis de mettre fin à la violence dans le nord. Le conflit a évolué au fil du temps, jusqu’à atteindre son paroxysme avec l’occupation des régions du nord du Mali de 2012 à 2013.
L’élection du nouveau Président en septembre 2013 devait permettre d’entamer de nouvelles actions en faveur d’une paix définitive. Les discutions ayant commencé au Burkina Faso, ont été transférées vers l’Algérie, car tous les précédents accords de paix avaient été discutés en Algérie. Ce pays est le voisin le plus puissant du Mali et également un acteur majeur dans la bande sahélo-saharienne.
Vaste zone. Le Mali est situé en plein cœur de cette bande sahélo-saharienne, une zone vaste comme deux fois l’Europe à 28, soit près de 8 millions de km² et étant composée essentiellement de pays en crise. Par ailleurs, le Mali doit faire face à d’énormes défis, le pays très pauvre, il est le 5ème plus grand pays n’ayant pas accès à la mer.
La première question serait sans doute de chercher les raisons qui ont empêché le Mali de construire une paix définitive. C’est pour tenter de répondre à cette question que nous avons décidé de réfléchir sur les pourparlers inter-maliens qui se déroulent actuellement en Algérie. Les discutions ont commencé depuis plusieurs mois en Algérie, elles sont actuellement bloquées pour diverses raisons.
La situation se dégrade de jour en jour au nord du Mali, l’administration n’est présente que partiellement et les attentats se multiplient. J’ai voulu porter un regard nouveau sur cette crise qui, selon certaines personnes aurait commencé depuis 1962.
Terrorisme international. En 2003, les autorités maliennes avaient déjà alerté la communauté internationale, sur la présence d’activités criminelles importantes dans le nord du Mali. Mais c’est surtout à partir de 2006, que la situation va considérablement se dégrader. Cette même année, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) devient AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) en faisant officiellement allégeance Al Qaeda central et dans la foulée, la rébellion reprend dans le nord du Mali avec l’alliance du 23 mai pour le changement. La zone deviendra un lieu où les prises d’otages vont se multiplier et c’est ainsi que le Burkina Faso sous la direction de son ancien Président Blaise Compaoré va s’intéresser au désert malien.
L’effondrement de la Libye et la libre circulation de plus de 20 millions de tonnes d’armes dans la zone sahélo saharienne va accentuer la pression sur les autorités maliennes. Les liens entre la rébellion et les terroristes vont se consolider grâce à Abou Zeid, un ancien chef d’une Katiba d’Al Qaeda, qui a été tué lors de l’opération Serval en 2013. Ce dernier avait organisé la construction de liens solides en favorisant les relations familiales grâce au mariage entre certains terroristes et certaines personnes issues de certaines tribus locales. La crise du nord du Mali s’est donc progressivement mue en terrorisme international. Boubacar Salif Traoré↵
Algérie–Burkina Faso–Libye. Trois Etats sont fortement impliqués dans la crise malienne. L’Algérie, le Burkina Faso et la Libye. L’implication de ces différents pays s’est faite de différentes manières. L’Algérie est la plus grande puissance de la zone, mais sa géopolitique interne la pousse à favoriser sa partie nord au détriment de sa partie sud, qui fait frontière avec le Mali. La majeure partie des sites de production de ressources énergétiques d’Algérie se trouve au nord, au même titre que la méditerranée. Ce pays n’a pas un regard stratégique sur sa partie sud, et le nord du Mali est une immense zone désertique, en proie à l’insécurité. Quant au Burkina Faso, son implication dans les négociations pour le retour à l’ordre constitutionnel, suite au coup d’Etat du 22 mars 2012, lui a permis de s’intéresser aux affaires internes du Mali. Quant à la Libye, durant plusieurs années, son ancien dirigeant Mouammar Kadhafi a formé et pris en charge de nombreux combattants armés.
Aucun accord en vue. Après l’opération « Serval en 2013 et l’élection du nouveau Président, le Mali tente toujours de trouver les voies d’une paix définitive. Le gouvernement malien est engagé dans un processus de négociation avec les bandes armées, ainsi depuis plusieurs mois, malgré les reports, aucun accord ne semble être en vue. En créant récemment un état-major commun, les trois principaux groupes (MNLA, HCUA, MAA), ont sans doute démontré une volonté à ne pas aller vers une paix définitive. Le manque de fiabilité de certains acteurs présents autour de la table de réconciliation, complique la situation. Dès le départ, le gouvernement malien n’a cessé de faire des concessions et des promesses jugées intenables.
Je pense que la remise sur la table d’un probable approfondissement de la décentralisation, a été une erreur, car le processus de décentralisation, commencé en 1993, n’est pas terminé. Egalement une telle opération demandera un important effort financier dont le pays ne peut pour l’instant pas se permettre. En agissant ainsi le gouvernement risque de donner un prétexte pour une nouvelle future crise, car les promesses, ne seront pas tenues.
Erreurs stratégiques. Les autorités maliennes, semblent être enfermées dans une logique de réconciliation nationale, différente, d’une logique de négociation. Il aurait fallu travailler sur la négociation afin d’adopter des principes pragmatiques et réalistes. Le gouvernement aurait dû entamer les discutions sur la base des accords d’Alger de 2006, qui sont une continuité du pacte national, père de tous les accords. Ces accords, prévoyaient surtout la poursuite du pacte national et le développement économique des régions nord du Mali. Même si cela a été parfois avancé par certains, il n’a jamais été question de démilitariser le nord du Mali, il a simplement été dit de déplacer les casernes militaires des zones urbaines vers des zones périphériques. C’est pourquoi, j’estime qu’il est urgent de favoriser la cohésion nationale, afin de permettre à tous les acteurs d’échanger et de construire une base solide en vue de la signature d’un accord.
Défis actuels. Egalement le processus de stabilisation mené par la Minusma (Mission des Nations Unies au Mali) suit son évolution normal, car n’eut été les événements du 21 mai 2014 à Kidal, elle avait réussi à déployer près de 161 préfets et sous-préfets et le déploiement de l’administration avait atteint près de 20% à Kidal. Le cantonnement des combattants des groupes armés était en discussion et la Minusma avait commencé à construire un centre de cantonnement d’une valeur de 3 millions de dollars, situé à environ 60 km de Kidal.
Il y a actuellement nécessité pour l’Etat malien de se doter d’outils performants pour la gestion des crises et obligation de se réformer, en mettant un accent particulier sur le secteur de la sécurité. Le secteur de la sécurité n’est pas simplement l’armée, ni les formations, mais un ensemble de dispositif qui concernera tous les secteurs en y incluant la justice. Plusieurs structures doivent être renforcées pour faire face aux défis actuels du Mali, car le suivi et la coordination sont les deux maillons essentiels pour permettre au pays de se consolider.
Boubacar Salif TRAORE
Directeur du cabinet Afriglob