Film « Timbuktu » : une fenêtre ouverte sur la dérive islamiste
Une scène du film « Timbuktu » inspiré de l’occupation du nord du Mali par les djihadistes.
Port du burka pour toutes femmes. Jeux de football, cigarette, alcool, musique … interdits, « Timbuktu » le dernier film du réalisateur Abderrahmane Sissako montre les mille facettes de la dérive djihadiste dans le nord du Mali.
En salles depuis le 10 décembre dernier, le film Timbuktu du cinéaste mauritanien d’origine malienne, Abderrahmane Sissako, était en compétition au festival de Cannes de cette année où il a remporté le prix du jury œcuménique. Le réalisateur Sissako qui s’inspire en général des sujets africains n’a pas cherché loin sa muse lorsque le premier couple a été lapidé à mort pour un présumé adultère par les islamistes terroristes dans le nord du Mali qui était sous-occupation entre mars 2012 et janvier 2013. De cette barbarie moyenâgeuse, Abderrahmane Sissako en tire film sous l’angle des exactions subies, durant cette infernale occupation, par des populations à l’image de celles de Tombouctou, une ville qui porte en elle une brillante civilisation marquée notamment par l’enseignement islamique, la science, le commerce depuis le XVème siècle.
Témoignage. Le film débute par l’image d’une gazelle qui, dans sa course effrénée, vous entraîne dans son milieu naturel : le désert. Un paysage désertique et pittoresque où vit sous une tente, un jeune couple touareg : Kidane (Ibrahim Ahmed), son épouse Satima (Toulou Kiki) et leur fille Toya. Sous la pression de la domination islamiste, tous leurs voisins ont pris le chemin de l’exil. Le film fait cas de multiples patrouilles des islamistes tantôt à bord de pick-up surmontés de mitraillettes ou sur motocyclettes rodant dans les dédales de la ville pour vérifier si « l’ordre islamique » qu’ils entendent désormais imposer sous contrainte à une population majoritairement musulmane depuis des siècles est respecté au pied de la lettre. Port du burka pour toutes femmes. Jeux de football, cigarette, alcool, musique sont interdits. Par rapport à ces brimades, le film est un témoignage à travers plusieurs scènes saisissantes : une vendeuse de poissons au marché à qui les islamistes patrouilleurs lui demandent, outre le burka, de porter les gants. Excédée, la vendeuse tend un couteau aux islamistes afin qu’ils amputent ses deux bras, « car trop c’est trop ! » Les scènes de flagellation publique, d’exécution sommaire d’un couple accusé d’adultère sont des moments très émouvants. Abderrahmane Sissako a su mettre en exergue les différentes formes de résistance d’une population meurtrie : une femme à genoux pendant qu’elle est publiquement flagellée, chante en bambara (alors que la musique est interdite) ce qu’est le Mali, un pays havre de paix où différentes populations cohabitent dans la diversité. Les jeunes également font de la résistance lorsqu’ils bravent l’interdiction de jouer au football en pratiquant ce jeu de façon imaginaire sur un terrain de foot sans ballon. Le double jeu des islamistes est mis en évidence quand le chef djihadiste Abdelkrim (Abel Jafri) se cache pour fumer une cigarette ou tente de draguer Satima en l’absence de son mari. Le film se termine par l’exécution publique de Kidane accusé de crime sur un pêcheur. La sentence fut si expéditive que son épouse Satima sera fusillé également à côté de lui lorsque l’arrivée soudaine de celle-ci a semé un remue ménage. Une décharge émotive vous emporte en voyant la petite Toya, désormais orpheline, quittant la tente familiale et errant à la recherche de ses parents froidement abattus sur une place publique.
Critiques. A l’issue d’un échange avec la salle, les critiques du film tiennent à la mémoire de Tombouctou qui se rapporte à ses trois mosquées (Djiguerebère, Sidi-Yahya et Sankoré), aux mausolées et aux manuscrits. Par contre le film montre suffisamment les exactions subies par les populations pendant qu’il en est moins pour ce qui concerne la destruction des mémoires de Tombouctou notamment les mausolées et les manuscrits. Selon un rapport de l’Unesco, sur les 16 mausolées de Tombouctou, 14 ont été détruits tandis que 4200 manuscrits ont été brûlés même si 350.000 ont été sauvés. Le film n’est pas tourné dans la ville même de Tombouctou mais plutôt en Mauritanie. Ainsi on est privé du plaisir de regarder la belle architecture typique de Tombouctou (style soudanais, murs et motifs de décoration sur les portes et fenêtres). Parmi les exactions, le viol fut une triste réalité pendant l’occupation du nord du Mali. Ceci n’est pas perceptible. Le film ne ressort pas non plus la cohabitation difficile voire impossible qui existait entre les groupes armés islamistes (Al Qaeda Maghreb islamique et Ansar Dine) avec le groupe armé irrédentiste (Mouvement National de Libération de l’Azawad, MNLA) à Tombouctou pendant l’occupation. Enfin Au niveau des trafics multiformes qui prolifèrent dans la zone, en dehors des prises d’otages, le reste, c’est-à-dire le narcotrafic, la contrebande et le trafic d’armes est moins abordé dans le film.
Le film « Timbuktu » demeure néanmoins un témoignage saisissant, une fenêtre ouverte sur l’immensité de la barbarie moyenâgeuse que des soi-disant islamistes ont instaurée dans le septentrion malien (Tombouctou, Gao et Kidal) pendant les huit mois d’occupation. Le cinéaste Abderrahmane Sissako a privilégié l’angle des exactions, humiliations et résistance au détriment d’autres aspects de la crise touchant l’irrédentisme qui en fut le facteur déclencheur le 17 janvier 2012 sous les soubresauts du MNLA.
Bakary TRAORE