Tiébilé Dramé dénonce la gestion erratique du président IBK
Tiébilé Dramé, président du Parena et principal négociateur de l’Accord de Ouagadougou :«un débat national est nécessaire»
Crise économique et financière, gouvernance calamiteuse, défaite militaire, humiliation de la nation, partition de fait du pays, scandales financiers, Ébola…, l’année 2014 aura été particulièrement éprouvante pour le Mali. C’est le constat fait par le président Tiébilé Dramé, lors de la conférence des cadres du Parti pour la renaissance nationale (Parena) tenue samedi 20 novembre à Bamako.
Principal conférencier, M. Dramé a fait un bilan sans concession de la mal gouvernance du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et fustigé l’impunité qui a tendance à être la marque de son pouvoir. Il a rappelé qu’ à l’issue des combats des 17 et 21 mai, près de 200 jeunes maliens, membres de l’administration préfectorale, des forces armées et de sécurité sont morts à Kidal, des dizaines de pick-ups équipés d’armes de guerres, une dizaine de BRDM, des blindés légers, des camions de transport de troupes, des citernes ont été récupérés par les groupes rebelles au détriment de nos forces.
Pour lui cette défaite militaire lourde de conséquences a sapé les efforts de refondation de l’armée qui a dû quitter ses positions dans le nord du pays. Les unités qui sont restées sont confinées sous contrôle onusien à Tessalit et à Ménaka. L’État qui se redéployait progressivement a cessé d’exister dans la région de Kidal, dans une bonne partie de la région de Gao et dans les immensités désertiques du nord de Tombouctou. Conséquence : les troupes rebelles qui ont repris les positions des forces armées maliennes sont à une quarantaine de kilomètres de Gao, Kidal est administré par un comité de gestion HCUA/ MNLA, Ménaka est sous administration MNLA. Ces groupes armés délivrent des » actes d’état civil ». La presque totalité du Nord est sous une autonomie de facto.
Royaume de l’impunité. « L’homme de gouvernement, le politique qui est directement responsable de la situation décrite ci-dessus, celui dont les décisions aventureuses, les actes hasardeux ont provoqué tant de morts, tant de pertes militaires et politiques, tant de revers pour la nation, cet homme est toujours en place! C’est cela l’impunité », a soutenu Tiébilé Dramé. Cet homme qui a causé tant de peine au pays par son voyage inopportun à Kidal et qui a déclaré la guerre sans y être préparé n’est autre que Moussa Mara, l’actuel Premier ministre. Ibrahim Boubacar Keïta→
Pour le président du Parena, le scandale financier qui a émaillé l’achat du second avion présidentiel et l’acquisition des équipements militaires est sans précédant. « La section des comptes de la Cour suprême et le Bureau du vérificateur général ont mis le doigt sur une immense ingénierie financière d’essence mafieuse avec des sociétés-écrans établies dans des paradis fiscaux, des transferts de milliards dans des comptes à l’étranger », explique-t-il. Une situation qui dans tout autre pays aurait conduit, par mesures conservatoires, à l’éloignement même temporaire de ceux qui ont été associés à ces affaires, est resté sans aucune conséquence «au royaume de l’impunité» qu’est devenu le Mali d’IBK. « Quels messages veut-on envoyer aux jeunes générations? Que rien n’est suffisamment grave pour mériter une sanction?», s’est interroge M. Dramé.
Mauvais documents. Engagés en juillet dernier sous les auspices de l’Algérie, les pourparlers inter-maliens piétinent, selon le président du Parena, suscitant exaspération, impatience, et inquiétude.
L’avant-projet d’accord soumis, le 20 octobre, aux parties maliennes, et intitulé » Éléments pour un accord pour la paix et la réconciliation nationale » a été contesté, pour des raisons diverses, par plusieurs partis politiques et organisations de la société civile et par les groupes armés. Le gouvernement qui y avait vu une « bonne base » pour la résolution de la crise a fini, sous la pression de l’opinion, par déclarer qu’il le rejetait.
← Moussa Mara, le Premier ministre qui a déclenché la guerre de Kidal.
À l’issue du 4ème round des négociations d’Alger, un document formellement intitulé « projet d’accord » a été distribué par la médiation le 27 novembre. Comme en octobre dernier, au retour d’Alger, la délégation gouvernementale a jugé que le projet d’accord est bon. Plusieurs voix se sont élevées pour souligner la gémellité entre l’avant-projet et le projet. Pour Tiébilé Dramé, le PARENA continue de croire que par le dialogue et la diplomatie les Maliens peuvent restaurer la paix, l’unité et la cohésion de leur Nation. Toutefois, il estime que « les documents provisoires issus des pourparlers d’Alger ne sont pas de nature à restaurer durablement la paix et la concorde au Mali. A bien des égards, ils recèlent les germes de l’affaiblissement du Mali, de la division et de la guerre civile inter-communautaire ».
Manque de vision. Le président du Parena a indiqué que « le gouvernement a une responsabilité particulière dans le piétinement du processus d’Alger: de son accession au pouvoir (septembre 2013) à nos jours, le président de la République n’a démontré à aucun moment qu’il avait une vision claire, une stratégie mûrie, un schéma rigoureux de résolution de la crise du Nord. Pire, l’État souverain du Mali assiste en spectateur aux efforts de résolution de sa crise, il n’a aucune maîtrise du processus en cours, déléguant à la médiation la méthodologie, l’agenda, les contacts avec les groupes armés, les propositions et les contre-propositions ».
Les déclarations contradictoires et les tergiversations des premiers mois du quinquennat d’IBK, les aventures désastreuses de Kidal au mois de mai sont les illustrations du manque criard de vision et de schéma de sortie de crise.
« La faiblesse de la direction malienne engluée dans des scandales financiers, l’érosion de notre crédibilité extérieure et le rapport des forces crée sur le terrain à la suite de la visite du Premier ministre à Kidal ont eu incontestablement des effets sur les négociations d’Alger. Les documents distribués par la médiation sont le reflet des revers militaires et politiques de mai dernier et de l’autonomie de facto qui prévaut dans plusieurs contrées du Nord », a dénoncé M. Dramé.
Table-ronde. Le Parena préconise plutôt un compromis respectueux de la Constitution, fondé sur les balises contenues dans l’Accord de Ouagadougou (intégrité du territoire, unité nationale, forme laïque et républicaine de l’État) ainsi que sur les résolutions pertinentes du conseil de sécurité, notamment la 2100.
Il invite les groupes armés signataires et adhérents à l’Accord de Ouagadougou à honorer leurs signatures et leurs engagements. Pour Tiébilé Dramé la suspension des pourparlers intervenue le 27 novembre doit être mise à profit par IBK pour se ressaisir en convoquant une table-ronde pour examiner le projet d’accord qui ne saurait être signé en l’état. «Une discussion nationale quelle qu’en soit la forme, est nécessaire avant la reprise des négociations ». Il serait judicieux, d’après lui, de renégocier plusieurs chapitres et articles notamment ceux portant sur le cadre institutionnel et la réorganisation territoriale, la représentation de l’État, le financement et les moyens, le cantonnement, les unités spéciales et les questions de défense et de sécurité, de démobilisation, de réinsertion, d’intégration des combattants rebelles dans les forces armées maliennes et de police territoriale.
Ibrahim CISSE