Bathily – Coulibaly : deux Maliens aux destins différents
Lassana Bathily serait naturalisé français le mardi 20 janvier lors d’une cérémonie au ministère de l’intérieur.
Deux destins maliens se sont croisés lors des événements tragiques qui ont secoués France entre le 7 et le 9 janvier. Tous deux musulmans avec des parcours et une conception de l’islam différents. Le premier né en France, fait partie de ceux qu’on appelle communément la « deuxième génération » de l’immigration malienne pouvait réussir sa vie s’il ne s’était pas converti à l’islamisme radical et devenir un terroriste. Le second, venu d’un village aux fins fonds du Mali a galéré pour avoir ses papiers et un boulot avant de devenir le sauveur de juifs à l’ HyperCacher de la porte de Vincennes.
Le tueur de Montrouge. Né le 27 février 1982 à Juvisy-sur-Orge (Essonne), Amedy Coulibaly est Français d’origine malienne et mène une vie sans histoire, dans le quartier de la Grande Borne, à Grigny (Essonne), entouré de ses neuf sœurs. Mais le 17 septembre 2000, alors qu’il mène un cursus scolaire moyen en 1ère bac pro, il participe au braquage d’un garage de la résidence de la Closerie à Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne. Son complice et meilleur ami est tué sur le coup, d’une balle de la police. Deux semaines plus tard, l’affaire est classée. Ce qui attise sa haine des autorités.
Amedy Coulibaly, un parcours chaotique.
Il a 20 ans à peine lorsqu’il dévalise un commerce avec une bande de copains. La fois suivante, il braque une banque à Orléans, puis deux cafés à Paris. Au dernier braquage, la sanction tombe : six ans de prison. Il est condamné par la cour d’assises des mineurs du Loiret pour trafic de stupéfiants, recel, et pour le braquage commis le 7 septembre 2002. En juillet 2009, Amedy Coulibaly se marie religieusement à Grigny, avec la femme qui partage sa vie depuis trois ans, Hayat Boumeddiene (aujourd’hui activement recherché par la police). Le couple s’installe dans un appartement de Bagneux, dans les Hauts-de-Seine. Amedy Coulibaly travaille à l’usine Coca-Cola. Il est même reçu à l’Elysée par Nicolas Sarkozy lors d’une rencontre sur l’emploi des jeunes. Lors de son passage en détention, Amedy Coulibaly s’est radicalisé. A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, il a été incarcéré dans le même bâtiment que Djamel Beghal. Cette figure de l’islam radical, qui purge une peine de dix ans pour avoir projeté un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, le prend sous son aile et convertit aussi un autre détenu du même âge qu’Amedy Coulibaly, Chérif Kouachi.
Le sauveur de l’HyperCacher. Né le 27 juin 1990, Lassana Bathily est originaire du village de Samba Dramané de la region de Kayes, dans l’ouest du Mali. Il est arrivé en France en mars 2006 pour rejoindre son père. Il suit ensuite de 2007 à 2009, un CAP de carreleur-mosaïste dans un lycée professionnel du 19e arrondissement. À l’époque, Lassana est hébergé dans le foyer de travailleurs migrants Saint-Just du 17e arrondissement. Il vit d’entraide avec ses amis maliens, joue au foot dans le stade d’à côté, suit aussi des cours de « remise à niveau »… En 2009, il évite de justesse une expulsion. Soutenu par le Réseau Éducation sans frontières (RESF), il est régularisé et obtient des papiers deux ans plus tard, en 2011.
Ce vendredi 9 janvier 2015, Lassana Bathily travaille comme d’habitude au supermarché HyperCacher de la porte de Vincennes, dans l’est de Paris. Vers 13 heures, un homme armé jusqu’aux dents déboule dans le magasin. Son nom : Amedy Coulibaly. Islamiste radical, il a tué une policière la veille à Montrouge, dans le sud de Paris. À l’intérieur, les nombreux clients présents en ce jour de shabbat comprennent immédiatement la situation. Depuis deux jours la France est plongée dans l’angoisse d’un nouvel acte terroriste après l’ attentat contre Charlie Hebdo par les frères Kouachi qui avait fait 12 morts.
Tout se déroule très vite. Après avoir tué trois personnes, Coulibaly contrôle la dizaine d’otages restant. Pendant ce temps, au fond du magasin, Lassana Bathily conduit discrètement six clients, dont un bébé, vers un escalier qui descend au sous-sol. Une fois en bas, il cache le petit groupe dans une chambre froide, éteint la lumière, et débranche le système de congélation. L’employé malien propose ensuite à ses protégés de s’échapper par le monte-charge puis l’issue de secours. Tous refusent, de peur de se faire repérer. Lassana tente finalement une sortie, seul, et parvient à quitter le magasin les mains en l’air avant d’être plaqué au sol par des policiers. Une fois son identité vérifiée, Lassana informe les forces de l’ordre de la présence des otages au sous-sol. Il leur explique aussi la configuration du magasin et dessine des plans, des informations qui vont se révéler décisives pour la réussite de l’assaut qui se prépare. Amedy Coulibaly est tué par la suite et les otages libérés.Il aura fait en tout 5 morts en deux jours.
La reconnaissance. Le président François Hollande avait téléphoné à M. Bathily le dimanche pour le féliciter de son geste. Présent à Paris pour la grande marche républicaine du 11 janvier, le premier ministre israélien, Benyamin Néthanyahou, avait lui aussi « remercié » Lassana Bathily lors d’un discours en hébreu à la grande synagogue de Paris. Le président malien Ibrahim Boubacar Keita, présent dans la capitale française avait lui aussi reçu le jeune homme pour le féliciter de son acte qui honore le Mali. À l’initiative du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) une pétition en faveur de la naturalisation de Lassana Bathily et adressée à François Hollande a recueilli plus de 270 000 signatures. Louant son « acte de bravoure », le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé, jeudi 15 janvier, que le jeune homme serait naturalisé français mardi 20 janvier.
Oumar TOURE