L’enquête sur l’attentat de Bamako s’annonce difficile
Samedi 7 mars des soldats maliens recherchent des indices sur le lieu de l’attentat qui a fait cinq morts à Bamako.
La nuit n’est pas encore terminée pour Diawoye Diabate. Il mime encore les gestes de la fête en agitant les mains en l’air, simule seul une ronde. « Je dansais avec Mariam Camara qui était là avec son mari, un Canadien. Quand le gars a commencé à tirer, je me suis jeté à terre. Elle a essayé de courir, et une balle l’a traversée », raconte ce vendeur de souvenirs qui, le vendredi 6 mars, était venu à La Terrasse autant pour s’amuser que pour chercher des clients.
Mariam Camara est morte, tout comme le Français Fabien Guyomard, tous deux abattus par un tireur qui a fait irruption dans ce bar-restaurant très fréquenté par les expatriés à Bamako. « Il était très grand, habillé tout en noir et cagoulé. Il a tiré trois rafales. A la première, je croyais que c’était une blague. Après, je me suis mis à ramper et j’ai sauté dans la cour », poursuit le rescapé, à quelques mètres des lieux de l’attentat revendiqué par les djihadistes d’Al-Mourabitoune, le groupe dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, et qui a fait cinq morts.
Le déroulé de cette soirée qui a viré au drame est désormais en bonne partie établi, selon plusieurs sources au fait de l’enquête. Tout d’abord, aux environs de minuit et demi, un homme à moto au « teint clair », le seul pour lequel il existerait un portrait-robot, est contrôlé par une patrouille de police non loin de La Terrasse. Pour se dégager, il lance une grenade qui tue un gardien.
Aucun suspect appréhendé. Cinq minutes plus tard, un véhicule noir dont la marque n’est pas encore déterminée, surgit rue Princesse avec quatre hommes à bord. Un seul membre du commando gravit les escaliers du bar-restaurant installé sur le toit d’une discothèque. « On a eu de la chance qu’il ne sache pas tirer. Il aurait pu faire un carnage bien plus important », dit une source étrangère. Deux personnes sont tuées et huit blessées. Le lieutenant-colonel Belge Ronny Piens qui travaillait pour l’Union européenne a lui été exécuté devant sa voiture garée à une dizaine de mètres de La Terrasse.
←Le président IBK sur la scène de l’attentat le 7 mars.
Dans leur fuite, les assaillants tuent un sergent de police dans un échange de tirs avec les forces de l’ordre dans ce quartier de l’Hippodrome réputé pour sa vie nocturne. A ce jour, une vingtaine de personnes ont été auditionnées, mais aucun suspect n’a été appréhendé. « Nous sommes dans la collecte des indices matériels. Des balles, des douilles, une grenade qui n’a pas explosé et les fragments d’une autre ont été récupérés. Il semble qu’une caméra de surveillance ait filmé la voiture des terroristes », confie sous couvert d’anonymat une source judiciaire malienne.
Une procureure du pôle antiterroriste de Paris accompagnée de dix policiers français sont depuis dimanche à Bamako, mais la traque s’avère délicate. « Plus le temps passe, plus ce sera difficile de les attraper. La capitale comporte de nombreuses portes de sortie », reconnaît une source malienne, déplorant le manque de coordination entre les différents services d’enquête de son pays.
« Scène du crime polluée ». La polémique n’est pas encore lancée, mais plusieurs éléments laissent pantois. Durant les deux jours qui ont suivi l’attentat, responsables politiques, journalistes et curieux ont pu défiler sans la moindre restriction à La Terrasse. « La scène du crime a été polluée », se désolent des sources judiciaires. Plus inquiétant, trois jours avant les faits, un événement aurait dû alerter les autorités maliennes sur la préparation d’un attentat.
Dans les monts Mandé, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, les services de sécurité ont découvert, mardi 3 mars, un camp d’entraînement avec des armes, des munitions, du matériel destiné à fabriquer des explosifs et de la littérature djihadiste. Après avoir quitté précipitamment cette base, les auteurs de l’attentat ont-ils revu leurs ambitions à la baisse alors qu’ils projetaient une opération de plus grande envergure ? L’hypothèse est tentante.
Après cette première attaque terroriste redoutée depuis des années à Bamako, les autorités ont appelé les Maliens à ne pas céder à la psychose. « Nous sommes debout, nous sommes sereins, nous ne sommes pas dans la peur », a déclaré le président Ibrahim Boubacar Keïta. « On nous dit de ne pas paniquer, mais je ne vois pas de mesures visibles de nature à rassurer les uns et les autres », rétorque son ancien ministre de la défense, Soumeylou Boubèye Maïga. A cela, ajoute un enquêteur malien, « quand je sonne l’alerte, on me regarde comme un Martien. On s’amuse trop avec la réalité alors que nous sommes en guerre. »
LE MONDE