Médecine : seuls 151 médicaments seraient utiles
Selon ces spécialistes, les médicaments essentiels ne sont pas forcément les plus prescrits.
Le mensuel Science & Vie publie dans son numéro d’avril 2015 la liste des médicaments « essentiels », à savoir 151 molécules retenues par un groupe de médecins internistes et généralistes qui suffiraient à soigner 95 % des maladies dont souffrent les Français*. Une liste dont s’inspirerait le gouvernement pour produire la première liste officielle dès 2016. Explications.
Avec pas moins de 5 000 médicaments existant sous 15 000 formes différentes, les étagères des officines françaises débordent ! Bien que jugée moins innovante, l’industrie pharmaceutique produit chaque année de nouvelles molécules. Et malgré une efficacité rarement supérieure à celle des produits déjà sur le marché, ces nouveautés les détrônent rapidement. La France est régulièrement citée comme le pays le plus gros consommateur de médicaments en Europe. Avec 48 boîtes en moyenne par an et par habitant, cette consommation médicamenteuse n’est pas sans conséquence sur les comptes de l’Assurance Maladie.
Mais les choses pourraient changer. Depuis 2011, un groupe de médecins internistes et généralistes planchent sur l’élaboration d’une liste de médicaments « essentiels« , qui suffiraient à soigner la très grande majorité des maladies dont souffrent les Français. Ce travail est donc regardé de près par les autorités de santé, qui devraient, selon le magazine Science & Vie, intégrer dans la Loi de Santé actuellement en discussion « un article selon lequel la Haute Autorité de Santé devra élaborer et valider une liste de médicaments à utiliser préférentiellement par les professionnels de santé« . Une liste officielle des médicaments essentiels pourrait ainsi figurer dans la loi dès 2016.
Le groupe de médecins est dirigé par le Pr Michel Thomas, interniste à la faculté de médecine de Bobigny. Le Pr Loïc Guillevin, président de la Commission de la transparence, instance de l’Agence du médicament (ANSM) chargée de rendre des avis sur les molécules, et le Pr Claire Le Jeunne, chef du service de médecine interne du groupe hospitalier Cochin-Paris-Centre et co-rédactrice du livre La Vérité sur les médicaments (qui vient tout juste d’être publié aux Éditions Odile Jacob), y participent, ainsi qu’une dizaine d’internistes et 14 généralistes.
Comment ont-ils fait le tri entre tous les médicaments ? Le magazine explique que « pour chaque pathologie, les médecins ont fait appel à la littérature scientifique et à leur propres expérience. « Rationalité et bonne pratique sont donc les deux piliers de leurs choix, et il ne leur a pas été demandé de prendre en compte le prix des traitements »«
Des blockbusters recalés. Selon ces spécialistes, les médicaments essentiels ne sont pas forcément les plus prescrits. Leur tri s’avère ainsi très sélectif.
Parmi les statines, ces molécules anti-cholestérol qui figurent sur l’ordonnance de pas moins de 6,4 millions de Français, seules la simvastatine (Zocor ou autres) et la pravastatine (Elisor ou autres), autorisées depuis 1991 et 1989, sont retenues par les médecins. Les deux molécules les plus remboursées, la rosuvastatine (Crestor) ou l’atorvastatine (Tahor ou autres) sont, en revanche, écartées.
Les nouveaux antidiabétiques, quant à eux, n’ont pas convaincu les auteurs de la liste, qui ne retiennent que 5 molécules, toutes commercialisées avant 2000. Exit les gliptines (Januvia,Xelevia), pour cause d’efficacité non supérieure à la metformine (datant de 1959) et surtout d’effets secondaires graves (réactions d’hypersensibilité, infections urinaires, pancréatites).
Pour lutter contre la dépression sévère, les inhibiteurs classiques de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont conservés – fluoxétine (Prozac ou autres), sertraline (Zoloft ou autres)-, mais pas les plus récents – citalopram (Seropram), et escitalopram (Seroplex)-, en raison de leurs risques cardiaques. La duloxétine (Cymbalta), pourtant toujours très prescrite, est également écartée pour cause d’effets indésirables supérieurs.
Les anti-arthrosiques les plus populaires ne semblent pas les plus efficaces… Aucun des médicaments à base de diacéréine (Art 50, Zondar), de glucosamine (Voltaflex ou autres), de chondroïtine (Chondrosulf ou autres) ou de piasclédine ne figurent sur la liste des 151 molécules essentielles. En cause ? Les effets indésirables non négligeables de ces antiarthrosiques symptomatiques d’action lente ainsi que leur absence de supériorité par rapport au placebo. Et pourtant, la chondroïtine figure à la 6ème place des médicaments les plus remboursés par les mutuelles en 2014, souligne le magazine. Et que penser des médicaments à base de diacéréine, dont le service médical rendu a été jugé insuffisant et dont la tolérance est très mauvaise, mais qui reste commercialisée ?
Parmi les anti-hypertenseurs, les sartans sont jugés efficaces sauf l’olmésartan (Alteis, Olmetec et autres) suspecté d’affecter l’intestin. Les diurétiques tels le furosémide (Lasilix ou autre) ou la spironolactone (Aldactone ou autres) gardent la faveur des médecins.
Les risques d’hémorragie des nouveaux anti-coagulants oraux (Naco), mis sur le marché en 2011, les écartent définitivement de la liste des 151 médicaments essentiels, d’autant plus que l’amélioration du service médical rendu qu’ils apportent par rapport aux antivitamines K est jugée au mieux mineure (Eliquis) au pire nulle (Pradaxa, Xarelto).
Ne figure pas davantage sur la liste la copie de l’oméprazole (Mopral, qui lui en fait partie), jugé beaucoup trop onéreux par rapport aux autres anti-ulcéreux : exit donc l’Inexium (ésoméprazole), qui avait été fabriqué lorsque le brevet de l’oméprazole était tombé dans le domaine public, et vendu à un prix deux fois plus élevé sans une réelle plus-value thérapeutique.
Si les antibiotiques ne sont pas automatiques, la pristinamycine (commercialisée sous le nom de Pyostacine) devient carrément déconseillée ! Ce blockbuster, qui fait partie des médicaments les plus vendus en France depuis sa commercialisation dans les années 1970, s’avère inefficace dans certaines situations et peut provoquer des effets cutanés graves. Pour la remplacer, les médecins pourront se rabattre sur l’amoxicilline (Clamoxyl ou autres), l’ofloxacine (Oflocet ou autres) ou, mieux, la vancomycine, plus efficace contre les infections complexes. Seul problème : sa forme galénique, en injection uniquement.
Malgré des efforts majeurs pour développer des médicaments contre la maladie d’Alzheimer, aucune des quatre molécules sur le marché -mémantine (Ebixa), rivastigmine (Exelon), donépézil(Aricept), galantamine (Reminyl)- n’est véritablement efficace mais toutes provoquent des effets indésirables sérieux et peuvent en outre interagir avec d’autres médicaments (notamment les traitements cardiovasculaires, les neuroleptiques…) souvent prescrits aux personnes âgées.
Enfin, même le plus populaire des anti-inflammatoires non stéroïdiens ne figure pas sur la liste des 151 : des études ont montré en 2012 qu’une forte consommation (doses élevées et longue durée) de diclofénac (Voltarène) engendre trop d’effets indésirables au niveau cardiovasculaire. De nombreux coxibs (célécoxib (Celebrex), étoricoxib (Arcoxia), parécoxib (Dynastat)), qui avaient révolutionné la prise en charge de la douleur lors de leur sortie, sont également remisés.
La « liste sage » des Suédois existe depuis 2000. Science & Vie explique que l’idée de produire une liste de médicaments essentiels a été inspirée par les Suédois, qui ont produit leur propre « liste sage » dès 2000. A l’initiative du projet, le Pr Lars L. Gustaffson, qui constate que 200 médicaments suffisent pour soigner la plupart des patients de son pays. La publication de cette liste ne s’est pas faite sans dommages : très réticents au début, les médecins étaient certains de déjà prescrire les meilleurs médicaments, avant finalement d’accepter le concept. Les principales réserves ont logiquement émané des industriels, qui depuis font pression pour inclure leurs médicaments.
Les industriels dénoncent une liste inutile. En France, Philippe Lamoureux, le directeur général du Leem, qui représente l’industrie pharmaceutique, a déjà réagi, jugeant que cette liste « va compliquer la situation » alors qu’ »il existe déjà assez de documents officiels comme les avis de la Commission de transparence avec le Service médical rendu (SMR), l’Amélioration du service médical rendu (ASMR), le guide des bonnes pratiques de l’ANSM, les recommandations de la Haute Autorité de Santé…«
Plus que compliquer la situation, la liste n’aurait-elle pas au contraire le mérite de simplifier les choses ? Dès 2011, le premier directeur de l’Agence nationale de Sécurité du médicament, le Pr Dominique Maraninchi reconnaissait qu’il y avait trop de médicaments en France.
Si comme l’avance le magazine Science & Vie, la loi actuellement en discussion à l’Assemblée engage la HAS à élaborer une telle liste, il restera à savoir quel statut légal lui sera conféré en cas d’adoption par les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat). Cette liste aura-t-elle un caractère contraignant ou incitatif ? La liste élaborée par ce groupe restreint de spécialistes servira-t-elle de base à la Haute Autorité de Santé ? Sera-t-elle ouverte à d’autres contributeurs ?… Autant de questions qui devraient trouver leurs réponses lors des prochaines discussions au Parlement.
*Les médicaments évalués excluaient les vaccins et les traitements contre les maladies rares.
Amélie Pelletier
Sources : Science & Vie, n°1171, avril 2015, p.40-47.