Centrafrique : des soldats du Tchad et de Guinée équatoriale également accusés d’abus sexuels
Des soldats de l’opération Sangaris en Centrafrique, le 11 février 2014. (AFP)
Un rapport confidentiel de l’ONU, dévoilé mercredi, faisait déjà état de viols commis entre décembre 2013 et juin 2014 sur des enfants par des militaires français.
L’affaire d’abus sexuels sur des mineurs de la part de militaires étrangers en Centrafrique prend encore de l’ampleur, jeudi 30 avril. Après les soldats français, ce sont des Tchadiens et des Equato-guinéens qui sont pointés du doigt dans un rapport de l’ONU, révèle une ONG américaine.
Il s’agit de trois soldats tchadiens et deux équato-guinéens, selon la co-directrice de l’ONG américaine Aids-Free World, Paula Donovan, qui a consulté le rapport et l’a communiqué au journal britannique The Guardian.
Quatorze miliaires français mis en cause. Une petite minorité d’entre eux a été identifiée dans l’enquête conduite par le parquet de Paris. La journaliste du Guardian a lu des extraits du récit d’un enfant de 11 ans. Il explique qu’un soldat français lui a demandé de lui faire « une fellation » contre des biscuits.
←Anders Kompass
Parmi les soldats mis en cause, « très peu » ont été identifiés. Et ceux qui l’ont été n’ont pas encore été entendus. Mais ils le seront prochainement. L’enquête préliminaire, ouverte après la transmission d’un rapport du ministère de la Défense, vise à vérifier la matérialité des faits allégués, notamment par le biais d’auditions, et à établir les responsabilités le cas échéant.
Quant aux mineurs témoignant contre les soldats, on en dénombre six à ce stade de l’enquête, âgés de 9 à 13 ans, dont quatre se disent victimes directes et deux se présentent comme des témoins de faits. Dans le cadre de l’enquête, ouverte en juillet 2014, la section des affaires militaires du parquet a pu récupérer les réponses écrites d’une employée de l’ONU qui a « recueilli et relaté » les témoignages des enfants, a indiqué le parquet de Paris.
Le parquet a aussi précisé qu’il demanderait la déclassification de l’enquête interne, dite de commandement, qui est conduite au sein de l’armée. De son côté, le porte-parole du ministère de la Défense, Pierre Bayle, a affirmé qu’il n’y avait « aucune volonté de cacher quoi que ce soit » de la part de l’armée.
Contre l’avis de sa hiérarchie, c’est un cadre de l’ONU, Anders Kompass, qui a alerté les autorités françaises des soupçons de viol pesant sur certains de ses soldats.
La FIDH a dénoncé la responsabilité de l’ONU, après les révélations du Guardian (en anglais). La Fédération internationale des droits de l’homme estime que l’ONU « étouffe fréquemment certains crimes » et fustige la suspension du fonctionnaire qui a révélé les accusations de viols d’enfants. Les Nations unies ont ouvert une enquête au printemps 2014. François Hollande promet d’être « implacable ». « Si certains militaires se sont mal comportés, je serai implacable », a prévenu le chef de l’Etat.
Sur le site de l’aéroport de M’Poko, à Bangui (Centrafrique), des mères de familles qui vivent dans le camp ne sont pas surprises par les accusations de viols pesant contre des militaires français. Deux femmes parlent d’actes pédophiles, orchestrés par des soldats étrangers sur le site avec « des enfants de 13 ans à 14 ans, jusqu’à 16 ans ».
Chaque année, des dizaines de cas de violences sexuelles, commises par des soldats intervenant sous mandat national ou de l’ONU, sont dénoncés dans les zones de conflit. En 2014, le nombre d’accusations officiellement recensées chez les Casques bleus s’est élevé à 51, selon un rapport annuel de l’ONU. Ces affaires donnent-elles lieu à des sanctions exemplaires ? Plusieurs précédents, ont été rarement sanctionnés.
Avec AFP
A Bangui, «c’était un secret de Polichinelle»
Après la révélation de viols d’enfants centrafricains par des soldats français, le parquet de Bangui a ouvert jeudi une information judiciaire.
Le camp de déplacés à Bangui qui borde les pistes de l’aéroport M’Poko est immense. Il s’agit du plus grand du pays. Un peu plus de 20 000 personnes s’y entassent aujourd’hui. Au plus fort de la crise dans le pays, début 2014, il en accueillait plus 100 000 qui avaient fuit les violences dans leurs quartiers. Alors comment les enquêteurs de l’ONU sont-ils parvenus à identifier les enfants qui se disaient victimes d’abus sexuels de la part de soldats français? C’est très simple selon un responsable de l’ONU en Centrafrique : «Dans ce camp, c’était « un secret de polichinelle »». Il a été révélé mercredi par le quotidien anglais The Guardian sur la base d’un rapport confidentiel des Nations unies qui dénonce des viols perpétrés entre décembre 2013 – premier mois de l’opération de l’armée française en Centrafrique- et juin 2014.
C’est en mai 2014 que débute l’enquête préliminaire. Le bureau des droits de l’homme de l’ONU en Centrafrique, qui enquête alors sur des exactions commises par des soldats Tchadiens dans la capitale, se rend dans le camp de déplacés M’Poko. Les trois enquêteurs qui ont eu vent de rumeurs concernant des violences de soldats à l’égard d’enfants viennent vérifier sur le terrain. Selon nos informations, ils vont alors interroger 12 personnes, parmi lesquelles 6 enfants. Les autres sont des proches ou des témoins directs. Ces enfants particulièrement démunis, certains orphelins, trainent à l’entrée du camp à la recherche de quoi se nourrir ou d’objets à récupérer. Des jeunes garçons âgés de 9 à 13 ans qui vont décrire des sévices perpétrés par des soldats français, en échange de nourriture. Ils mettent en cause «plus d’une dizaine de soldats» indique ce responsable de l’ONU. Une source judiciaire citée par l’AFP évoque 14 militaires mis en cause dont «très peu ont été identifiés» pour le moment.
Indignation. En juillet 2014, alors que le rapport préliminaire de l’ONU est en phase de finalisation, il sera transmis aux autorités militaires françaises par Anders Kompass, un fonctionnaire de l’ONU. Le 29 juillet, l’armée saisit le parquet de Paris qui ouvre alors une enquête préliminaire. Le 1er août, des gendarmes se rendront en Centrafrique pour enquêter à leur tour.
A Bangui, le procureur de la République Ghislain Grésenguet a ouvert jeudi une information judiciaire. «Le parquet est totalement indigné de ne pas avoir été mis au courant de ces faits extrêmement graves qui ne pourraient être passés sous silence, s’indigne le magistrat informé hier par la radio RFI. J’ai demandé à la section de recherche et d’investigation de se rendre dans le camp et d’identifier de potentielles victimes.» Ghislain Grésenguet assure par ailleurs qu’il va saisir l’ambassade de France en Centrafrique ainsi que les services des Nations unies présents dans le pays afin qu’ils lui transmettent un dossier complet.
François Hollande, lui, a déclaré qu’il serait «implacable» si les faits sont avérés.