Hervé Ladsous : « sans la Minusma, l’accord de paix n’aurait pas été possible»
Hervé Ladsous, SGA aux opérations de maintien de la paix et Mongi Hamdi, chef de la Minusma, le 16 mai à Bamako.
L’impartialité de la Minusma a été remise en question; sa contribution n’a pas été reconnue par les autorités maliennes alors que sans elle ni les élections, ni le retour de l’administration au nord, encore moins l’accord de paix n’auraient pas été possibles. Telle est la substance de la conférence de presse animée par Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU.
« Alors, quand je parle d’impartialité, c’est évidement pour regretter qu’hier (15 mai, Ndlr) durant les débats, l’impartialité de la Minusma ait pu être mise en question. Non. Je vous dis clairement ce n’est pas le cas. », a expliqué Hervé Ladsous, revenant sur l’incident qui l’a opposé au président de la République Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) lors de la cérémonie de signature de l’accord de paix. On se rappelle que ce dernier avait dit qu’il « serait convenable que les Nations unies fassent preuve de justice et d’équité » entre l’Etat malien et les groupes rebelles. « Il est temps que les malices cessent et que ceux qui ont en charge de missions d’aider à parvenir à la paix fassent en sorte que les choses soient transparentes, qu’ils soient d’égale partage », avait-il lancé.
Pour M. Ladsous, la Minusma joue son rôle – tout son rôle – pour aider les parties maliennes à s’acquitter de leurs engagements ; des engagements qu’elles ont souscrits elles-mêmes, librement. « Et notre rôle, c’est de les accompagner et de faire avancer le processus de paix qui doit être, encore une fois, inclusif. Le mot « inclusivité » est clairement l’une des préoccupations dans l’esprit du Conseil de Sécurité. Cette inclusivité doit bien être là », a-t-il clamé.
Non-reconnaissance. Il a regretté que la cérémonie de signature de l’accord de paix n’ait pas été l’occasion de reconnaitre toutes les contributions que la Minusma, depuis bientôt deux ans qu’elle est opérationnelle, a apporté à ce pays. « J’en citerai trois, à titre d’exemple. La première : les élections présidentielles, puis les élections législatives de 2013. Sans la Minusma, je ne suis pas sûr qu’elles se seraient passées dans les conditions que vous avez connues à l’époque. La deuxième contribution, c’est la restauration des prérogatives de l’Etat malien dans le nord du Mali : le retour des préfets, des sous-préfets et d’institutions de sécurité. Certainement pas encore à une échelle suffisante, mais c’est un processus qui est engagé et qui se poursuit.
Et puis, le troisième exemple, c’est tout simplement l’accord de Bamako hier… Cet accord se serait-il concrétisé sans la contribution active et constante et de tous les instants de la Minusma, pour mobiliser les acteurs, pour les convaincre de s’associer ? … je crois qu’on peut douter que la Coordination aurait paraphé l’accord à Alger il y a trois jours. Je crois qu’on peut douter que certains participants de la Coordination auraient signé, eux, hier ».
Ladsous a expliqué qu’il faut bien mesurer la contribution de la mission de l’ONU en n’ignorant le prix humain qui a été très lourd. D’après lui depuis la Somalie dans les années 90, aucune mission de maintien de la paix des Nations Unies n’a été aussi coûteuse en vies humaines : 35 morts, 155 personnes grièvement blessées. Et depuis le début de l’année, 78 attaques contre des convois ou des installations de la Minusma.
« C’est vraiment une préoccupation et, je crois, une contribution dont j’aurais eu l’espoir qu’elle fut reconnue, saluée hier. Ça n’a malheureusement pas été le cas », a-t-il regretté.
« Je crois que le Mali – je le crois profondément et nous le croyons tous –est un Etat souverain, un Etat qui doit être respecté et nous le respectons. Mais prenons les choses dans leur juste proportion et reconnaissons quand même que ce qui a été fait par la communauté internationale, par les Nations Unies, et peut-être aussi par exemple par la France… Ai-je entendu hier un seul mot pour remercier la France pour l’opération Serval, pour l’opération Barkhane ? Non. C’est curieux quand même. Je vous le dis, c’est quand même la première fois dans l’histoire du Mali que toute la communauté internationale s’est mobilisée pour aider votre pays », a clamé Hervé Ladsous.
Il veut que soit un petit peu reconnu les sacrifices humains, le courage dont font preuve au quotidien les soldats, les policiers, les civils qui sont bombardés, frappés par des obus de mortier et qui sautent sur des mines…
Violations de cessez-le-feu. Dans son intervention lors de la cérémonie de signature de l’accord de paix, Hervé Ladsous, a souligné que toutes les parties se sont montrées responsables de violations de cessez-le-feu. Une information démentie par le président de la République IBK a fait remarquer que le Mali a toujours respecté ses engagements. Et la réponse du secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU est que depuis le 27 avril il y a des violations par tout le monde du cessez-le-feu. « Il y a eu des violations par la CMA, c’est vrai, à Tombouctou, à Léré et dans d’autres endroits. Mais il y a eu aussi des violations par la Plateforme à Ménaka », a-t-il insisté.
Et quant aux forces armées maliennes (FAMa), sa réponse est plus mitigée. « Écoutez, je n’ai pas connaissance d’incidents qui aient impliqué directement les FAMa mais il y a des situations où on s’est un petit peu interrogé. Quand on voit tel ou tel membre de la Plateforme qui a lancé une action contre telle ou telle localité et que, oh comme c’est curieux, les FAMa déboulent derrière… Mais je n’en tire pas de conclusion, j’observe simplement », a-t-il marmonné.
Selon M. Ladsous, les sanctions sont brandies par le Conseil de Sécurité de l’ONU contre ceux qui ne respecteront pas le cessez-le-feu et qui seront responsables reconnus de violations.
Les premières sanctions portent sur l’interdiction de se déplacer a l’étranger, le gel des avoirs bancaires. Après, il peut y avoir encore d’autre sanctions d’une autre nature où les faits pourraient être qualifiées de crime contre l’humanité ou de crime contre le droit humanitaire.
Renforcer la Minusma. Selon M. Ladsous le Conseil de Sécurité va renouveler le mandat de la Minusma d’ici la fin du mois de juin. Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon soumettra dans ce but un rapport au Conseil de Sécurité dans les premiers jours de juin. Quelles sont les options ? Au mois de novembre 2014, le Conseil de Sécurité a fait une séance de brainstorming à laquelle le Gouvernement malien a été associé pour dégager des pistes. « Il y a effectivement en théorie la possibilité d’un scénario à la Monusco où il y a deux ans, un peu plus, le Conseil de Sécurité a décidé de créer au sein de la Monusco ce qu’on appelle une brigade d’intervention. Le Conseil avait bien dit à l’époque que c’était un scénario exceptionnel, et qu’il n’était pas susceptible d’être recopié ailleurs. Certains, notamment dans cette région de l’Afrique ont agité aussi l’idée d’une brigade régionale. Tout ça, je crois, a été discuté. A ce stade, le Conseil de Sécurité n’a pas décidé de se lancer dans l’une ou l’autre option », a affirmé M. Ladsous.
Selon lui le mandat de la Minusma est déjà robuste. « Je ne crois pas que rajouter une force régionale ou une force d’intervention serait de nature à changer fondamentalement la donne. Ce qu’il faut surtout, et nous y travaillons activement, c’est continuer à renforcer les personnels militaires et sécuritaires, renforcer les équipements et les durcir, parce que face à une menace asymétrique que nous ne rencontrons pratiquement nulle part ailleurs dans le monde avec un telle intensité, il nous faut durcir la protection, c’est-à-dire davantage de blindés, davantage de matériel dédié pour assurer la sécurité de nos camps, la sécurité de nos convois, et ainsi pouvoir dégager davantage de ressources pour faire le travail là où il a besoin d’être fait ».
Oumar TOURE