Gao : la psychose de la guerre
« Les gens ont peur de sortir de Gao, de s’éloigner même de quelques kilomètres », affirme un habitant de la ville.
Ils dormaient à la fraîche, près de l’eau sur la berge du Niger, quand avant l’aube l’explosion d’une roquette tirée sur le camp voisin de l’ONU a semé la panique chez les maraîchers de Gao, principale ville du nord du Mali.
« Tout le monde s’est réveillé. On a couru vers les maisons, les enfants pleuraient », raconte à l’AFP Mohamedou Sekou Maïda, 39 ans, qui peine à nourrir ses neuf enfants en faisant pousser salades et melons sur un lopin de terre rouge, irrigué par une moto-pompe offerte par l’armée française.
« Depuis, nous ne descendons plus au fleuve, malgré la chaleur de la nuit. Nous restons dedans, aux aguets », dit cet homme maigre aux bras noueux. Autour de lui, les parcelles vertes de jeunes pousses s’étendent sur deux hectares. Des manguiers poussent près des réservoirs, on arrose au rythme d’un poste de radio.
« Ces attaques ne sont pas fréquentes, une à deux fois par mois, mais ça suffit pour faire peur. Les gens qui font ça sont des imbéciles qui s’en foutent du Mali. Tout ce qu’ils veulent, c’est détruire », gronde-t-il.
Juste avant l’aube vendredi, le projectile tiré d’un plateau surplombant la ville a touché, sans faire de victime, l’enceinte de la base de la force de l’ONU, la Minusma.
Dans le camp militaire français voisin, les soldats de l’opération Barkhane ont été réveillés par un long trait de sirène et se sont rués aux abris, d’où ils ont vu le jour se lever, avant la fin de l’alerte une heure plus tard.
A Gao, la grande ville du Nord d’où les jihadistes ont été chassés en janvier 2013, la sécurité est assurée par les soldats maliens et de l’ONU. Ils peuvent faire appel, en cas de besoin, au contingent français, basé près de l’aéroport.
« Résultat, dans la ville, ça va… un peu » confie, sous son étal près des halles centrales, le directeur du marché, Amadou al-Hassan. « Les bandits armés, ils savent que s’ils entrent dans Gao, ils n’en sortiront pas vivants. Alors parfois ils tirent des roquettes, de loin, comme hier. Mais le problème, c’est à l’extérieur ».
– Tout étranger est suspect – Samedi, le marché, reconstruit après avoir brûlé en janvier 2013, grouille de monde. Installés au bord du fleuve, les commerçants y proposent les produits locaux, légumes et poissons séchés, mais faire venir des marchandises de loin est plus difficile.
« Les gens ont peur de sortir de Gao, de s’éloigner même de quelques kilomètres », dit Amadou al-Hassan. « Les commerçants qui veulent monter des marchandises, de Bamako ou d’ailleurs, se font arrêter, voler. Il n’y a pas de sécurité. Des bandits armés coupent les routes, on ne sait jamais exactement qui ils sont ».
Cette ambiance de suspicion généralisée, où tout étranger à la ville est suspect, c’est surtout ce que regrette Issouf Maïga, 32 ans, régisseur de Naata (Espoir), une des 14 radios locales de Gao. « Il y a des bombes qui explosent au passage des voitures sur certaines routes, parfois, ce sont des tirs de mitrailleuses », énumère-t-il, déplorant « un climat de peur ». »Et moi aussi, j’ai peur… J’ai peur pour ma mère, surtout. Tous les mardis, elle sort de la ville pour aller faire un marché. Tant qu’elle n’est pas revenue, je pleure, je ne vis plus », dit-il.
« Le problème, c’est que nous, les Noirs, nous ne savons pas faire la différence au premier coup d’oeil entre un Tamashek (touareg) et un Arabe. Alors, on a peur de tout le monde. De tous ceux qu’on ne connaît pas ». « Ceux qui ont collaboré avec les bandits jihadistes quand ils occupaient la ville, on sait qui ils sont, ils ne peuvent pas revenir. Mais les autres, on ne sait pas… Alors la population a peur de tous ».
Signe de cette psychose, le 7 mars à Gao, quelques heures après l’attentat anti-occidental de Bamako, deux mineurs arabes ont été lynchés à mort et leurs corps brûlés par la foule qui les avait pris pour des poseurs de bombes, alors qu’ils appartenaient à la famille de responsables pro-gouvernementaux hostiles aux rebelles.
Selon Issouf Maïga, la priorité est de parvenir à un accord de paix entre Bamako et la rébellion à dominante touareg.
« Tant qu’il n’y aura pas d’unité au Mali, les bandits armés en profiteront, on vivra toujours dans la confusion et le danger », dit-il. « Si nous sommes unis, ils devront fuir le Mali ».
AFP