Au Mali, décentraliser l’Etat pour enraciner la paix
« Ce n’est pas la force armée qui peut résoudre un problème politique »Moussa Mara, ancien premier ministre malien.
Moussa Mara sera-t-il le prochain maire de Bamako? A 40 ans, cet homme politique malien respire, en tout cas, la confiance. En visite à Paris, il reconnait sa déception après le report sine die des élections communales et régionales qui devaient se dérouler le 25 octobre 2015. Candidat dans la capitale malienne, il affirme que les sondages lui étaient très largement favorables.
Il appartient à la majorité présidentielle formée pour soutenir le président de la république Ibrahim Boubacar Keïta, mais pas au parti présidentiel. En juillet 2010, il a en effet formé le parti Yéléma (« changement », en bambara), qui lui permet d’élargir son assise à travers le pays. Il veut faire de sa jeunesse un atout, dans un pays où 85% de la population a moins de 40 ans. Son passage au poste de premier ministre, d’avril 2014 à janvier 2015, lui a en outre permis de se frotter aux réalités diverses du pays.
« Aux yeux du MNLA, je suis le diable », reconnait-il, amusé, en allusion au Mouvement national de libération de l’Azawad, une des composantes politiques et militaires de la population touareg. Le nom de Moussa Mara reste associé à l’échec d’une tentative d’affirmation de l’autorité de l’État à Kidal, la principale ville du nord-est. Sa visite le 17 mai 2014 , un peu plus d’un mois après avoir été nommé premier ministre, suscita une reprise des combats entre des groupes rebelles et l’armée malienne, qui fut mise en déroute quelques jours plus tard, tandis que lui était acclamé par des sympathisants à son retour à Bamako. Il participa ensuite à la reprise des négociations entre l’État et les groupes rebelles, qui aboutiront, en mai 2015, à un accord de paix, dit accord d’Alger.
« La prééminence de l’État, dans le cadre d’une régionalisation »
« Nous sommes à un moment décisif dans le nord », explique-t-il, lors d’une rencontre dimanche 8 novembre dans un hôtel proche de la gare de l’Est. « Personnellement, j’appelle certes à la prééminence de l’État mais dans le cadre d’une régionalisation qui permette à tous les territoires, y compris aux périphéries, d’assumer leur développement. Je ne suis pas un va-t-en-guerre. Au fond, je pense que ce n’est pas la force armée qui peut résoudre un problème politique et qu’il faut mener une stratégie qui permette de garder les périphéries au sein du pays ».
« Il faut changer la constitution »
« Je défends le projet d’un Mali très fortement décentralisé », insiste-t-il. « L’accord de paix est une occasion en or, si l’État sait l’appliquer. Il faut changer la constitution, voter des dizaines de lois pour mettre en place un dispositif administratif et réglementaire qui redonne de l’air et des moyens à la base, aux territoires. La majorité doit adopter ces textes et les mettre en œuvre sans tourner la tête à droite ou à gauche, sans sous-traiter l’accord à des forces extérieures. J’aimerais que la France fasse passer ce message ».
« L’année 2016 sera cruciale pour l’avenir du Mali »
« Bien sûr, tout ceci est de la responsabilité du chef de l’État, le détenteur de l’autorité suprême, qui doit déterminer sa vision par rapport au Nord », souligne l’ancien premier ministre. « Nous sommes dans une période intérimaire qui est prévue pour durer de 18 à 24 mois, c’est-à-dire au maximum jusqu’au premier semestre de 2017. L’année 2016 sera cruciale pour l’avenir du Mali. Il faudra adopter une nouvelle constitution, mettre sur pied une conférence d’entente nationale, engager le processus de cantonnement puis de désarmement des mouvements armés. Disons que 95% de la mise en œuvre de l’accord d’Alger relève de l’État. Je compte aider, depuis la position que j’occupe ».
Natif de Bamako, Moussa Mara a été pendant quelques années maire de la commune 4, qui fait partie de la grande municipalité à l’ouest de la capitale. De grands travaux y ont été menés, notamment sur le site de l’ancien aéroport. De nouveaux quartiers plutôt huppés s’y sont développés et des banques, des administrations y ont été installées, ainsi que la primature, le siège des services du premier ministre.
« Le taux de croissance de Bamako, le plus élevé d’Afrique »
« Bamako compte aujourd’hui 3,5 millions d’habitants », commente-t-il. « Sa population croit au rythme de 3 % par an : c’est le taux le plus élevé d’Afrique, le sixième dans le monde. Cela s’explique par la croissance naturelle de la population urbaine et par l’exode rural. La ville s’étire, s’étale, le schéma directeur n’est pas respecté et les services sont très en retard ».
« Un quatrième pont sur le fleuve Niger »
« Les deux principaux défis sont l’assainissement et la mobilité urbaine », décrit-il. « L’évacuation des déchets solides et liquides est un enjeu de santé publique et de qualité de vie. Quant aux transports, si des travaux importants d’infrastructures ne sont pas entrepris, la circulation sera ingérable d’ici 5 ou 10 ans. Il faut prévoir un contournement de la ville, à la manière d’un périphérique; le déplacement d’entrepôts du centre vers la périphérie pour écarter les poids lourds; la construction d’un quatrième pont sur le fleuve Niger – Bamako est plus étendu que Paris mais ne compte que trois ponts -; la construction de lignes de tramway. Il faut créer plusieurs centres dans l’agglomération ».
« Le sentiment, chez beaucoup, d’une illégitimité de l’État »
« Si je suis élu maire, lorsque les élections seront organisées – en 2016, je l’espère – je voudrais aussi faire comprendre aux administrés que la mairie, c’est leur maison commune », ajoute Moussa Mara. « Les citoyens perçoivent trop l’État et l’administration comme des forces hostiles, qu’on n’accepte qu’à contrecœur. C’est cela, la grande fragilité de l’État malien. La plus grande menace pour la stabilité du pays, ce ne sont pas les terroristes, c’est le sentiment, chez beaucoup, d’une illégitimité de l’État ».
« Une terrible frustration »
« Les citoyens n’adhèrent pas car ils ont le sentiment que l’État n’arrive pas à fournir les services de base – la sécurité, la justice, l’éducation, la santé.. », argumente-t-il. « Bien plus, ils ont l’impression qu’il organise l’iniquité et l’inéquité sociale, en permettant à certains de se répartir des avantages, des situations, des marchés. Cela génère une terrible frustration et une rébellion qui s’exprime parfois de façon ouverte, avec le terrorisme ou le banditisme, parfois de façon sourde, avec l’économie informelle ».
« Un New Deal qui appuie les principes de bonne gouvernance »
« La communauté internationale, qui fournit l’argent du développement, doit mettre dans la balance une transformation positive de l’État », insiste l’ancien premier ministre. « Le Mali vient d’obtenir 3 milliards d’euros des donateurs. Il faut que cela s’inscrive dans un New Deal qui appuie les principes de bonne gouvernance, de démocratie, de renouvellement des élites. L’État doit aussi rationaliser ses dépenses, élargir l’assiette fiscale – aujourd’hui 95% des recettes reposent sur l’impôt payé par des sociétés étrangères. Les donateurs doivent aussi soutenir la société civile. Le Mali a besoin d’investissements massifs, d’un plan Marshall, mais qui ne doivent pas être délivrés sans contreparties ».
« Régénérer l’État par le bas plutôt que l’imposer par le haut »
« Là encore, le développement s’accélèrera si l’État regagne en légitimité », reprend Moussa Mara. « L’État est aujourd’hui perçu comme une contrainte. Il faut le régénérer par le bas plutôt que l’imposer par le haut. Il faut changer la Constitution dans le sens d’une décentralisation, renforcer la gouvernance au niveau des régions et des grandes agglomérations. L’État se renforcera en se mettant au service du bien commun, en facilitant le développement local et régional. en développant les services au plus près de la population ».
« Les leaders religieux sont peu disposés à parler de natalité »
« Ces orientations sont d’autant plus importantes que la population du Mali est jeune », conclut-il. « Soixante-quinze pour cent a moins de 35 ans, 85% a moins de 40 ans. C’est une chance, bien sûr, en terme de dynamisme – si le Nigeria est devenu la première puissance économique d’Afrique, ce n’est pas grâce au pétrole mais grâce à la croissance de sa population qui génère une très forte offre de services. Mais à condition que l’on sache débattre sérieusement de la question démographique. Aujourd’hui, pour absorber la poussée de la population, il faudrait un taux de croissance économique de 10 %. A 6%, on garde tout juste la tête hors de l’eau. Mais les leaders religieux sont très peu disposés à parler de ces sujets, que ce soit les imams ou les prêtres ».
Source La Croix
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