Au Mali, les journalistes sont muselés au profit des influenceurs
À Bamako, la liberté d’informer est de plus en plus menacée. Les médias étrangers ne sont pas épargnés ; certains sont même interdits. Conséquence : le Mali chute de 12 places au nouveau classement de la liberté de la presse et se retrouve 111e sur 180 pays.
(Ouest-France) La voix de Karim* vacille. Vous comprenez, si je continue, ce sera la prison pour moi, lance-t-il avec une grimace perceptible à l’autre bout du fil. Du jour au lendemain, ce journaliste malien d’une quarantaine d’années a dû laisser tomber son enquête sur la présence russe dans son pays.
Un commissaire que je connais m’a dit qu’il avait entendu parler de mes recherches et qu’il valait mieux que j’abandonne, développe-t-il.
Les libertés de la presse et d’expression sont aujourd’hui réduites comme une peau de chagrin au Mali. Un rétrécissement de l’espace civique et du débat démocratique, préfère dire pudiquement Alioune Tine, expert indépendant des Nations unies, en visite au Mali à la mi-février.
Depuis janvier, les journalistes et tous ceux qui se risqueraient à critiquer la transition, en place depuis août 2020, sont muselés ou encore écroués. Étienne Fakaba Sissoko, économiste, en est l’exemple concret. Parce qu’il avait alarmé les Maliens sur les conséquences que pourrait avoir l’embargo économique et financier imposé depuis le 9 janvier par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), il demeure aujourd’hui en prison dans l’attente de son jugement.
Ces influenceurs qui relayent la propagande
Les médias étrangers ne sont pas en reste. Depuis le 17 mars, France 24 et Radio France internationale (RFI) sont inaccessibles sur toute l’étendue du territoire et le gouvernement promeut un journalisme patriotique.
Tant et si bien que certains influenceurs, qui reprennent à cor et à cri les messages diffusés par le gouvernement, prennent une place prépondérante dans le paysage médiatique malien. Dans une imprimerie de la colline du savoir du quartier de Badalabougou – appelée ainsi parce que l’université des sciences sociales s’y dresse -, un commerçant écoute attentivement Sékou Tounkara, surnommé le Patriote politologue, sur son téléphone.
Depuis son taxi de New York où il vit, l’homme d’une quarantaine d’années, suivi par près de 460 000 personnes à travers ses différentes pages Facebook, profère des discours à la gloire de la junte au pouvoir et il n’hésite pas à relayer la propagande de Moscou sans jamais être contredit.
Contre des logements sociaux
Toute cette clique d’influenceurs dont fait partie le politologue a été achetée par le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, affirme une source malienne. Certains d’entre eux, connus pour être de fervents défenseurs du gouvernement, apparaissent en effet sur une liste d’attribution de logements sociaux. D’autres proches du Premier ministre s’y trouvant, ce dernier a dû revenir sur les différentes dotations face à une population remontée contre la corruption endémique qui mine le pays.
Au début conciliant, le président de la Maison malienne de la presse, Bandiougou Danté, a haussé le ton le 14 avril dernier, assurant que le soutien patriotique ne doit jamais nous amener à sacrifier les principes essentiels de défense de la liberté de la Presse et de la liberté d’expression.
La situation est particulière, mais, après plusieurs alertes, la Maison de la presse s’est réveillée et le quatrième pouvoir est plus que jamais solidaire, assure une journaliste sous couvert d’anonymat.
*Les noms ont été modifiés