Avion présidentiel : une transaction mafieuse
L’ex titulaire du ministère de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubèye MAIGA (à gauche) en consultation avec le président de la République Ibrahim Boubacar KEITA (IBK).
Le voile se lève sur le montage financier mafieux, les sociétés-écrans et les paradis fiscaux qui ont prévalu à l’achat du second avion présidentiel.
Entendu par le Vérificateur Général, Amadou Ousmane TOURE dans le cadre des enquêtes sur l’acquisition d’un aéronef présidentiel l’ex titulaire du ministère de la Défense et des anciens combattants (MDAC), Soumeylou Boubèye MAIGA a fait des révélations. Selon lui, l’achat d’un second avion présidentiel, un Boeing 737, n’a pas fait l’objet d’une détermination de besoin. « Il s’agissait d’une décision de souveraineté et le MDAC n’a servi que de couverture afin de faire passer la dite acquisition sous l’empire de l’article 8 du CMP (Code des marchés publiques) ». Autrement dit une façon de le placer sous le sceau du secret-défense, pour échapper à tout contrôle.
Cacophonie gouvernementale D’après M. MAIGA, le montant de la transaction pour l’acquisition l’avion présidentiel est de 7milliards 470 millions de FCA, ce qui explique la récente immobilisation de l’appareil en Suisse à la demande du fisc américain. Pourtant dans une intervention publique, le Président de la République Ibrahim Boubacar KEITA avait déclaré qu’il avait coûté 17 milliards, tandis-que le Premier ministre Moussa MARA avait solennellement affirmé devant l’Assemblée nationale que le Boeing 737 avait été acquis à 20 milliards. De son côté, le ministre de l’Économie et des finances Mme BOUARE Fily SISSOKO avait avancé le chiffre de 21 milliards. Une cacophonie au sommet de l’Etat qui en dit long sur le montage financier mafieux et les sociétés fictives qui ont permis l’opération. L’ex-ministre de la Défense soutient que le ministre de l’Industrie et des investissements, Moustapha Ben BARKA, était le négociateur principal pour l’achat dudit avion. Ce dernier pour ne pas être le bouc émissaire d’une affaire sulfureuse s’est défendu au cours d’une conférence de presse en ces termes:
« il n’est ni dans mes attributions ni dans mes prérogatives de piloter un dossier du ministère de la Défense. Comme j’ai appris que le dossier a été transmis à la justice, donc laissons la justice faire son travail et on saura qui a fait quoi »
←Le ministre de l’Industrie et des investissements, Moustapha Ben BARKA
Mafia Corse Selon les enquêteurs du BVG, un « mandat de recherche exclusif » a été signé, le 22 décembre 2013, en faveur d’un prétendu » conseiller du gouvernement » pour effectuer des « recherches » et acheter un avion. Les frais de « recherche » ont coûté au contribuable malien 145. 350. 000 francs CFA. Ce » conseiller du gouvernement » est la société Sky Color, immatriculée à Hong-Kong avec un numéro de téléphone mobile du Gabon. Les honoraires de conseiller payés à Sky Color se sont élevés à 1 milliard 28 millions de francs CFA. Le représentant de Sky Color est M. Marc GAFFAJOLI, par ailleurs Administrateur de la compagnie d’aviation Afrijet dont le propriétaire est, selon l’ancien ministre de la Défense, M. Michel TOMI qui fait l’objet d’une enquête judiciaire en France pour » blanchiment » et » corruption d’agent public étranger ». M. GAFFAJOLI a joué divers rôle dans l’acquisition de l’aéronef présidentiel. C’est lui qui a effectué l’audit de l’ancien avion présidentiel et c’est lui qui a loué un avion « Bombardier BD-700 Global Express » à la présidence de la République pour 500 000 euros.
Sociétés-écrans Le 10 février 2014, la société Akira Investments Limited immatriculée aux Îles Vierges britanniques (petites Antilles) a établi avec le Mali un » contrat de cession-acquisition » d’un Boeing 737. Les signataires étaient le ministre de La Défense du Mali et M. Marc GAFFAJOLI e Sky Color agissant en lieu et place d’Akira Investments Ltd. L’ancien ministre de la Défense a dit, le 24 août, aux vérificateurs, qu’Akira Investments est une « société-écran » créée pour l’opération d’acquisition du Boeing présidentiel. Le ministre signataire du contrat d’achat du Boeing 737 a avoué, selon le Bureau du Vérificateur Général (BVG), que l’avion n’est pas propriété du Mali malgré les décaissements effectués à hauteur de 18,9 milliards de francs CFA. Le 737 a été immatriculé sur le registre de l’aviation civile de l’île d’Aruba (Antilles néerlandaises) située au large du Venezuela au nom de la société » Mali BBJ Limited ». Cette société a été constituée le 7 mars 2014 à Anguilla (un territoire britannique d’outre mer situé dans les petites Antilles) selon un mandat donné, le 5 mars, à un avocat d’affaires par le Gouvernement du Mali aux fins de constituer une société pour immatriculer l’avion et l’exploiter.
Paradis fiscaux Pour l’exploitation du Boeing, le Gouvernement d’Aruba a attribué une licence radio avec des fréquences à une société dénommée « Jet Magic Limited » située à St-Julian sur l’île de Malte.En vue de l’utilisation de l’avion par le Président du Mali, un contrat-bail a été signé entre le ministère de la Défense du Mali et la société « Mali BJJ Ltd » (une société créée par le Gouvernement du Mali). En effet, « Mali BJJ Ltd » étant une société créée par le Mali, les redevances générées par l’exploitation de l’avion devraient être payées au Mali. Or, nul ne sait si un franc a été versé au trésor au titre de la location de l’avion par le Gouvernement malien ou par d’autres. Car Jet Magic loue l’avion à d’autres quand IBK ne l’utilise pas. Ainsi le 737 » malien » a été aperçu récemment sur les aéroports d’Istanbul (Turquie) et de Dakar (Sénégal).
Pour l’ex-ministre de la Défense,« il faudra tout mettre en œuvre pour transférer les titres de propriété de l’avion au nom du Mali afin de sauvegarder les intérêts de l’Etat ».
IBK responsable Dans ses observations écrites au BVG, pour sa défense, M. MAIGA soutient que dans l’achat du Boeing 737, il y a eu une information et un accord du Président de la République, à chaque étape. « Le choix du conseiller du Gouvernement pour l’acquisition de l’avion, en la personne de Monsieur GAFFAJOLI, a également été établi sur la base de l’accord préalable du Président de la République ». Si depuis le début de l’affaire le président IBK a observé un silence assourdissant il est désormais sommé de s’expliquer par les partis politiques de l’opposition. « Le rapport désormais définitif du Vérificateur Général sur l’acquisition d’un second avion présidentiel contient des informations graves qui méritent la réaction des plus hautes autorités de l’État, en particulier du président de la République », réclame le Parena. L’Union pour la République et la Démocratie (URD), principal parti d’opposition affirme dans un communiqué tenir « le Président de la République pour le principal responsable de cette catastrophe nationale car il ne pouvait pas ne pas savoir que les femmes et les hommes qu’il a mis en mission conformément à ses prérogatives, s’adonnaient à ces pratiques criminelles ».
Fousseni TRAORE