Cinéma – Souleymane Cissé – Mali : il n’y a pas que les djihadistes
À 75 ans, le cinéaste malien dénonce dans son dernier film, « OKA », l’obscurantisme religieux mais aussi l’injustice sociale qui fait son lit dans la corruption.
Des dix-sept fictions en compétition lors de la 26e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) qui se sont achevées le 28 novembre, Oka – « notre maison » en bambara – de Souleymane Cissé était parmi les plus attendus. La découverte en fut différée. Prévue le 25, la projection du septième film du réalisateur malien a dû être décalée du fait de l’attentat qui a secoué Tunis et touché des membres de la garde présidentielle. Décalée mais maintenue comme l’ensemble du programme du festival, en dépit du couvre-feu, dans un bel esprit de résistance au terrorisme qui frappe aujourd’hui le monde. « Je tenais à être présent aux Journées cinématographiques de Carthage du fait de la menace commune à la Tunisie et au Mali. L’art a son rôle à jouer dans ce contexte, et suis heureux que mes confrères réalisateurs présents à Tunis l’aient compris en ces jours difficiles », a affirmé un Souleymane Cissé au regard triste mais déterminé.
OKA, d’abord l’histoire d’un drame familial. Résolu à poursuivre la lutte qu’il mène depuis plus de quarante ans, pour le développement des scènes culturelles africaines et contre les injustices sociales qui minent son pays. Depuis dix ans, le terrorisme qui y sévit est une des causes majeures de ces iniquités. Oka aborde le problème à travers une histoire familiale : celle des sœurs du réalisateur, chassées de leur domicile en 2008 par une famille voisine. Souleymane Cissé ne cache pas sa superstition. « Je ne sais pas si c’est un hasard, que l’attentat ait eu lieu au moment où devait être montré mon film », dit-il. Derrière ces mots, une vision magique du monde, qui traverse Oka dès la première image : celle d’une sculpture traditionnelle en bois, accompagnée d’une voix off racontant une légende ancienne. Un morceau de patrimoine oral, porté par la voix douce et profonde du réalisateur. Dans Oka, Souleymane Cissé parle comme dans la vie. Ou presque. « Avec ce film, j’ai voulu rendre hommage à mes quatre sœurs, qui m’ont éduqué et protégé. Et plus largement aux femmes, dont la place est majeure dans la société malienne », explique-t-il aussi bien au quidam qui l’interroge sur le sens de sa dernière œuvre que dans cette œuvre elle-même.
OKA, le reflet d’une injustice qui menace la cohésion sociale. Oka dit clairement ce qu’il a à dire. Un peu trop clairement, peut-être. Seule la reconstitution de l’épreuve endurée par les sœurs âgées de Souleymane Cissé aurait suffi à porter le double message du film : son appel à la solidarité du peuple malien pour lutter contre la menace terroriste, et au gouvernement pour enrayer le problème foncier qui met en péril cette indispensable cohésion. Lorsqu’elle ne rapporte pas des légendes, la voix off a en effet tendance à formuler des discours didactiques. Ceux-ci affaiblissent la portée métaphorique du film et la poésie des images de nature et d’enfance qui le ponctuent. Et peuvent faire penser à un manque de confiance dans la capacité du spectateur à interpréter les symboles. Ce qui, connaissant la foi de Souleymane Cissé dans ses concitoyens et dans l’homme en général, est loin d’être le cas. Cette maladresse est plutôt à mettre sur le compte du caractère très intime du sujet. Sur la difficulté à mettre à distance une histoire de famille. « Depuis 2008, lorsque mes sœurs m’ont appris leur expropriation de leur domicile du quartier à Bamako, qui appartient à notre famille depuis les années 1930, j’ai beaucoup souffert. Les larmes étaient trop lourdes pour que je puisse faire une fiction de ce drame, mais je tenais à en faire un film. Notre cas n’est pas isolé : chaque jour à Bamako, des familles sont expulsées sur simple demande. » Le réalisateur opte alors pour une forme hybride, qui lui a valu d’être classé à Cannes parmi les documentaires et aux JCC parmi les fictions. Tout en relatant son enquête sur un mode documentaire, pièces d’archives à l’appui, il reconstitue des scènes auxquelles il n’a pu assister. Celle de l’expulsion notamment, où les quatre sœurs jouent leur propre rôle de femmes déchues de leur bien.
Un autre regard sur la crise malienne. Oka offre donc une vision singulière de la crise malienne. Un an après le succès de Timbuktu d’Abderrhamane Sissako, Souleymane Cissé délaisse les grands récits – souvent alimentés de clichés et de simplifications – pour se concentrer sur seul aspect de cette crise : le problème foncier, « qui si l’État n’y prend pas garde risque de déboucher sur une guerre civile, hélas déjà en germe ». Si la dimension personnelle de Oka est la cause de quelques didactismes, elle permet aussi au réalisateur de traiter avec précision et concret le phénomène complexe de l’appropriation des terres au Mali. En particulier dans le quartier commerçant de Bakolo dans la capitale, où certaines familles puissantes s’arrogent les biens des autres par des dénonciations fallacieuses, soutenues par une administration corrompue. Malgré ses défauts, Oka est un film utile qui parvient à éviter tout misérabilisme. Des figures angéliques – des enfants vêtus de blanc, riant et dansant – et de nombreux plans fixes sur des paysages, des plantes et autres éléments naturels créent une distance bienvenue entre le récit et sa représentation. « Lorsque la violence atteint un degré tel qu’on la connaît au Mali, il faut lutter contre le désespoir et se tourner vers l’enfance et la nature qui ne déçoivent jamais ». Espérons que ce film soit bientôt montré au Mali et dans toute l’Afrique subsaharienne, « où comme à l’étranger, la plupart des gens ignorent ce qui se passe vraiment sur leurs terres ».
Par Anaïs Heluin Le Point.fr
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