Cinq questions sur la condamnation d’un jeune Saoudien à être décapité et crucifié
Ali Mohammed Al-Nimr avant son arrestation (photo non datée).
Ali Mohammed Al-Nimr a été condamné, en appel, à la décapitation au sabre, suivie de crucifixion, suscitant l’indignation de nombreux pays. Mais ce cas médiatique n’est pas une première.
Le sort d’Ali Mohammed Al-Nimr semble scellé. Le jeune Saoudien, âgé de 21 ans, a été condamné à être décapité, puis crucifié « jusqu’à pourrissement », pour avoir, entre autres, participé à une manifestation hostile au pouvoir en 2012. Son exécution confirmée en appel à sa famille le 17 septembre pourrait intervenir sous peu. A travers cinq questions, francetv info se penche sur ce cas très médiatisé qui révolte les défenseurs des droits de l’homme, mais qui est loin d’être une première.
Pourquoi Ali Mohammed Al-Nimr a-t-il été condamné ?
Pour protestation, port d’arme et… utilisation d’un téléphone. Ali Mohammed Al-Nimr n’a pas été arrêté à n’importe quel moment. Le 14 février 2012, le mouvement initié par les « printemps arabes » l’année précédente continue de faire des émules dans la péninsule arabique. C’est dans une de ces manifestations que le jeune Saoudien, alors âgé de 17 ans, est interpellé à Qatif, une ville de l’est de l’Arabie saoudite.
Immédiatement emprisonné, il est jugé deux ans plus tard, le 27 mai 2014, et condamné à mort pour participation à des manifestations contre le gouvernement, attaque des forces de sécurité, possession d’arme et vol à main armée.
Il lui est notamment reproché d’avoir lancé des cocktails molotov contre les forces de l’ordre, de posséder une mitrailleuse et de faire partie d’une organisation terroriste, comme l’explique Slate. Mais aussi d’avoir utilisé son Blackberry pour inciter d’autres personnes à manifester et d’avoir montré aux protestataires comment effectuer les premiers soins, comme l’affirme l’ONG britannique Reprieve. L’International Business Times (en anglais) a annoncé, le 17 septembre, que le jugement avait récemment été confirmé en appel.
Le procès s’est-il déroulé dans des conditions normales ?
Non. Rien ne s’est déroulé selon les standards internationaux dès le jour de l’arrestation d’Ali Mohammed Al-Nimr. Selon Reprieve, le jeune homme a été torturé lors de sa détention. Il n’a jamais pu parler à un avocat et, toujours selon l’ONG, on l’a forcé à signer un document où il reconnaît les charges qui pèsent contre lui.
Or c’est sur cette confession que repose toute l’accusation. La charge la plus accablante, la possession d’une mitrailleuse qui ferait de lui un terroriste, n’est corroborée par aucune preuve matérielle, mais repose sur les aveux d’Ali Mohammed. Ils justifient également la comparution du jeune homme devant la Cour criminelle spécialisée d’Arabie saoudite, chargée de juger les activistes et les terroristes, et prompte à prononcer la peine maximale : la mort.
La famille du jeune Saoudien, des experts de l’ONU et des associations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, ont dénoncé ce procès. Ils estiment qu’Ali Mohammed a en fait été condamné d’office pour nuire à son oncle, le cheikh chiite Nimr Baqer Al-Nimr, farouche opposant au régime sunnite saoudien. Emprisonné, il a lui aussi été condamné à mort en octobre 2014 et pourrait être tué en même temps que son neveu.
Ce type d’exécution est-il exceptionnel ?
Non. Selon Amnesty international, l’Arabie saoudite est classée troisième dans la liste des pays qui appliquent le plus la peine de mort, derrière la Chine et l’Iran, avec 90 personnes exécutées en 2014. Le royaume saoudien applique la peine capitale pour un large éventail d’infractions, dont l’adultère, le vol à main armée, l’apostasie, le trafic de drogue, les enlèvements, le viol et la sorcellerie. Trois modes d’exécution sont possibles : la fusillade, la pendaison et la décapitation.
Et comme le souligne l’ONG, il est fréquent, quelle que soit la méthode, que le corps entier ou démembré du condamné soit crucifié post-mortem, et exposé en public jusqu’à pourrissement. Un châtiment pratiqué en Arabie saoudite, mais aussi au Yémen, selon le livre des chercheurs américains Terance D. Miethe et Hong Lu,Punishment : A Comparative Historical Perspective (en anglais). C’est la peine à laquelle le jeune Ali Mohammed a été condamné. Ce fut également celle d’un Yéménite jugé pour « sodomie » en 2013 : il a lui aussi été décapité, puis son corps a été exposé en public sur une croix, d’après l’IBT.
Ce n’est pas non plus la première fois, dans le royaume saoudien, qu’un homme est condamné à mort pour des faits commis alors qu’il était mineur. En 2014, sept hommes ont été fusillés pour des cambriolages commis alors qu’ils étaient adolescents. Un an plus tôt, comme le raconte France 24, une baby-sitter sri-lankaise de 17 ans, condamnée en Arabie saoudite pour avoir étouffé un bébé, a elle aussi eu la tête tranchée par un sabre.
L’Arabie saoudite a-t-elle le droit d’exécuter cet homme ?
Juridiquement, non. En 1996, l’Arabie Saoudite signe la Convention internationale des droits de l’enfant. Or le document prévoit clairement, dans son article 37-a, qu’un Etat signataire ne peut condamner à mort un homme pour des faits commis alors qu’il était mineur : « Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans. » En condamnant Ali Mohammed Al-Nimr à la mort, Ryad est donc en infraction flagrante de ce texte international.
Cette situation est toutefois complexe, car il est impossible de dire frontalement que la loi saoudienne prévoit la peine capitale pour les enfants. Comme le précise l’avocat spécialiste du Moyen-Orient Ardavan Amir-Aslani dans Atlantico, l’Arabie saoudite ne possède pas véritablement de Code pénal : « Chaque magistrat applique la peine en fonction de sa compréhension de la charia [la loi islamique]. Ainsi, les mêmes faits peuvent donner lieu à des sanctions différentes en fonction du juge. »
Que peut faire la communauté internationale ?
Pas grand-chose. Condamné en appel, le jeune Ali Mohammed n’a plus de recours juridique pour sauver sa vie. A moins que le roi Salmane ne le gracie, un acte possible en pleine période de hadj, le pèlerinage rituel à La Mecque. Les associations de défense des Droits de l’homme appellent les pays occidentaux à faire pression sur le souverain saoudien pour qu’il ne signe pas la condamnation à mort du jeune homme. « Il faudrait que le monde ait un sursaut de dignité, clame, àFrance 3, Henry Leclerc, avocat et militant de l’abolition de la peine de mort. Il faut que l’Arabie saoudite sache que sa richesse, son entregent, ses capacités diplomatiques et militaires, ne suffisent pas à lui permettre de faire n’importe quoi. »
Mercredi, à Bruxelles, François Hollande a demandé à l’Arabie saoudite « de renoncer à l’exécution » avant d’être imité par Manuel Valls, jeudi, sur Twitter.
Mais à l’image de plusieurs responsables des Républicains, l’opposition exige davantage de fermeté de la diplomatie française vis-à-vis de Ryad.
Pour la France, nation « opposée à la peine de mort » comme l’a rappelé le chef de l’Etat, cette situation est toutefois gênante, d’après Le Monde : Ryad est en effet devenu un partenaire privilégié de Paris, notamment en matière de diplomatie et d’achats de matériel militaire.
Si sur internet la mobilisation en faveur d’une libération d’Ali Mohammed est forte, la tendance à la sévérité du régime saoudien, surtout depuis l’arrivée au pouvoir du très conservateur roi Salmane en janvier, laisse peu d’espoir à la cause du jeune chiite. Selon Amnesty International, en 2015, en seulement 9 mois, 130 condamnés ont été exécutés dans le royaume. Soit déjà 40 de plus qu’en 2014.
Source Francetv info
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