Comment le climat a tué les dinosaures
Les grands dinosaures étaient déjà très menacés avant que la chute d’une météorite les fasse disparaître il y a 66 millions d’années, révèlent de nouvelles recherches menées par une équipe sino-américaine dans le bassin de Songliao, au nord-est de la Chine. L’équipe a effectué un forage dans ce bassin et découvert que le climat terrestre avait connu des fluctuations extrêmement violentes au cours des six derniers millions d’années du Crétacé. Ces bouleversements ont perturbé l’écologie et mis en danger de nombreuses espèces, à commencer par les reptiles géants du Crétacé.
Les forages sont menés dans le cadre d’un programme international, l’ICDP (International continental scientific drilling program). Les recherches sont dirigées par le paléontologue Page Chamberlain (Université Stanford, Californie) et le géologue Wang Chenshang (Université des géosciences de Chine). L’équipe a présenté ses derniers résultats lors d’une récente conférence à Pékin, rapporte la revue Science. Au cours des dix dernières années, les chercheurs ont foré jusqu’à 2,6 kilomètres de profondeur dans les sédiments du bassin de Songliao, qui était occupé au Crétacé par un lac grand comme la moitié de la France. Selon Page Chamberlain, les sédiments accumulés dans le lit du l’ancien lac « fournissent une archive unique de ce à quoi ressemblait l’environnement terrestre pendant cette période turbulente ».
Les variations du climat ont déjà été étudiées à partir de forages au fond des océans. Mais les sédiments lacustres s’accumulent environ dix fois plus vite que les sédiments marins, et donnent une image plus précise et plus détaillée de l’évolution du climat. Et surtout, ce qu’ils montrent est le climat sur le continent, contrairement aux forages océaniques. Songliao fournit donc une fenêtre exceptionnelle sur les changements de l’environnement terrestre pendant le Crétacé.
En analysant les proportions d’isotopes d’oxygène et de carbone dans les carottes de sédiments, Wang Chengshan et ses collègues ont pu reconstituer les oscillations de température pendant les six derniers millions d’années du Crétacé. Ils ont découvert que la température moyenne sur le continent est passée par des hausses et des baisses pouvant atteindre 20°C en quelques dizaines de milliers d’années – un clin d’œil à l’échelle géologique.
Ces fluctuations sont bien plus fortes que les instabilités montrées par les analyses des sédiments océaniques. Leur ampleur a dû perturber très fortement l’environnement des dinosaures, et mettre ces derniers en danger.
Ces observations confortent une hypothèse de plus en plus favorisée par les scientifiques, à savoir que les dinosaures ont disparu en deux temps. Il est généralement admis que l’événement décisif a été la chute, il y a 66 millions d’années, d’une météorite de 10 kilomètres de diamètre dans l’actuelle péninsule du Yucatan, au Mexique. Cette météorite a creusé le cratère de Chicxulub, de180 kilomètres de diamètre, et a causé une explosion d’une puissance équivalente à plus d’un milliard de fois celle de la bombe d’Hiroshima. Sa chute marque chronologiquement la fin du Crétacé et est associée à une extinction massive d’espèces vivantes, au premier rang desquelles les tyrannosaures, diplodocus et autres reptiles géants.
Cependant, aux yeux d’un nombre croissant de scientifiques, cet événement ponctuel est venu conclure un processus déjà largement amorcé : à savoir, une période d’instabilité climatique qui a modifié l’écologie et a commencé à entraîner un renouvellement des espèces – donc aussi une vague d’extinctions. C’est ce que confirment les découvertes de Songliao. L’analyse des sédiments révèle à la fois l’amplitude des fluctuations de température et les causes de ces fluctuations. En particulier, les chercheurs ont identifié deux épisodes majeurs de réchauffement, survenus respectivement il y a 68 et 66,3 millions d’années. Ils correspondent à des éruptions dans le Deccan, région volcanique de l’Inde actuelle. Le deuxième épisode a été marqué par un doublement rapide de la teneur en CO2 de l’atmosphère. L’effet de serre résultant a fait monter la température moyenne annuelle dans la région à 22,3°C (elle est de 5°C aujourd’hui). Ce réchauffement a été suivi par un refroidissement dû à l’accumulation de poussière, de suie et d’aérosols.
Ces convulsions du climat ont bouleversé les écosystèmes. Les sédiments de Songliao ont piégé des spores, du pollen, des algues, des crevettes. Les chercheurs ont eu la surprise de découvrir que certaines espèces typiques du Paléocène, l’époque suivant le Crétacé, ont en fait émergé plusieurs millions années avant.
En résumé, l’environnement du Crétacé était déjà passablement chamboulé avant la chute de la météorite, qui n’a fait, en quelque sorte, qu’achever le travail. L’équipe de Wang Chengshan continue de forer le bassin de Songliao pour tenter de savoir ce qui s’est passé avant. La prochaine étape est de réaliser des carottes de 6,4 kilomètres de long, représentant la totalité du Crétacé, afin de mieux connaître le monde où ont vécu les dinosaures.
Michel de Pracontal