CRIMES COLONIAUX – Le discours que n’a pas prononcé Emmanuel Macron
Selon un dernier sondage Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle en France se retrouve désormais à 25%, contre 27% pour Marine Le Pen et 20% des voix pour François Fillon.
Emmanuel Macron a récemment porté une claire condamnation de la colonisation. Sa déclaration, bienvenue sur le fond, a provoqué une polémique qui l’a conduit à répondre à ses contradicteurs de façon quelque peu confuse et mélodramatique – « Je vous ai compris et je vous aime ! » – ce que j’ai regretté car ce sujet crucial nécessite précision et pédagogie. Je me suis donc une nouvelle fois risqué à écrire un « discours que n’a pas prononcé », comme je l’avais déjà fait avec deux autres attribués à Laurent Gbagbo, puis à François Hollande et qu’on peut lire dans mon blog (JEAN-LOUIS SAGOT-DUVAUROUX). Je précise que, si j’ai apprécié la fermeté anti-coloniale d’Emmanuel Macron, je suis en désaccord avec son orientation politique globale favorable au libéralisme.
« Chers compatriotes,
« On m’a reproché ma claire condamnation de la colonisation exprimée dans l’émotion de mon voyage en Algérie, pays voisin dont sont issus tant de nos concitoyens et avec lequel nous avons un intérêt évident à construire une amitié sans arrière pensée. Je revendique cette condamnation sans détour au nom du bon vieux principe moral qui veut qu’on ne fasse pas à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse à nous même.
« Il est arrivé à la France, au long de son histoire séculaire, d’être militairement envahie et occupée. Elle n’a pas aimé. Jeanne d’Arc guerroyant contre les Anglais et les Alsaciens de 1870 annexés par l’empire allemand, les héros de Valmy, Jean Moulin ou Missak Manouchian en témoignent pour les générations qui leur ont succédé. La colonisation, comme toute conquête militaire d’un territoire étranger, contrevient sans contestation possible au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sans ce droit, la possibilité même d’un ordre mondial fondé sur le contrôle du pouvoir par les peuples, ce qui est la définition a minima de la démocratie, est impossible. Revendiquer les « aspects positifs de la colonisation » comme le claironnent sans complexe ou le chuchotent en sourdine mes concurrents de droite et d’extrême-droite, c’est comme reconnaître « les aspects positifs » de l’occupation allemande de l’Alsace-Lorraine entre 1871 et 1918, ce qu’aucun responsable politique français d’hier et d’aujourd’hui ne se risquerait à faire.
« A cela près que l’annexion de provinces françaises par l’empire des Hohenzollern ne dura qu’une petite quarantaine d’années et que les provinces conquises, quand elles furent libérées, jouissaient d’un développement comparable à celui du conquérant. Rien à voir avec la situation des colonies administrées par la France. Exemple : après 70 ans de tutelle coloniale, le taux de scolarisation des Maliens s’élevait au chiffre vertigineux de 8 %, il n’y avait de lycée qu’à Bamako, la capitale, aucune université et seuls 370 km des routes de ce pays deux fois et demi grand comme la France étaient bitumées. Il y eut quelques investissements, mais ils furent pour l’essentiel concentrés sur l’aménagement du delta intérieur du Niger, afin de favoriser les cultures d’exportation à destination de la métropole, cultures au service desquelles on déporta des milliers de travailleurs agricoles. Il n’est possible de trouver des aspects positifs à cette administration que si l’on entérine la thèse raciste selon laquelle les Africains auraient été ataviquement incapables de rien construire par eux-mêmes et que le maigre butin hérité de la colonisation par le Mali indépendant serait non pas le témoin de décennies d’exploitation, mais une grâce accordée à des Noirs abrutis par l’ingénieuse générosité des Blancs. La virulence et les argumentaires de la polémique consécutive à mes déclarations anticoloniales n’ont-ils pas quelque parenté avec ce lourd non dit, ce racisme enfoui qui handicape tellement la construction, en France même, de ce qu’on appelle aujourd’hui le vivre ensemble ?
« J’ai dit : « la colonisation est un crime contre l’humanité ». Je reconnais que cette formulation manque de rigueur. La colonisation est un crime contre le droit des peuples à disposer d’eux mêmes. Elle est un crime contre la démocratie. Elle est un crime contre la liberté et l’égalité des humains. Mais il est en effet juridiquement scabreux d’en faire en elle-même et globalement un « crime contre l’humanité », au sens où cette qualification est précisément définie par le droit international et interprété par la jurisprudence. J’ai dit « la colonisation est un crime contre l’humanité » comme j’aurais pu dire : « la guerre est un crime contre l’humanité ». C’est ce que j’ai voulu préciser en modifiant ensuite ma formulation et en parlant de « crime contre l’humain ». Quand, comme c’est mon cas, on prétend à la plus haute charge de l’Etat, la responsabilité juridique qu’implique la qualification de crime n’est pas à prendre à la légère.
« Cependant, des centaines de témoignages avérés, que l’on tient souvent des colonisateurs eux-mêmes, attestent que la colonisation fut du début à la fin accompagnée de crimes contre l’humanité dans l’acception stricte du terme. L’extermination des peuples autochtones des Caraïbes est un crime contre l’humanité. La traite atlantique et l’esclavage imaginés pour en tirer profit sont des crimes contre l’humanité. La torture instituée, reconnue par plusieurs chefs militaires de l’armée française qui conduisirent la guerre en Algérie, est un crime contre l’humanité. Les représailles meurtrières dont les témoignages sont légion et qui prirent à plusieurs reprises une telle ampleur qu’elles sont restées dans l’histoire officielle – Thiaroye 1944, Sétif 1945, Madagascar 1947, Paris 1961… – sont des crimes contre l’humanité. L’usage massif du travail forcé, forme temporaire d’esclavage, est un crime contre l’humanité. La mise à disposition de jeunes filles pour les administrateurs coloniaux en opérations, c’est à dire le viol organisé sur une base ethnique, est un crime contre l’humanité, crime que n’absout pas et que d’ailleurs complique la mise en place des écoles de métis, destinées à donner un peu plus de rudiments éducatifs aux mi-Blancs laissés là par ces viols qu’aux tout-Noirs, comme si les spermatozoïdes coloniaux conféraient aux enfants de ces viols un statut intermédiaire entre les primitifs et les civilisés. Le colonisateur ouvrit, d’abord au Sénégal, puis à Kayes dans l’actuel Mali des établissements dénommés officiellement et sans fard « école des otages », car ils étaient destinés à dresser à la soumission les fils de chefs enlevés de force à leurs pères. La prise d’otages systématique contre une population civile est un crime contre l’humanité. Tous ces faits avérés me conduisent à penser que commettre des crimes contre l’humanité était dans les gènes de la colonisation, une entreprise fondée sur l’hypothèse déshumanisante de l’infériorité raciale des colonisés.
« Pendant des décennies, nous les citoyens français, c’est à dire à l’époque les mâles Blancs de France, avons décrété la liberté universelle et maintenu l’esclavage des Noirs. Nous avons affirmé avec une hauteur d’esprit qui nous remplit légitimement de fierté que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit », mais avons écarté les femmes, les esclaves et les colonisés de cet admirable idéal. Nos consciences restent en partie hallucinées par cette schizophrénie, hallucinante en effet. On ne sort pas sans peine, sans lucidité, sans effort ni sans heurt de ces maladies-là. Mais quand on en sort, quelle liberté, quel bonheur ! Je crois à l’urgence de ce soin. Je crois que notre patrie, la beauté de ses paysages, la saveur de sa langue, la richesse de ses façons de vivre et sa capacité à les renouveler d’âge en âge n’y perdront rien, au contraire. La singularité française y gagnera un renouveau de fraternité. Notre peuple qui mêle désormais les enfants de tous les territoires ayant porté bon gré mal gré le nom de « français » en sera rasséréné. Cette France là, engagée sur ce chemin-là sans laisser aucun des siens sur le bord de la route provoquera, comme elle le fit à plusieurs reprises dans l’histoire, l’admiration des autres nations. Quand on n’a plus les moyens de faire peur, il nous reste à nous faire aimer. Ne nous en privons pas.
« J’ai dit de façon lapidaire : « la colonisation est un crime contre l’humanité ». J’aurais dû être plus précis et prendre le temps d’exprimer la complexité de l’histoire, dire par exemple : « La colonisation a été du début à la fin accompagnée de crimes contre l’humanité, parce que c’était dans les gènes du projet colonial ». Le dire et mieux l’expliquer. Pourquoi ai-je voulu à travers ce discours prendre le soin de rectifier ma première approche ? Il y a au moins une raison qui pour moi compte. Dire « la colonisation est un crime contre l’humanité » a pu être entendu par certains Français dont le destin fut lié aux territoires colonisés, enseignants, infirmiers, entrepreneurs, prêtres, comme une condamnation personnelle, comme si je leur avais dit : « Vous êtes des criminels contre l’humanité ». Les crimes ne se font pas sans criminels. Mais ceux-ci en portent la responsabilité personnelle. Pas ceux qui leur sont associés par la couleur, la nationalité, le lieu de résidence ou même, en partie, par l’idéologie. Une religieuse qui vaccinait les petits Algériens n’était pas une criminelle contre l’humanité, mais une bienfaitrice de ces enfants et de leurs familles, même quand elle justifiait la colonisation, même si l’on peut aussi et qu’on doit sans doute porter un regard critique sur cet éventuel aveuglement.
« Les comparaisons historiques doivent être prises avec précaution, surtout celle que je vais maintenant tenter, qui concerne l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Cette occupation inclut en effet une horreur spécifique qui est d’une certaine manière incomparable par son ampleur, par son horreur, par son industrialisation : le génocide des juifs. Mais ce qui s’est passé ensuite entre la France et l’Allemagne nous donne des repères pour comprendre ce que notre nation gagnera en ne tournant pas autour du pot sur ce que furent les crimes de la colonisation. Si nous sommes aujourd’hui si proches, si amis des Allemands, si un vrai cousinage a pu s’établir entre nous, que nous nous marions ensemble, que nous faisons des enfants ensemble, que l’idée d’un nouveau conflit nous paraît si absurde et si lointaine, si nos deux nations on joué un rôle axial dans les soixante-dix ans de paix européenne, belle occurrence jamais vécue dans l’histoire, ça ne s’est pas fait en gommant le crime, ni la responsabilité des criminels. C’est le contraire. Mais nous, Français, nous sommes souvenus qu’en dépit de tout, nous partagions la même humanité que les Allemands nos semblables et que nous avions des histoires communes avec eux. Nous savons, au fond de nos âmes, que bien des Allemands d’alors, même perméables aux projets d’Hitler, restaient des humains avec qui nous pourrions un jour faire la paix.
« En affirmant ce que j’ai dit en Algérie, plus de cinquante ans après l’héroïque indépendance de ce pays, j’ai cherché à établir entre les Algériens et nous, entre les peuples naguère assujettis et notre France, la possibilité de la confiance et de l’amitié, vertus qui ne supportent pas le mensonge. Remplacer la domination par la confiance et l’amitié est la voie que je veux suivre, la seule qui permettra à notre pays d’étendre son rayonnement dans le monde qui naît. »
JEAN-LOUIS SAGOT-DUVAUROUX
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