Fantani : une Malienne dans l’âme au service des sans-voix
Fantani , avait une voix aiguë, limpide et volontairement mélodieuse au gré des circonstances pour toucher son public.
Annonce à la fois funeste et élogieuse de Charly Sangaré, c’en est une parmi les mille et une qui sonnaient le glas d’une riche carrière artistique d’une diva, d’un parcours d’une combattante pour la paix au Mali, d’un combat pour les sans-voix. Fanta Touré alias, Fantani , s’en est allée à pas de velours, à l’orée de ce mercredi 3 décembre 2014 à l’hôpital Henri Mondor de Créteil dès suites d’une courte maladie à l’âge de 50 ans. C’était vers 5h00 du matin, dans un Paris glacial, au propre comme au figuré. Car des amis et parents aux yeux larmoyants sous un froid de canard prenaient d’assaut une salle de recueillement aménagée à l’improviste au 72 rue Danielle Casanova à Aubervilliers. Ici, toute la journée jusque tard la nuit, son mari Guimba, visiblement très affecté mais gardant la tête sur les épaules, entouré d’amis, proches et connaissances recevait du monde venu présenté les condoléances. Un « ça part, ça vient » incessant, qui, pour faire des bénédictions pour le repos de l’âme de la défunte, qui, pour rapporter un ou des témoignages sur les qualités humaines exceptionnelles de Fantani : patriote bon teint, amoureuse d’un Mali en paix, chanteuse talentueuse pour le bien, généreuse, courageuse et dévouée pour la cause des personnes dans le besoin. Autant de témoignages certes élogieux, mais qui pouvaient être également étayés par des faits et gestes concrets qui demeurent des souvenirs impérissables dans la mémoire des uns et des autres, qui ont côtoyé de près ou de loin Fantani, au Mali, au sein de la diaspora malienne de France où elle résidait le plus souvent avec son mari, ou ailleurs.
Fantani remporte grammy award en 2011. Sur le plan artistique, Fantani, c’était une voix naturellement aiguë, limpide et volontairement mélodieuse au gré des circonstances pour toucher son public de par le contenu des messages qu’elle véhiculait, qu’elle chantait ou les causes qu’elle plaidait. Elle a fait son dernier concert intitulé « Mix Tarace » dans la salle Maroquinerie du 20ème arrondissement de Paris il y a à peine deux semaines, le mois dernier. Elle a chanté et fait chanter son public, « la Paix au Mali ». A l’âge de 10 ans, elle fut lauréate et détentrice du prix « Meilleure soliste et danseuse » des biennales artistiques et culturelles du Mali entre 1978 et 1986. Fantani a beaucoup contribué à perpétuer des grandes chansons du répertoire musical malien, notamment « Maliba kera awn ta yé » (le Mali est devenu nôtre) tant chanté par l’icône, le Vieux lion Djéli Bazoumana Sissoko après l’indépendance ; « Sôssôli tè kèlè ban » (se chamailler ne finit pas une guerre). Elle a chanté des thèmes ordinaires qui incitent à la méditation, à l’exaltation (le titre « Domba »), à l’amour (« Diarabi » ou « Diyanieba ») ou simplement la reconnaissance. A propos de cette dernière thématique, elle a beaucoup chanté le courage et la générosité des Soninké qu’elle a beaucoup côtoyés au sein de la diaspora malienne de France. Une dédicace spéciale qui touche la fibre patriotique de tout soninké est majestueusement chantée en langue soninké dans le morceau « N’tin Naari » (en soninké, « je dis merci »).
Outre le bambara et le soninké, Fanta a chanté en Sonraï, en peul, j’en passe, pour magnifier la diversité malienne. Rares sont les morceaux chantés par elle, si elle ne prononce pas le mot « Mali ». Elle faisait partie des ambassadeurs de la musique malienne, voire du patrimoine culturel malien sur la scène internationale. Depuis l’enregistrement de son premier album produit par Wanda Record de Salif Keïta à la fin des années 90, Fantani a participé à plusieurs rencontres du monde de la musique de par le monde : festival Jazz en France, le Cinquantenaire des indépendances africaines au Zénith le 21 septembre 2010, « Festival Villes des Musiques du Monde » et la « Grande soirée Afrobeat à l’Espace Fraternité d’Aubervilliers » en 2012 pour ne citer que celles-ci. Ce n’est pas un hasard si Fantani Touré a remporté aux Etats-Unis la prestigieuse distinction « Grammy Award » de l’UNESCO avec le titre du meilleur artiste 2011. Ce prix qu’elle a dédié à Ali Farka Touré, l’enfant de Niafounké, un autre monument de la musique malienne disparu depuis, fait suite à son célèbre morceau intitulé « Furu » (le mariage), un plaidoyer pour la cause maternelle et infantile.
Fantani était malienne dans l’âme. Fanta Touré était une Malienne dans l’âme. Fantani était avec son mari Guimba, dans tous les combats des Maliens de France pour la libération du Mali qui était occupé aux deux tiers dans sa partie septentrionale (Tombouctou, Gao et Kidal) sous le joug des narco-irrédentistes, des djihado-narco trafiquants. Quand le mouvement national de libération d’un soi-disant azawad, à travers ses représentants en France ont auto proclamé une indépendance factice dans les studios des grandes chaînes de télévisions françaises dans la nuit du 06 avril 2012, les Maliens de France ont fait une mobilisation sans précédent, le lendemain matin en direction du Trocadéro à Paris pour dire : Non à la partition du Mali et Oui pour un Mali, Un et Indivisible. C’est Fantani Touré qui a assuré toute l’animation avec le morceau de Bazoumana Sissoko chanté en chœur avec les manifestants et en boucle : « Maliba kera awn ta yé » (le Mali est devenu nôtre). Le souvenir de sa voix palpitante amplifiée par le mégaphone pointé vers le ciel chatouillait nos tympans. Pour paraphraser le premier président de la république du Mali, Modibo Keïta, ce jour, « le mot Mali a sonné comme un gong » sur la conscience de tous ceux qui ont fomenté sa division ou qui s’en sont réjouis. Depuis lors, Fantani a fait du thème « la paix au Mali » son cheval de bataille.
Nous avons perdu, affirme Mme Coulibaly Ramata Maïga, présidente du Collectif des Maliens de France pour la Paix (CMFPaix), une célèbre artiste talentueuse, engagée et foncièrement patriote. Je l’adore, poursuit-elle, et apprécie son engagement pour la paix. « Elle est l’une des artistes maliens en France qui, sans compter a marché et chanté pour l’unité et la paix au Mali à nos côtés aux moments critiques où le pays avait besoin de tous ses enfants. Je me souviens de Fantani, le 07 avril 2012, sur l’esplanade du Trocadéro chantant la paix au Mali en présence d’une foule de plus de 7000 manifestants. Cette grande dame, Fantani Touré, a prôné l’entente, la paix entre tous les Maliens à l’assemblée nationale française en mai 2013, en présence d’une délégation malienne multiethnique venue du Mali, une délégation d’irrédentistes et des représentants de la diaspora malienne de France. Je n’oublie pas non plus, sa participation aux nombreux débats où elle intervenait avec patriotisme et désintéressement. Fantani était aimée aussi par les jeunes. C’est l’idole de ma petite fille. Les murs de sa chambre sont ornés par ses photos. Nous sommes très tristes. Fantani, grande dame du Mali, tu vas nous manquer. Dors en paix au paradis dans le royaume des cieux », a-t-elle ajouté.
Quant à Charly Sangaré, un Malien de France qui a beaucoup côtoyé Fantani et son mari n’a pas tari d’éloges. Je suis effondré, affirme t-il, par la disparition soudaine de Fantani. « Les mots me manquent à jamais pour présenter le brillant hommage auquel elle a droit. C’était une icône, une combattante pour la cause des femmes, une patriote qui, depuis 2012 a sillonné la France et l’Europe pour le retour de la paix au Mali. Ainsi elle deviendra ambassadrice de l’UNESCO pour la paix suite à son Grammy Award en 2011. » Je me rappelle, témoigne encore Charly Sangaré, le 16 mai 2013 à l’assemblée nationale, Fantani suppliait nos frères et compatriotes qui combattaient le Mali au nom d’un irrédentisme qui n’est rien d’autre qu’une régression pour notre pays, à déposer les armes pour faire la paix. « Je souhaite que son message de paix soit entendu. Ce serait la plus belle manière de lui rendre hommage », a ajouté M. Sangaré.
Avocate de la cause des sans-voix. Fantani Touré avec son association « Kolomba » a mené un formidable combat pour assister ou défendre la cause des « sans-voix », des « sans-grades » : les aide-ménagères à Bamako, l’excision des jeunes filles, la scolarisation des enfants abandonnés dans les rues, les sans-papiers ici en France, la promotion des jeunes artistes maliens, la vie associative d’Aubervilliers, sa ville de résidence en France. Selon son technicien de son et arrangeur, M. Abou Kouyaté alias, « le Général du son », Fantani n’avait pas des millions a donné, mais elle posait des actes en faveur des nécessiteux qui équivalent des millions. « C’est une perle rare, une femme pétrie de valeurs humaines », a-t-il précisé. Dans l’organisation des événements, ajoute M. Kouyaté, Fantani se préoccupait toujours du salaire des musiciens qui l’accompagnent et non de son propre cachet. Abou Kouyaté qui est aussi régisseur de son pour la ville de Pantin a avoué que c’est la première fois qu’il n’a pu travailler à son poste à cause du deuil suite au décès de Fantani qui l’a beaucoup soutenu pour célébrer son mariage.
Enfin M. Charly Sangaré a expliqué que Fantani, tout comme l’année dernière, avait déjà réservé pour cette année le 12 décembre prochain pour assister à la 9ème édition de son festival des voix de Bamako au Mali. L’homme propose, mais dieu dispose, dit-on. Le destin a décidé autrement. Par ailleurs pour célébrer la mémoire de Fantani, la mairie de la ville d’Aubervilliers où elle a beaucoup milité dans les associations de développement, organisera une cérémonie ce vendredi 5 décembre pour lui rendre hommage. Le programme des cérémonies funéraires en France et du rapatriement du corps, indique-t-on, fera l’objet d’une rencontre ce jeudi entre la famille de Fantani et les autorités diplomatiques et consulaires. D’ici-là, les condoléances continueront d’être présentées au 72 rue Danielle Casanova à Aubervilliers. Dors en paix Fantani, par la grâce et la miséricorde du Tout-puissant ! Amen.
Bakary TRAORE