France : les mauvais calculs de Robert Ménard
Robert Ménard, maire de Béziers a recouru à des pratiques illégales pour ficher les écoliers.
Ménard ou l’art de faire parler de lui. Après la polémique sur l’interdiction des paraboles donnant sur la rue, la crèche de Noël installée dans les locaux de la mairie, ou encore le changement d’un nom de rue en faveur d’un ancien partisan de l’Algérie française, le maire d’extrême droite de Béziers s’est vanté d’avoir calculé le taux d’enfants présumés «musulmans» scolarisés dans les établissements de la ville. Décryptage d’une pratique aussi douteuse qu’illégale.
Qu’a réellement fait Robert Ménard ?
Sur le plateau de Mots croisés, lundi, l’ancien secrétaire général de Reporters sans frontières a déclaré :«Dans ma ville, il y a 64,6% des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles.»Comment a-il obtenu ce pourcentage ? «Ce sont les chiffres de ma mairie. Pardon de vous dire que le maire a, classe par classe, les noms des enfants.» Et de lancer, assez fier de lui : «Je sais que je n’ai pas le droit de le faire.» Comment en déduit-il, cependant, que les enfants sont musulmans ? «Pardon de le dire, les prénoms disent les confessions. Dire l’inverse, c’est nier l’évidence.» A partir de quelle réalité statistique ? Le maire ne le dira pas. Contacté par Libération, un cadre de la mairie assurait mardi que les fonctionnaires du service concerné par les inscriptions scolaires n’avaient en aucun cas procédé à un tel calcul.
Est-ce interdit par la loi ?
Selon l’article 226-19 du code pénal, «le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation ou identité sexuelle de celles-ci, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende». Ménard assure qu’«il n’y a pas de fichage» des élèves scolarisés à Béziers. Sauf que ces dispositions, depuis 2004, sont aussi«applicables aux traitements non automatisés». C’est-à-dire même s’il n’y a pas de traitement informatisé des données. Pour Guillaume Traynard, avocat de SOS Racisme, «les actes perpétrés par Robert Ménard tombent clairement sous le coup de la loi». Une perquisition du SRPJ de Montpellier était d’ailleurs en cours, mardi, dans les locaux de la mairie, suite à l’ouverture d’une enquête préliminaire du parquet.
Quelles ont été les réactions ?
Pour nombre d’acteurs de la vie publique, la démarche du maire de Béziers renvoyait avant tout «aux heures les plus sombres de notre histoire», tel que l’a affirmé le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Depuis Riyad, François Hollande a rappelé que «le fichage d’élèves» était «contraire à toutes les valeurs de la République». «Il y a des principes dans la République et quand ils sont gravement atteints, les tribunaux en sont saisis». «Honte au maire. La République ne fait aucune distinction parmi ses enfants», a tweeté le Premier ministre. Mardi après-midi, lors d’une conférence de presse improvisée, Robert Ménard a d’abord tenté de renvoyer Manuel Valls à ses supposées contradictions. «Je vais, moi, me retourner vers Manuel Valls, glisse le maire de Béziers. Je lui demande de faire voter la proposition de loi de 2009 quand il était député et maire d’Evry sur le comptage ethnique. Qu’il le fasse, qu’il tienne ses promesses.» A l’époque, Valls avait défendu le principe d’une proposition de loi légalisant les statistiques ethniques. Après le 11 janvier 2015, le Premier ministre avait même entrouvert la porte, se déclarant «prêt à avancer» sur une«réflexion» sur ces statistiques, par ailleurs défendues par des politiques de droite (comme Benoist Apparu) ou la sénatrice verte Esther Benbassa.
Le fichage de Ménard peut-il être associé à des statistiques ethniques ?
«Cette polémique a un mérite : relancer le débat sur les statistiques, a déclaré l’édile de Béziers. La seule dérogation accordée dans le domaine des statistiques ethniques est accordée aux chercheurs. Pourquoi les sociologues auraient-ils ce droit et pas les élus et les citoyens ?» Sauf que la démarche de Ménard n’a pas grand-chose à voir avec celle des chercheurs en sciences sociales. Pour tenter d’évaluer la représentation des Français d’origine étrangère (et donc permettre la mise en place de politique de lutte contre les discriminations), ces derniers travaillent à partir de deux critères : la couleur de peau et/ou la consonance étrangère des noms de famille (1). De son côté, Ménard se permet de tirer une équivalence entre un prénom (d’origine maghrébine) et sa confession musulmane. Ce qui n’a aucun sens. Si, aujourd’hui, les personnes d’origine musulmane en France représentent environ 5% de la population, seul un quart d’entre eux se disent pratiquants.
(1) A deux reprises, «Libération» a utilisé cette technique pour montrer la sous-représentation des Français d’origine étrangère dans les lieux de pouvoir.
Source: Libération