Iran : les cinq raisons du succès de la diplomatie européenne
Fed. Mogherini et Laurent Fabius en conciliabules le 10 juillet à Vienne (crédit : SEAE)
Nucléaire iranien : les cinq raisons du succès de la diplomatie européenneL’accord arraché à Vienne entre la communauté internationale et l’Iran au terme d’une négociation acharnée de 21 mois, le 14 juillet 2015 est un succès pour la diplomatie européenne. Il faut le souligner en ces temps où il est courant de « basher » l’Europe. C’est un succès sur le fond comme sur la forme. La diplomatie européenne a, le 14 juillet, à Vienne, au Palais Coburg, gagné ses lettres de noblesse. Dans cette négociation – contrairement à ce qui s’était produit pour la Grèce peu de jours avant qui a révélé tous les égoïsmes et les vilenies de chacun – chacun des partenaires est sorti de la négociation en ayant le sentiment d’avoir gagné pour ses propres intérêts et également un peu pour l’humanité. C’est une négociation (heureusement) historique là où l’accord avec la Grèce a été un accord (honteusement) historique.
L’élément le plus visible est la présence de Federica Mogherini, la Haute représentante de l’UE, annonçant : « il y a un accord ! ». Mais ce n’est pas le plus important. C’est la philosophie européenne de la négociation et de la double approche qui l’a emporté sur une position de l’isolement et de la frappe militaire, qui ont été un moment l’option envisagée, sérieusement, de l’autre côté de l’Atlantique comme dans certains pays du Moyen-Orient (Israël notamment mais pas seulement). L’Europe a toujours milité pour avoir un dialogue avec l’Iran. Ce dialogue a subi des hauts (en 2003-2004 et 2013-2015) et des bas (entre les deux !) et n’a pas toujours été facile. Mais il a réussi à aboutir, avec une lenteur certaine, mais une efficacité sans doute supérieure au cycle intervention-réaction-vide sécuritaire qui a marqué l’intervention internationale dans un pays voisin, l’Irak.
Un dialogue qui n’était pas empreint de naïveté cependant. L’autre élément clé de la position européenne est en effet la double approche : négociation d’un côté, sanctions de l’autre. L’Union européenne a non seulement transposé les sanctions prises au plan international par le Conseil de sécurité de l’ONU, elle a imposé – de concert avec les Américains – des sanctions autonomes. Sanctions qui se sont renforcées à partir de 2010-2012 et ont produit un effet notable sur l’économie iranienne et le pouvoir iranien. Cette double approche a payé d’une certaine manière.
L’Europe a assuré son positionnement d’intermédiaire entre les principaux partenaires internationaux – Russes et Chinois d’un côté, Américains de l’autre -, en essayant de trouver le juste milieu entre une certaine proximité (géographique) avec l’Iran et le respect des autres équilibres dans la région (Arabie Saoudite, Israël, Turquie). Le format trouvé E3/UE + 3 (ou P5+1 dans la dénomination anglo-saxonne) est celui qui a permis l’accord. Le rôle de la diplomatie européenne a été de garder la cohésion de cet attelage improbable, au travers des crises. Malgré les tensions sur l’Irak en 2003 ou sur l’Ukraine en 2014, cet attelage ne s’est jamais rompu. Et si des nuances se sont exprimées – nuances notables – elles n’ont jamais été jusqu’à la fissure ou la cassure de ce fond. Ce format – et cette position intermédiaire de l’Europe – mériterait d’être repris et aménagé pour d’autres crises actuelles (Syrie, Yemen). Car c’est un format gagnant.
Au passage, on peut souligner aux esthètes de la ‘chose’ européenne que l’équipe de négociation européenne était elle-aussi au ‘juste milieu’. Ni tout à fait intergouvernementale, ni tout à fait communautaire. Là aussi, c’est le bon alliage. Il ne peut pas y avoir de position forte au plan international sans la présence au sein d’une délégation européenne des ‘grands pays’ – car ils ont un siège permanent au Conseil de sécurité … et ont l’arme nucléaire (France, Royaume-Uni) ou car ils occupent une position clé au plan économique sur le sujet (Allemagne dans ce cas, mais ce pourrait être un autre pays dans d’autres hypothèses). Mais il ne peut y avoir de permanence, de force de la négociation, sans une équipe dédiée à cela, neutre des intérêts nationaux en jeu, en la personne du Haut représentant de l’UE et des diplomates européens. C’est cette combinaison qui a été gagnante permettant à certains pays (la France en l’occurence) de pousser le ‘bouchon’ un peu plus loin dans l’exigence vis-à-vis des Iraniens tout en restant dans le cadre commun.
Au final, c’est la personne même du Haut représentant de l’UE qui a assuré le lien, le liant, la persistance de l’esprit de dialogue, même aux pires moments entre les Iraniens, et entre les différents membres du E3+3. Chacun avec son caractère, son entregent, ses défauts (et ses qualités) a assuré la persistance durant ces 12 années de négociation avec l’Iran de cette double approche européenne, sans vraiment dévier de la trajectoire. Cela aussi est notable à remarquer : l’Europe n’a pas dévié de sa doctrine. Javier Solana d’abord, toujours disponible par téléphone pour ses interlocuteurs iraniens ; Cathy Ashton ensuite qui avait su gagner la confiance et l’estime de plusieurs des négociateurs autour de la table, notamment le Russe Sergueï Lavrov peu enclin aux élans amicaux, et Federica Mogherini ensuite qui a su conclure la négociation jusqu’à la note finale des signatures sur cet accord commun. Il y a, là eu, un tiercé gagnant que le négociateur iranien, Mohammad Javad Zarif – qui était présent en 2004 lors du premier accord avec les Européens aux côtés de Hassan Rohani, aujourd’hui président de la république iranienne – a tenu à rappeler. Nicolas Gros-Verheyde, Bruxelles2 |