Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes
Mariane Pearl, la veuve de Daniel Pearl, reporter au Wall Street Journal enlevé et décapité au Pakistan au début de l’année 2002, aborde la question de la protection des journalistes dans les situation de conflit au Conseil de sécurité en mai 2015. Photo ONU / Rick Bajornas.
« Ensemble, nous devons briser le cycle de l’impunité et garantir le droit des journalistes à dire la vérité, sans avoir à craindre ceux qui occupent des positions de pouvoir. », Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU.
Au cours de la dernière décennie, plus de 700 journalistes ont été tués parce qu’ils informaient le public. Fait inquiétant : sur dix crimes commis contre des professionnels des médias pendant la décennie écoulée, seul un a abouti à une condamnation. Cette impunité non seulement enhardit les criminels, mais aussi décourage la société, y compris les journalistes eux-mêmes. L’impunité favorise l’impunité et alimente un cercle vicieux.
À sa 68e session, en 2013, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution A/RES/68/163 qui a proclamé le 2 novembre Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. Cette résolution a exhorté les États Membres à prendre des mesures précises pour combattre la culture actuelle d’impunité. La date a été choisie en mémoire de l’assassinat de deux journalistes français au Mali le 2 novembre 2013.
Cette résolution historique condamne toutes les attaques et violences perpétrées contre des journalistes et des travailleurs des médias. Elle exhorte également les États Membres à faire tout leur possible pour prévenir cette violence, en faire rendre compte, traduire en justice les auteurs des crimes commis contre des journalistes et des travailleurs des médias, et veiller à ce que les victimes disposent de recours appropriés. Elle demande en outre aux États de promouvoir un environnement sûr et propice dans lequel les journalistes puissent effectuer leur travail de manière indépendante et sans ingérence indue.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux ans aprèsLe 2 novembre 2013, les envoyés spéciaux de RFI dans le Nord du Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, étaient enlevés puis assassinés près de Kidal. Deux ans plus tard, l’enquête n’a pas du tout avancé alors que l’on célèbre la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes contre les journalistes. Il y a deux ans, le samedi 2 novembre 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient assassinés à la sortie de Kidal, dans le nord du Mali, alors qu’ils préparaient une série de reportages en prévision des législatives maliennes, un double meurtre qui sera quelques jours plus tard revendiqué par Aqmi, al-Qaïda au Maghreb islamique. Ce 2 novembre est empreint de tristesse pour tous ceux qui les ont connus et cette date marque aussi, désormais, la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes contre les journalistes ainsi que l’ont décrété les Nations unies via une résolution adoptée le 18 décembre 2013, en hommage à nos collègues. Comme le rappelle Reporter sans Frontières, sept cent dix-huit journalistes ont été assassinés au cours des dix dernières années, cent trente-quatre depuis l’assassinat de Ghislaine et de Claude, des crimes qui, comble de l’injustice, restent impunis dans la très grande majorité des cas. « Lutter contre l’impunité, c’est essentiel parce que plus de 90% des crimes commis contre les journalistes dans le monde ne sont jamais élucidés », souligne Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF. Il estime également que cette impunité est « comme une incitation pour ceux qui commettent ces actes ». « Dans un certain nombre de pays, poursuit-il, ils se disent qu’ils peuvent toujours tuer un journaliste puisque, au fond, cela n’aura pas de conséquences ». Pour RSF, le meilleur moyen de faire reculer la violence serait d’intégrer cette lutte contre l’impunité au droit international. Pour y parvenir, Christophe Deloire songe à la création d’un poste de représentant spécial du secrétaire général de l’ONU sur la question de la protection des journalistes, un représentant qui serait capable de coordonner des actions de l’ONU. Une enquête qui piétine. A la complexité de l’enquête s’ajoute un manque de moyens, mais surtout une lenteur administrative et judiciaire côté français qui commencent à désespérer les familles de la journaliste et du technicien de reportage. Pour ne rien arranger, Marc Trévidic, le juge initialement chargé de l’instruction du dossier, un magistrat qui fait autorité dans la lutte antiterroriste, vient de rejoindre le Tribunal de grande instance de Lille, en vertu d’une loi française qui empêche les juges spécialisés de rester en poste plus de dix ans.Pour l’heure, le meurtre de Ghislaine Dupont et Claude Verlon entre malheureusement dans cette catégorie des crimes non élucidés. Dix-huit mois après l’ouverture d’une information judiciaire, on ne sait toujours pas qui sont les tueurs, ni les commanditaires du double meurtre, ni même dans quelles circonstances exactes nos deux collègues ont été assassinés. Le principal blocage dans la recherche de la vérité concerne la levée du secret-défense. Marc Trévidic avait officiellement fait une demande dans ce sens le 12 mai, le ministère de la Défense n’accusant cependant réception que le 2 juin, soit trois semaines plus tard. Le président Hollande lui-même avait promis qu’il autoriserait la déclassification des documents demandés lorsqu’il a rencontré les familles, à leur demande, fin juillet. Or, cinq mois ont passé depuis l’accusé de réception au ministère de la Défense et rien n’a bougé. Pire, cette demande n’est même pas à l’ordre du jour de la prochaine session de la Commission consultative du secret de Défense nationale qui doit se tenir le 19 novembre prochain. « C’est tout à fait surprenant que, le président de la République s’impliquant personnellement, cela n’ait pas eu pour effet de motiver plus encore le ministre de la Défense, dont on sait par ailleurs qu’il est un proche du président de la République » s’est étonné au micro RFI de Pierre Firtion le sénateur Les Républicains, Gérard Longuet, le prédécesseur de Jean-Yves Le Drian au ministère de la Défense de février 2011 à mai 2012, sous le quinquennat précédent. « Il y a manifestement un délai excessif, a-t-il repris. Et je suis complètement interloqué, parce que Jean-Yves Le Drian est très impliqué en Afrique, il connaît admirablement le sujet et fait plutôt du bon travail. Mais là, il y a un laisser-aller, ou en tous cas un oubli, qui est fâcheux ». « Quand j’étais ministre, a ajouté Gérard Longuet, la Commission était saisie maximum dans les quinze jours ». « Selon moi, l’armée française dispose d’informations qu’elle refuse de livrer à la justice », a pour sa part déclaré au micro RFI de Laura Martel, Christophe Deltombe, l’un des avocats des parties civiles. « C’est grave et non conforme aux déclarations du président de la République » poursuit l’avocat qui s’inquiète également du retard que va faire prendre à l’enquête le remplacement de Marc Trévidic. « Initialement, on avait dit que l’ensemble des dossiers de Marc Trévidic serait dispatché entre différents juges, de manière à ce que son successeur ne soit pas noyé. Mais ce n’est pas le cas », regrette Me Deltombe qui craint que le successeur de Marc Trévidic, Jean-Marc Herbaut, croule sous le travail, même s’il est assisté des juges Laurence Le Vert et Christophe Teissier. Des questions sans réponses. Pas de réponse non plus quant au survol, ou non, d’un hélicoptère qui aurait décollé de Kidal après l’enlèvement. L’absence de traces de pas dans le sable laissées par les meurtriers après avoir pris la fuite laisse également perplexes les personnes qui suivent le dossier. « Tant qu’on ne sait pas ce qui s’est passé, les familles ne peuvent pas faire leur deuil de cette tragédie. Et tant qu’on ne sait pas, cela entretient le doute, on imagine plein de choses. On a besoin de savoir » résume Dominique Raizon, la mère d’Apolline, la fille de Claude Verlon.Autre difficulté, les tensions entre Kidal et Bamako qui nuisent au bon fonctionnement de l’enquête et qui la figent, en quelque sorte, aux premières constatations d’il y a deux ans. « Il y a des questions qui se posent toujours dans ce dossier » renchérit Caty Richard, également avocate des parties civiles. Elle s’interroge notamment sur le décalage entre les horaires de la découverte des corps et le moment où les informations sur la mort des otages ont commencé à circuler. Et elle évoque aussi l’interception, le jour du drame, de conversations téléphoniques qui feraient mention des otages, mais auxquelles la défense n’a pas accès. Le flou le plus total enveloppe également les opérations menées par les troupes françaises sur le terrain dans les mois qui ont suivi le double assassinat. « On sait qu’il y a eu une intervention de l’armée française en février 2015 contre une katiba [groupe armé, ndlr]aux environs de Kidal, reprend Me Richard, mais on ne sait pas ce que ça a pu donner ». « Celui qui avait revendiqué les enlèvements de Ghislaine et Claude a, semble-t-il, été éliminé par l’armée française. Mais qu’a-t-on trouvé à ses côtés ? » demande-t-elle. Impossible de le savoir sans une déclassification du dossier, on en revient toujours au même point. En réalité, ce sont plusieurs personnages clefs de l’affaire qui ont été éliminés, mais l’armée française – la Grande Muette – s’est pour l’instant refusée à communiquer sur le sujet, comme le relève Christine Muratet, l’une des journalistes de RFI qui enquête sur le dossier. Si, comme le rappelait Caty Richard, Abdelkrim el-Targui – le chef touareg de la katiba al-Ansar qui a revendiqué le double assassinat – a bien été éliminé en mai dernier par les forces spéciales françaises à la frontière algérienne, au moins de deux de ses proches ont été faits prisonniers. Que deviennent-ils ? Quelles informations ont-ils divulguées ? On n’en sait rien. Autre personnage de cette mouvance touarègue terroriste dont le témoignage aurait pu faire avancer le dossier: Mohammed Ali ag Wadossène. Son nom est associé à l’enlèvement ainsi qu’à la libération de l’otage français Serge Lazarevic, et il faisait partie d’une famille très influente de Kidal. Abattu par les forces spéciales françaises en juillet dernier, il ne risque pas de témoigner, mais ce n’est pas le cas de certains de ses proches dont les noms étaient apparus au tout début de l’enquête comme possibles auteurs du rapt de Ghislaine et Claude, en novembre 2013. Depuis, pourtant, plus rien. C’est la loi du silence qui règne à Kidal, un silence qui ne fait qu’amplifier les interrogations des familles.
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