La chanteuse Rokia Traoré fustige la corruption au Mali

La chanteuse Rokia Traoré fustige la corruption au Mali

« Je me suis faite insultée par un agent en civil qui a ordonné que mon smartphone me soit retiré par ce que j’avais fait des photos de la file humaine pour le passeport malien dans la rue. Alors, avec mon bébé de 4 mois dans mes bras, on m’a conduite à l’intérieur dans le but que mon téléphone me soit retiré… Les agents à l’intérieur n’ont pas voulu faire cela, ils m’ont demandé de me calmer et ont pris soin de mon dossier.

J’aurais pu faire comme ce qu’on fait trop souvent au Mali, ne rien dire du moment que mon cas, cette fois ci, est réglé, mais ce n’est pas ainsi que le changement arrivera. Je ne trouve pas normal que tous les gens dehors dans la file doivent en arriver là dans leur pays. Le traitement que j’ai subi avant que je puisse déposer mon dossier est excessif. Aucun Malien ou Malienne ne mérite cela.
S’il y a des mesures prises par nos dirigeants pour construire le pays, si l’application de ces mesures apporte autant de problèmes à la population, il est normal d’en parler, qu’on nous donne des explications et qu’à partir de nos expériences rapportées des améliorations soient réalisées.
Comme je l’ai indiqué dans mon post précédent, ce n’est pas pour ma petite personne et mon seul cas que j’ai décidé d’écrire cet article, donc je ne veux pas parler de ma propre histoire dans les détails.

Le Mali, tout un pays, est plus grand que moi, que vous, et passe avant nous tous y compris ceux qui dirigent le pays. Il est important de ne jamais oublier cela.
Je refuse de donner des pots-de-vin en général. Pour moi celui qui corrompt n’est pas plus digne que celui qui accepte. L’incitation à la corruption devrait être punie de même que l’acceptation de la corruption.
J’ai grandi en grande partie au Mali (enfant de fonctionnaires maliens), j’ai décidé de revenir habiter au Mali et y développer un projet depuis 6 ans, alors j’ai l’habitude. Je ne corromps jamais, et il faut dire que, même si c’est rare, il y a des fonctionnaires qui, sans rien me demander, mais en me voyant faire plusieurs allers-retours pendant plusieurs mois, se sont occupés de mes dossiers liés au travail que je développe au Mali. Le problème de la corruption est que ceux qui n’en veulent pas doivent faire attention, par ce qu’ils sont toujours fortement minoritaires dans notre pays. Lorsqu’on prend le risque de bêler parmi les fauves, on se fait manger.
Pour moi il ne s’agit pas de nous insulter ou nous agresser, mais d’ouvrir un débat. Il est important que la société civile malienne soit consciente de son importance et sa puissance dans le débat et pour l’équilibre de l’Etat démocratique. Il est absolument possible d’exprimer son opinion, se faire entendre et se faire respecter, apporter sa contribution au changement sans insulter l’autre / les autres. Il est important de dire ce qui EST sans complaisance, mais cela ne veut pas dire agresser verbalement ou physiquement. Il est important que la société civile respecte les leaders que nous avons élus démocratiquement, mais respect ne veut pas dire tout accepter. Dans le respect, avec les mots justes, nous devons leur faire comprendre qu’ils ne doivent pas nous prendre de haut, nous mépriser. Ils sont là par nous et pour nous.
Pour le moment nous avons tous encore beaucoup à faire avant de s’enorgueillir. La tâche est énorme au Mali, nous n’y arriverons pas si nous ne sommes pas capables de nous écouter, nous respecter, reconnaitre les qualités de l’autre et le laisser porter son apport à la construction du pays. Nous n’y arriverons pas avec autant d’orgueil, de suffisance, de mépris de ceux qui souffrent qui s’expriment et qu’on refuse d’entendre.

En ce qui concerne la situation de racket des postes de police et de douane lorsqu’on voyage sur le réseau routier dans la zone CEDEAO, c’est une réalité. Dans le cadre de projets que je crée au Mali, qui impliquent aussi des ressortissants d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, nous devons effectuer des voyages par la route. Un des vrais problèmes est effectivement toutes les sommes d’argent exigées aux voyageurs sans aucun document explicatif, ni justificatif. Je n’ai jamais compris pourquoi la question de la libre circulation entre les pays de la CEDEAO ne débat jamais de ce problème qui va contre l’épanouissement des échanges entre nos pays. Il y a tant d’autres choses incompréhensibles sur lesquelles on a l’impression de ne même pas avoir le droit de poser des questions.
Or, Il faut se demander pourquoi, réellement discuter des raisons pour lesquelles la majeure partie des fonctionnaires d’un pays agit ainsi ? Demander de l’argent n’est même plus une honte pour beaucoup de gens, dans une société où la dignité faisait partie des principes de base de toutes relations sociales. Pourquoi est-ce ainsi et de pire en pire ? » Rokia Traoré