La diplomatie russe réinvestit le Mali
La Russie est prête à fournir armes et entrainement aux forces armées maliennes dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Mercredi, Mikhaïl Bogdanov, le vice-ministre russe des affaires étrangères, était à Bamako pour une visite dédiée au renforcement de la coopération bilatérale, aussi bien en matière de Défense que d’Economie. L’armée malienne pourrait-elle bientôt se voir équiper et entraîner par la Russie? Les deux pays ont en effet sérieusement évoqué cette possibilité dans le cadre de la lutte anti-terroriste, après la visite mercredi à Bamako de Mikhaïl Bogdanov, le Vice-ministre russe des Affaires étrangères et envoyé spécial du président de la Fédération de Russie pour le Moyen-Orient et l’Afrique.
Le diplomate russe a été reçu par le Président malien Ibrahim Boubacar Kéita et a participé à une séance de travail avec le Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de l’Intégration africaine, Abdoulaye Diop. L’engagement prononcé de Moscou auprès de Bamako est une bonne nouvelle pour Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali (avril 2014-janvier 2015) et candidat à l’élection présidentielle (juillet 2013), d’autant plus que les contacts interministériels entre les deux pays se sont multipliés ces dernières années : « Le Mali doit accueillir très favorablement cette annonce de la Russie et l’accompagner du mieux possible […] C’est un partenaire traditionnel du Mali, qui décide de revenir à un moment où nous en avons grand besoin. Le Mali a décidé d’adopter une loi d’orientation militaire où sur moins d’une dizaine d’années nous aurions besoin d’investir au moins l’équivalent de deux milliards de dollars américains dans la sécurité et la défense et s’il y a un partenariat qui se noue dans cette perspective, c’est bienvenu ! »
Moscou se positionne en adéquation avec sa ligne diplomatique : aider les états à préserver leurs souveraineté et à lutter contre la menace terroriste: « En tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie pense que les problèmes africains doivent être résolus par les Africains » a indiqué Mikhaïl Bogdanov.
D’autant plus que les relations diplomatiques entre les deux pays viennent tout juste de souffler leurs 56 bougies (14 octobre 1960). Une coopération entérinée trois semaines après l’indépendance du Mali. « Il faut savoir que traditionnellement déjà, l’armée malienne est une armée qui a été équipée dans une très grande proportion par l’Union soviétique dans les années 60, ensuite la Russie. Donc la plupart des équipements de l’armée malienne sont constitués je pense en majorité d’armes russes. »
Le rapprochement avec Moscou semble également sollicité par une partie de la population. Lors de la célébration de la fête de l’indépendance, le 22 septembre, des manifestants réunis devant l’ambassade russe ont réclamé « le soutien de la Russie dans la résolution de la crise malienne », plus précisément la reprise de Kidal. Une manifestation relayée par une pétition visant à « inciter la population à adhérer à l’intervention militaire de la Russie » dans la résolution du conflit du Nord Mali.
Mais pour le général de brigade à la retraite, Dominique Trinquand, certaines composantes de cette coopération militaire pourraient s’avérer complexes à mettre en place : « Ça risque de poser problème sur la formation en particulier, car il y a actuellement un programme de l’Union Européenne de formation de l’armée malienne — qui a commencé il y a un an et demi — 4 bataillons sont déjà formés et donc l’interaction entre les deux va être compliquée […] autant je considère que l’armement c’est de la souveraineté du Mali et là il n’y a rien à dire, autant les problèmes de formation c’est un peu plus compliqué, il ne s’agit pas de dire « on va faire de la formation » il faut avoir des gens qui ont l’habitude de travailler avec ces pays-là et je ne suis pas convaincu que la Russie soit habituée à travailler avec les soldat maliens. »
Mais la Défense, la résolution de la crise au Mali, la mise en œuvre de l’Accord de paix, la guerre contre le terrorisme ou le narcotrafic… n’ont pas été les seuls sujets abordés par Bogdanov et sa délégation, dont la visite avait été placée par la presse malienne sous le signe de la « sécurité et du développement ». D’autres domaines ont fait l’objet de discutions en vue d’un rapprochement bilatéral, notamment le développement de partenariat économiques dans les secteurs des équipements, du transport aérien, des mines, et de l’énergie renouvelable.
Le Mali, un pays francophone, un territoire ayant appartenu à l’empire colonial français, souvent considéré comme faisant partie du pré-carré français. Le Mali, dont la monnaie, le Franc CFA — de l’Ouest (UEMOA) — est toujours battue par la Banque de France (imprimerie de Chamalières).
Des liens d’autant plus forts que sur le plan de la Défense, Paris a assuré l’intervention Serval en janvier 2013, pour stopper l’avancée sur Bamako des djihadistes d’AQMI et du MUJAO — Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, la France assure la lutte contre les groupes terroristes avec l’opération Barkhane, déployée depuis juillet 2014, dans les pays de la bande sahélo-saharienne ce qui mobilise d’importants moyens humains, techniques et financiers. Une situation qui risque de durer, Manuel Valls annonçant mercredi devant l’Assemblée Nationale que la France resterait « engagée » tant « que la menace djihadiste continuera de peser. »
Ne risque-t-il pas d’y avoir des conflits d’intérêts entre la France et la Russie sur cette terre africaine ? Les entreprises françaises sont déjà concurrencées par l’implantation galopante des entreprises chinoises à travers le continent africain. Moussa Mara balaie cette perspective d’un revers de main : « Aucun pays n’a à s’inscrire dans l’exclusivité de ses relations avec qui que ce soit […] Le Mali doit aller là où ses intérêts le portent: si la Russie est intéressée pour investir dans les transports ou l’énergie, elle est la bienvenue! C’est valable pour la France, les Etats-Unis ou la Chine qui a déjà fait beaucoup pour notre pays dans ces différents domaines. »
Ce qui prime pour l’ancien Premier ministre, ce sont avant tout les intérêts de son pays et non ceux des pays partenaires: « Il faut que l’on s’inscrive dans une démarche cohérente […] le Mali doit rester à la manœuvre et la Russie sera un partenaire important, comme elle l’a été dans le passé, comme d’autres partenaires le sont aujourd’hui. Je ne crois pas qu’il y ait de concurrence et si concurrence il y a, c’est très bien si c’est dans les intérêts du Mali. »
Par ce rapprochement, Moscou souligne à la fois son engagement contre le terrorisme, où qu’il soit et le soutient aux nations africaines. Une politique africaine de la Russie qui s’inscrit dans le temps comme en témoigne à Moscou l’Université de l’Amitié entre les Peuples, Patrice Lumumba — du nom du Premier ministre congolais assassiné en 1960 — qui offre des formations aux futurs médecins, cadres et dirigeants du continent africain.
Un exemple unique au monde de multiculturalisme, rassemblant chaque année près de 30 000 étudiants issus de 145 à 150 pays (450 nationalités et ethnies). Un exemple, une initiative — s’inscrivant dans la continuité — à laquelle Abdoulaye Diop, le Ministre malien des affaires étrangères devait probablement penser, lorsqu’il a déclaré « Le Mali est fier de ses nombreux cadres formés en Russie. »
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