Le discours que n’a pas prononcé François Hollande
Dans ce texte, malheureusement fictionnel, j’imagine ce qu’aurait pu dire le président de la République à la suite des attentats du 13 novembre 2015, s’il avait annoncé l’inflexion de sa politique sécuritaire qu’on sait sans toutefois emboîter le pas au Front national et à la partie de la droite qui le mime sur la déchéance de nationalité.
Chers compatriotes
Notre pays vient d’être victime d’une agression atroce, meurtrière, une agression commandée depuis l’étranger. Au delà des vies détruites, les agresseurs visaient la singularité même de la France, notre histoire républicaine, notre art de vivre. Dans une telle circonstance, un puissant réflexe pousse notre peuple à se lever comme un seul homme et à faire front. Placé par le suffrage populaire à la tête de l’Etat, j’ai voulu que cet élan partout manifesté trouve sa traduction dans la vie politique et institutionnelle de la Nation. J’ai invité toutes les forces politiques dans lesquels les Français se reconnaissent à m’informer de leurs analyses et de leurs propositions. Je l’ai fait avec le dessein de définir l’action de l’Etat de telle sorte qu’elle puisse réunir derrière elle le plus grand nombre de consciences citoyennes. Les formes de la résistance à la barbarie terroriste dépasseront les délimitations habituelles de la droite et de la gauche. Elles obligeront chacun, moi le premier, à concourir à des mesures qui embrassent des opinions habituellement éloignées, parfois hostiles. Cet effort concret et partagé d’unité nationale est la réponse adéquate aux objectifs des meurtriers pour une raison très simple : elle réunit nos forces.
A la suite de ces rencontres, j’ai donc modifié et infléchi la politique de l’Etat dans des directions où certains de ceux qui m’ont élu auront un peu de peine à retrouver dans sa pureté leur vision de la société. J’ai étendu l’état d’urgence et donné instruction au gouvernement de l’appliquer avec rigueur. J’ai décidé de proposer au Congrès une réforme constitutionnelle qui facilitera la réactivité de l’exécutif lorsqu’à nouveau la menace s’étendra sur le pays comme c’est malheureusement envisageable. Cela se traduira par des restrictions momentanées des libertés publiques qui s’écartent de ma philosophie politique, mais que j’assumerai avec fermeté car elles prenne en compte un désir de sécurité si fortement exprimé qu’on ne peut réunir le peuple sans y satisfaire. Je demande à tous ceux qui ont des réserves sur ce point et qui les exprimeront légitimement de se souvenir qu’ils ont des compatriotes, nombreux, légitimes eux aussi, pour qui ces mesures sont nécessaires à la crédibilité de l’Etat et à leur mobilisation contre l’ennemi. Notre République a déjà pris des dispositions analogues. Elle les a su les mettre en œuvre sans renoncer à ses fondements.
La politique étrangère de la France va elle aussi connaître un infléchissement notable. J’ai pris en compte l’avis d’importants responsables de l’opposition et de quelques membres de la majorité, pour lesquels la réprobation morale plus que justifiée que provoque la répression sanguinaire de M. Bachar El Assad contre son peuple en révolte ne doit pas empêcher de créer un rapport de force capable d’anéantir l’ennemi principal : Daech. Pour les mêmes raisons, je réoriente la politique de la France vis-à-vis de la Russie conduite par le président Poutine. Les atteintes de ce régime à la sécurité de ses voisins et au plein exercice des libertés n’empêcheront pas la France de plaider pour une grande coalition unique dans laquelle la Russie et ses alliés régionaux auront toute leur place. Je remercie les chefs de l’opposition pour leur soutien à ces inflexions et je demande à tous ceux qu’elles peuvent heurter de comprendre qu’elle vont aider à souder la résistance à l’horreur sans déshonorer notre République.
Parmi les suggestions des dirigeants de l’opposition, il en est une par contre que je ne retiendrai pas. Madame Le Pen surtout, mais aussi le président Sarkozy m’ont invité avec insistance à ajouter à l’arsenal répressif contre le terrorisme la déchéance de nationalité. Notre tradition républicaine reconnaît dans la nationalité un fait et non une récompense, ni un droit, ni un mérite. Elle ne peut être retirée à une personne française de naissance. L’Etat admet que certains d’entre nous possèdent une autre nationalité, mais il ne la prend jamais en considération pour déterminer ses droits et ses obligations vis-à-vis de la communauté nationale. Pour l’Etat français, il n’est que Français. Cette tradition est très ancienne, très sage, très ancrée dans notre histoire constitutionnelle, très fondatrice de la singularité française. L’émotion du moment ne doit pas nous faire oublier qu’elle est restée inébranlable dans des moments plus graves encore et qu’elle a porté de bons fruits.
Deux questions se posent. La première est très simple : est-il efficace de menacer les terroristes, quand ils sont français, d’une déchéance de leur nationalité ? Chacun comprend facilement qu’un terroriste français décidé à agir contre la France n’accordera aucune importance à cette menace. Une fois châtié en fonction des lois existantes, puis déchu selon cette innovation, qu’en faire ? L’envoyer en Afghanistan, en Syrie, en Lybie, au Sahel plutôt que de le punir et de le surveiller ici où nous avons les moyens de le contrôler ?
La seconde touche à la puissance de notre République, à sa capacité à résister à l’agression. Par les hasards de l’existence qu’a multipliés l’évolution des temps, près de trois millions et demi de nos concitoyens disposent d’une autre nationalité. Va-t-on distendre leur lien avec la patrie au moment même où nous avons besoin de l’union la plus solide ? Alors que l’urgence du rassemblement apparaît dans toute sa force et dans toute son évidence, est-il raisonnable de créer deux niveaux de nationalité, celle indélébile des uni-nationaux, celle aléatoire des autres. Il en naîtrait un malaise, un doute et pour certains une rupture dont les recruteurs du terrorisme feront inévitablement leur argument. Ici, le pragmatisme et les principes de la République se rejoignent. Tant que je serai au poste où vous m’avez élevé, le bel héritage que constitue la conception française de la nationalité restera intact.
L’urgence nationale me conduit maintenant à m’adresser spécifiquement à certains d’entre nous. Je vais le faire sans détour. Et j’espère que cette adresse inhabituelle enrichira le débat pour tous.
Chers jeunes compatriotes qui portez des patronymes arabes, qui avez la peau noire, qui pratiquez la religion musulmane, certains d’entre vous êtes la descendance de générations de citoyens français. Beaucoup d’autres qui êtes nés et avez grandi sur le sol français, gardez des liens familiaux dans des pays étrangers, souvent d’anciennes possessions françaises. Vous portez parfois la nationalité de ces terres lointaines. Il y a quelques raisons pour que vous vous sentiez spécifiquement visés par une proposition élaborée par une force politique engagée dans la destruction de l’héritage français et républicain en matière de droit de la nationalité, un parti dont de nombreux chefs ont été maintes fois condamnés pour racisme. Parmi ces raisons, ne cachons pas le fait que les horreurs commises contre notre France et contre nos concitoyens l’ont été sous la bannière usurpée de l’Islam. Cette religion, deuxième en France par le nombre des fidèles, est comme les autres tranquillement pratiquée par la plupart et détournée par quelques furieux qui en tirent une idéologie satanique. Naguère, le Ku Klux Klan exécutait ses crimes sous le signe de la croix. En Israël, l’Etat lui-même a qualifié de terroristes des agressions menées contre des Palestiniens par des extrémistes religieux se recommandant de la religion de Moïse. Mais en France, aujourd’hui, c’est le nom de l’Islam qui est ainsi sali et c’est la représentation de l’Islam qui en est troublée. Ne faisons pas comme si c’était sans effet. Beaucoup de Français que leur vie quotidienne et leurs traditions familiales tiennent éloignés des musulmans respectueux des lois sont tentés d’incriminer l’Islam sans faire la part entre les croyants honnêtes et les djihadistes. Il peut en résulter des tensions avec lesquelles il va nous falloir vivre. En tant que président de la République, j’ai reçu du peuple auquel nous appartenons tous la mission de protéger chacun du racisme et de la discrimination, de protéger la liberté de tous les cultes dans le respect de la loi commune. Vous pouvez compter sur ma détermination. Tous les moyens de la persuasion seront utilisés pour assurer la fraternité républicaine. Je compte sur votre intelligence pour m’y aider. Quand ce sera nécessaire, l’Etat fera en sorte que force reste à la loi.
Avançons plus loin, car l’histoire toujours avance. Notre Nation se trouve placée devant un enjeu historique aux conséquences considérables. La France n’est plus un empire. Son rayonnement ne tient plus à sa domination sur d’autres peuples, si toutefois une telle domination peut être considérée comme un motif de rayonnement. Notre France continue à porter pourtant, et peut-être davantage encore, sa puissance singularité, ses paysages qui ont façonné nos souvenirs, sa contribution à l’émancipation politique qui fut source d’inspiration pour ceux même que la France coloniale avait conquise, sa langue, ses arts, sa haute contribution au progrès scientifique et technique. C’est votre héritage, un héritage que vous partagez à égalité de légitimité avec tous vos compatriotes. Nous l’avons reçu du passé. Nous l’avons changé, enrichi, abîmé parfois. C’est à votre tour.
Parmi les grands chantiers qui se présentent à vous, comme à tous vos jeunes compatriotes, il en est un qui est particulièrement enthousiasmant et qui plonge loin ses racines dans notre histoire. C’est le dépassement du racisme et des discriminations. Nous ne partons pas de rien. Il y a plus de deux cents ans, en 1794, la République française abolit l’esclavage sur toutes ses colonies. Les esclaves africains mâles deviennent immédiatement citoyens français, électeurs et éligibles, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que leurs concitoyens mâles de métropole. Pour les femmes, ça viendra beaucoup plus tard et c’est une autre grande histoire de liberté encore inachevée, encore entre vos mains. Notre pays est celui d’Europe où l’on se marie le plus sans considération de race ou d’origine. Vous faites chaque jour, au cas par cas, l’expérience de relations humaines débarrassées des traces d’une histoire de domination dépassée et néfaste. Vous vivez tous d’expérience combien c’est bon et que c’est possible. Mais je sais que vous vous heurtez aussi aux déséquilibres qui sont enfants de la même histoire. Avec ceux de vos sœurs et de vos frères français qui ne sont pas comme vous victimes de ces préjugés, vous avez la mission historique de donner sa plénitude à l’égalité républicaine, de la nettoyer des plaies et des boiteries que l’histoire coloniale lui a infligées. La France compte sur vous pour jouer votre partie dans cette haute ambition, une partie que vous ne pourrez pas jouer seuls, mais qui ne peut pas se jouer sans vous, sans ce que vous êtes et sans que vous soit reconnue votre pleine légitimité à constituer avec les autres le peuple souverain. Connaîtrai-je cette France, cette République où les couleurs de peau et la sonorité de nos patronymes ne nous différencieront pas davantage que ne nous stigmatisent aujourd’hui des cheveux bruns ou des cheveux blonds ? Je ne le sais pas. Je le souhaite. J’en rêve. Quand, avec les autres, vous aurez accompli cette tâche historique, on parlera à nouveau de vous, on parlera à nouveau de notre France comme d’une inspiration pour les autres peuples sans qu’elle ait pour ça besoin de s’imposer par la force. Je n’accepterai donc aucune disposition légale qui pourrait insinuer le moindre doute sur votre totale légitimité civique. Ce serait gravement abaisser la France et son destin.
Mais à tous ceux, parmi les Français qui ont plusieurs nationalités comme parmi ceux qui n’en ont qu’une, qui se laisseront aller à la tentation de trahir leur pays, leur peuple, leurs concitoyens en obéissant à des forces étrangères déterminées à nous combattre, je promets la plus grande sévérité. Je mets à l’étude le rétablissement, dans la Constitution, du crime de haute trahison et les modalités policières, militaires et judicaires de sa répression. Je proposerai que cette qualification criminelle concerne non seulement les Français qui se mettent au service d’Etats étrangers pour nuire à la France, mais qu’elle s’applique également à ceux qui participent à l’action des organisations armées d’un nouveau type dont nous voyons aujourd’hui l’apparition. L’indignité de la trahison et les peines qui la sanctionneront sont la juste réponse quand un Français, une Française, quelle que soit sa couleur ou ses liens familiaux, passent à l’ennemi. J’ai demandé à ceux qui partagent mes convictions politiques de gauche de s’ouvrir à des mesures républicaines qui ne correspondent pas exactement à leur sensibilité afin de favoriser l’union nécessaire du peuple contre l’atrocité terroriste. Je demande à ceux qui, dans un premier temps, inclinaient à soutenir la déchéance de nationalité, de faire un effort identique qui permettra le rassemblement de tous les Républicains, seul vrai gage d’efficacité dans la résistance à l’horreur.
Vive la République ! Vive la France !
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