Les diamants de Centrafrique financent la guerre civile
Le corps d’un jeune chauffeur de moto-taxi tué lors des violences du week-end dernier.
Mais d’où viennent donc les diamants qui ornent les bagues, boucles d’oreille et colliers exposés en devanture de nos luxueuses bijouteries occidentales ? De la République centrafricaine, en partie. Le pays est le 14ème producteur mondial de diamants bruts. Le commerce illégal de diamants y alimenterait la guerre civile larvée. Là-bas, pour extraire les précieuses pierres, les hommes fournissent un travail de forçat, dans des atmosphères sur-chauffées, pour des salaires de misère. Souvent, ils se blessent. Ou meurent écrasés sous des éboulements. Les familles des mineurs, qui viennent habiter près des lieux d’extraction, vivent dans des conditions sanitaires déplorables. De nombreux cas de malaria ont été signalés, et des parasitoses à cause de la mauvaise qualité de l’eau. Et rares sont les enfants qui vont à l’école. Leurs parents les encourageant plutôt à se rendre à la mine, parfois dès 11 ans.
Cette glaçante réalité est retracée dans le rapport d’Amnesty international Les diamants du sang publié ce 30 septembre. Partant de la République centrafricaine, où Sélékas et anti-Balakas sèment la terreur depuis trois ans [1], l’enquête menée par l’organisation non gouvernementale suit la filière des pierres précieuses. Depuis les mines de fortune qui parsèment le pays, jusqu’à Anvers ou Dubaï, plaques tournantes importantes du commerce des diamants ; en passant par les pays frontaliers de la République centrafricaine, comme le Cameroun ou le Soudan.
Une régulation internationale inefficace. Depuis le printemps 2013, suite à l’arrivée des Sélékas au pouvoir, suivie de l’irruption des anti-Balakas, les Nations unies ont actionné le processus de Kimberley. Mis en place à l’initiative de pays africains producteurs, au début des années 2000, ce processus est censé réguler le commerce international des diamants. Objectif : mettre un terme au commerce des « diamants de la guerre » et veiller à ce que les dizaines de milliers de carats extraits chaque année ne financent pas les milices armées. Mais en République Centrafricaine, le processus de Kimberley ne semble pas très efficace, déplore le rapport d’Amnesty international. Les groupes armés qui se font face profitent allègrement, chacun de leur côté, de la manne financière des diamants, en mettant la main sur les mines et en rackettant les petits mineurs et les revendeurs.
« Le commerce des diamants sert à financer des groupes armés qui commettent de nombreuses exactions », regrette Sabine Gagnier, d’Amnesty international France. Depuis décembre 2012, moment où les Sélékas se sont mis en marche vers la capitale Bangui, 5000 personnes sont mortes. Près de 500 000 autres ont pris le chemin de l’exil. Un gouvernement intérimaire a été mis en place en janvier 2014, et certaines zones ont été sécurisées. Mais les Sélékas et leurs adversaires anti-Balakas continuent de sévir, se livrant à de nombreux crimes et atrocités.
Bientôt un devoir de vigilance ? Le processus de Kimberley n’empêche pas le commerce de diamants à l’intérieur de la Centrafrique et de nombreux mineurs et petits revendeurs poursuivent leur activité, leur seul moyen de subsistance. « En République centrafricaine, avant mars 2013, le secteur des diamants représentait la moitié des exportations du pays et 20% du budget national », rappelle Amnesty international. Les groupes armés ne sont pas les seuls à profiter de ce trafic. Les négociants locaux et internationaux se servent aussi au passage. Amnesty pointe notamment l’entreprise Badica à Bangui, ainsi que sa société-sœur Kardiam, en Belgique. Toutes deux propriété d’un homme d’affaire centrafricain, Abdoul-karim Danzoumi, qui possède par ailleurs une compagnie aérienne, Minair, soupçonnée de faciliter l’exfiltration des diamants hors du territoire national. Ses discrets – et sulfureux – comptes en banque avaient été hébergés par la banque britannique HSBC.
« Il n’y a aucune obligation, dans le processus de Kimberly, détaille Sabine Gagnier, pour expliquer l’inefficacité du dispositif. C’est un processus de certification laissé au libre choix des gouvernements. Et les systèmes de contrôle sont eux aussi laissés à la seule responsabilité des gouvernements. » Que faire alors ? « On aimerait obliger les entreprises à avoir un système de vigilance sur leur chaine de production, dit Sabine Gagnier, au niveau européen et au niveau français. » En France la proposition de loi sur le devoir de vigilance est passée en première lecture à l’Assemblée nationale à la fin du mois de mars, après avoir été sérieusement édulcorée. Elle devrait être examinée par le Sénat, mi-octobre.
Nolwenn WEILER www.bastamag.net
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