Les enjeux du développement de la région de kayes

TEXTE DE LA CONFÉRENCE SUR LES ENJEUX DU DÉVELOPPEMENT DE LA RÉGION DE KAYES

I-                   INTRODUCTION

Mesdames et Messieurs,

Des centaines, voire des milliers de jeunes originaires de la région de Kayes, à la recherche d’une vie meilleure pour leurs mères, leurs  pères, leurs frères, leurs sœurs et pour eux-mêmes, prennent le risque de traverser le Sahara et la Méditerranée pour rejoindre l’Europe.

Certains meurent de soif et de faim dans le désert. D’autres sont détenus en Libye dans des conditions cruelles, inhumaines ou dégradantes. Beaucoup de nos jeunes, trop de nos jeunes périssent, noyés en mer.

La région d Kayes détient le record malien des morts en Méditerranée et des prisonniers en Libye.

Au moins 300 ressortissants du cercle de Bafoulabé sont morts en mer pendant les sept premiers mois de 2016 (Oumar Sidibé, président de « Initiative Migration et Développement» cité par l’AMAP).

En 2014, ce sont 70 jeunes de Sélinkégny et environs (Bafoulabé) qui sont morts aux larges de la Libye dans le naufrage de leur embarcation.

Plus de 5000 migrants irréguliers ont péri en 2016 en tentant de traverser la Méditerranée.

Depuis le début de l’année, plus d’un millier de clandestins ont disparu en cherchant à rejoindre l’Europe. Parmi eux de nombreux jeunes de la région de Kayes.

À la mémoire des jeunes de Sélinkégny, de Kania, Madalaya, Oussoubidiagna, des jeunes de tout le cercle de Bafoulabé, de toute la région de Kayes, des jeunes de tout le Mali morts en mer, je vous demande d’observer une minute de recueillement.

Merci.

J’invite le Gouvernement de la République du Mali (GRM) à ériger un monument à Kayes

(Chef-lieu de la Région) dédié à nos jeunes morts en mer en tentant d’émigrer en Europe.

Ce monument du Migrant inconnu rappellera pour toujours le martyre des jeunes de la région et du Mali.  Mais il sera aussi une forte interpellation de la conscience nationale quant à notre responsabilité dans les hécatombes et dans les drames des migrations irrégulières:

– qu’avons-nous fait, que faisons-nous pour décourager les jeunes à emprunter ces chemins de la mort que sont le Sahara et la Méditerranée?

Mesdames et Messieurs,

Nous ne devons pas être des spectateurs impuissants de ces hécatombes dont les jeunes de nos contrées sont victimes.

Nous devons nous mobiliser pour décourager les départs, pour arrêter l’émigration clandestine.   C’est la responsabilité des familles, des chefs coutumiers, des leaders d’opinion, des sociétés civiles, des politiques, des élus, des autorités locales, régionales et nationales, et de la diaspora, d’agir dans un mouvement d’ensemble pour mettre fin à la tragédie.

C’est notre responsabilité de conjuguer nos efforts pour mettre en valeur les riches potentialités de la région afin de combattre la pauvreté et fixer la jeunesse de la région qui ne sera plus tentée de partir pour vivre mieux.

La région de Kayes couvre une superficie de 120.760 km2 soit le dixième de la superficie totale du Mali.

Sa population est estimée en 2017  à 2.604 385 personnes sur 17 millions de Maliens.

Les habitants du cercle de Kita sont estimés à 564.105 habitants.

La population de la région est jeune: les moins de 18 ans représentent 54%  soit 1.418 554 personnes. Ceux qui ont moins de 35 ans sont 2.029 998 soit 77,3%.

Ces chiffres montrent à eux seuls  l’ampleur des défis à relever en termes d’infrastructures scolaires et de santé, de formation de maîtres et d’agents de santé, d’habitat et de création d’emplois, bref, de préparation de l’avenir.

Par ailleurs, 35,1% des 2.604 385 habitants de la région (un peu plus de 900.000 personnes) vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est à dire qu’ils n’ont pas 500 FCFA par jour pour satisfaire leurs besoins de base.

Ainsi s’explique l’ampleur des phénomènes migratoires. Kayes est le principal foyer d’émigration du Mali, le principal bassin d’émigration vers l’Europe. En France, l’on considère que 70% des immigrés Maliens sont originaires de la région.

II-                DES POTENTIALITÉS

La région regorge d’importantes ressources naturelles: à commencer par l’eau: six fleuves et deux grands lacs: le Baoulé, le Bakoye, le Bafing, le Sénégal, la Kolembinné, la Falenmé, les lacs Magui et Doro.

Elle regorge de ressources colossales du sous-sol, notamment l’or, le diamant, le fer, la bauxite, le calcaire et les carrières. Une demie douzaine de mines d’or sont exploitées par des compagnies minières internationales dans les cercles de Kayes et de Kéniéba.

Le cheptel y est abondant.

De vastes plaines sont propices à l’agriculture. 

S’y ajoute une diaspora dynamique et entreprenante  profondément attachée au terroir et à la mère patrie.

Au commencement, l’émigration était une stratégie de survie des communautés villageoises à travers leurs bras valides. Ensuite, elle est devenue une stratégie de développement communautaire: des mosquées, des maternités, des écoles, des périmètres maraîchers, des puits et forages ont été les premières réalisations des travailleurs émigrés.

En 2015, les Maliens de l’extérieur ont transféré au pays au moins 460 milliards 238 millions de FCFA, soit 132 milliards de la zone UEMOA et 187 milliards 329 millions de la zone Euro.

Prolongement du Mali sur les autres continents, la diaspora malienne doit être protégée comme la prunelle de nos yeux et encouragée par la communauté nationale.

Bien qu’étant considérée comme le premier  partenaire financier de la région de Kayes avant l’État et la coopération bilatérale et internationale, la Diaspora doit être encouragée par le Gouvernement, la coopération décentralisée et les partenaires techniques et financiers qui doivent intensifier les efforts pour étendre et renforcer les infrastructures, l’électrification, les nouvelles technologies. C’est à cette condition que l’épargne de la diaspora peut servir la région.

La situation géographique propice à l’intégration régionale 

Le voisinage avec trois pays côtiers (Guinée, Sénégal et Mauritanie) offre à la région des opportunités d’échanges humains, économiques et culturels

Le tourisme et la riche et variée culture de la région doivent être davantage valorisés pour créer des emplois et de la richesse.

Malgré ces importantes ressources naturelles et humaines, Kayes reste sous-développée, sous industrialisée. Une vingtaine d’unités industrielles: sept mines exploitées par des compagnies aurifères internationales, Manantali et Félou (en cours de construction) et une dizaine de manufactures.

III-             LES DÉFIS À RELEVER

Malgré d’importantes ressources naturelles et humaines, la région de Kayes reste sous-développée et sous industrialisée.  Une vingtaine de manufactures constituent le parc industriel de la région.

Près d’un million d’habitants sur les 2 millions 604 mille que compte la région vivent en dessous du seuil de pauvreté.

La plupart des routes réalisées pendant les 20 dernières années dans le cadre du désenclavement intérieur et extérieur sont dégradées. Elles doivent être réhabilitées au plus tôt.

Plusieurs autres routes doivent être construites. Kita-Diéma, Yélimané-Nioro, Sandaré-Nioro, Nara-Nioro.

Il faut construire un pont à Bafoulabé et un pont sur la Falémé.

Il faut transformer Dag-Dag en un aéroport international sous – régional que pourront utiliser les habitants de Bakel, Tambacounda, Selibaby.

IV-             LES PERPECTIVES

Protéger l’environnement: combattre la déforestation, lancer des programmes de reboisement à l’échelle des communes. L’exploitation de l’or a causé de sérieux dommages à l’environnement. Obtenir compensations et réparations auprès des compagnies minières.

L’assainissement des villages et des villes doit être une priorité pour les collectivités.

La promotion des énergies propres, notamment le solaire et l’éolienne doit être au Centre des politiques de développement.

Il faut promouvoir l’intégration régionale.

V-                LA GOUVERNANCE

Une bonne gestion des ressources allouées au développement s’impose à tous les échelons: la commune, le cercle et la région, comme elle s’impose au plan national.

La région doit s’engager à renforcer le dialogue démocratique et les espaces de liberté. L’évaluation de la politique de décentralisation et de la coopération décentralisée aiderait à mieux aborder le tournant de la régionalisation.

L’évaluation des actions issues de la Table Ronde organisée à Kayes en 1997 permettrait de dégager de nouvelles perspectives.

VI-             CONCLUSION

Le développement de la région nécessite la mobilisation des Kayésiens de l’intérieur et de l’extérieur.

Il faut aller au delà de la création de l’Agence de Développement Régional, l’ADR) et

Créer une Autorité de Développement de la Région qui sera une coalition État- Collectivités-Privé national et International- PTF

Par ailleurs, il faut rendre opérationnelles et effectives les nouvelles régions de Kita et de Nioro.

Si nous nous mobilisons, nous transformerons Kayes, ainsi les jeunes  qui sont tentés de partir, le plus souvent au prix de leur vie, n’auront plus besoin de partir travailler ailleurs.

Ainsi, les chanteuses traditionnelles qui saluent la bravoure des migrants et encouragent les voyageurs célèbreront le courage de ceux qui restent pour bâtir la région de Kayes et le Mali.

Kita, le 13 mai 2017

Tiébilé Dramé

 (Kita, Salle les Hirondelles, le 13 mai 2017)