Les trois arguments des pro-déchéance de Gauche
Dans le débat sur l’extension de la déchéance de nationalité aux Français de naissance quand ils sont binationaux, les intervenants qui soutiennent la proposition présidentielle et se recommandent de la gauche développent trois arguments : le « vrai » peuple y est favorable ; la déchéance de nationalité existe déjà dans les textes ; les excès des anti-déchéance les discréditent.
Pardon de l’écrire sans guillemet, mais le premier argument est populiste au sens le plus caractérisé du terme. Il consiste à délégitimer les adversaires de cette proposition en les présentant comme des intellectuels fumeux déconnectés du vrai peuple supposé acquis à la mesure. C’est une préoccupante démission devant la confusion sondagière qui empoisonne la vie démocratique depuis des décennies et qui devra bien un jour être mise à distance. Il n’est d’ailleurs pas du tout certain qu’un vrai débat, honnête et droit, aboutisse au résultat que les sondages photographient dans l’instant. Lors des élections régionales, les électeurs de chair et de conviction ont déjoué l’évidence des « chiffres ». Et je fais chaque jour l’expérience d’échanges d’arguments qui amènent les esprits à se comprendre et à bouger. Une chose est sûre en tout cas : ceux qui tiennent cette position sont très très déconnectés des trois millions et demi de Français de naissance qui possèdent une double nationalité et qui appartiennent souvent à la partie la plus populaire du peuple. Au point qu’on se demande comment ces analystes en contact direct avec le « vrai » peuple ont pu trouver dans le concret les filtres qui épurent la réalité au point de lui donner l’uniformité d’une statistique.
Le second argument porte sur le fait que la déchéance de nationalité est une disposition qui existe déjà dans les textes.
C’est vrai, mais dans des situations très particulières. Elle concerne les personnes qui ont demandé la nationalité française et qui, dans les années qui suivent cette demande (10 ou 15 ans selon les cas), commettent des actes prouvant que leur démarche était frauduleuse et qu’ils n’avaient pas l’intention de respecter les obligations liées à leur qualité de Français. La déchéance de nationalité sanctionne ici le non-respect d’un contrat librement consenti. L’institution de ces années « probatoires » est tout à fait acceptable et n’a rien à voir avec la proposition actuelle, qui vise des Français de naissance, c’est-à-dire des personnes qui, comme l’écrasante majorité de leurs compatriotes, n’ont pas davantage choisi d’être Français que d’être garçon ou fille. Le mixe de droit du sol et de droit du sang qui fonde notre législation en matière de nationalité établit très sagement que la qualité de français est un fait et non un diplôme, un fait qui nous oblige, mais qui ne peut être effacé par décret. C’est un peu comme la filiation : je suis quoiqu’il arrive le fils de mon père et de ma mère. La morale commune veut que cette filiation m’oblige, par exemple à témoigner du respect à mes parents. Mais je peux aussi être un fils indigne, ce qui ne me retire pas la qualité de fils. L’impensé qui se cache derrière l’argument est une sourde dénégation du droit du sol, le sentiment spontané qu’il n’est pas complètement légitime, qu’il n’est pas si grave de le rétracter. Et là, on pose le ski sur la piste rouge.
Le troisième argument est recevable. Il pointe des excès dans le débat, ceux notamment qui peu ou prou assimilent les partisans de la proposition gouvernementale à des vichystes, voire à des nazis. C’est inutilement insultant et ça paralyse l’échange des idées. L’affaire est encore très meuble dans les esprits et le respect mutuel doit rester la règle. Il n’est pas pour autant inutile de mettre en évidence des exemples de dérives liées aux manipulation du droit de la nationalité. J’ai mis sur ma page facebook le fac simile du journal officiel où le régime de Vichy décrète la déchéance de nationalité de Charles De Gaulle. L’homme est alors pour l’Etat français un général félon engagé dans une entreprise terroriste. Cette mise en évidence ne signifie pas que François Hollande ou Manuel Valls soient des vichystes camouflés. Mais elle manifeste en grand le ridicule et les dangers qu’il y a à dénier la francité d’un Français « de fait ». A moins bien sûr que toute cette affaire ne puisse fonctionner qu’en raison d’un déni préalable et caché, souvent non-pensé : les binationaux ne sont pas de « vrais » Français. Le bobsleigh n’est pas loin !
Nous sommes ici dans un débat de fond, un débat en cours, qui débouchera sur un choix aux conséquences très lourdes pour l’unité de la Nation. Des signes rares montrent l’importance de l’enjeu. On voit ainsi Jacques Toubon ou Nathalie Kosciusko-Morizet du parti Les Républicains alerter l’opinion contre une réforme majoritairement appréciée par leurs amis politiques. On voit des amis proches, des amis personnels du président de la République se séparer de lui sur cette question. On voit aussi les quatre parlementaires du Front national lui apporter leur soutien en jubilant, symptôme d’une extrême confusion dont il faudra vite sortir.
Parlons ! Parlons ! Parlons ! Rien n’est encore joué.
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