Les vœux de nouvel an du Parena au Mali qui souffre, qui résiste et qui ne veut pas courber l’échine ni croiser les bras
Propos liminaire de Tiébilé Dramé à la rencontre avec la presse, Hôtel Massaley, jeudi, 7 janvier 2016.
Mesdames et Messieurs les représentants de la presse nationale et internationale,
Au cours de l’année écoulée, des centaines de Maliens ont trouvé la mort, à Mina, en Méditerranée et sur les routes de l’exil, au nord, au centre, au sud du pays et à Bamako
En leur mémoire et à celle de tous ceux qui nous ont quittés en 2015, je vous invite à observer une minute de silence et de recueillement.
Qu’ils reposent tous en paix.
Anmina.
Merci.
Mesdames et Messieurs,
C’est avec un réel plaisir que je vous présente, au nom du PARENA, nos meilleurs vœux de bonne et heureuse année 2016.
A travers vous, nos vœux s’adressent à vos rédactions, à vos familles et au peuple malien tout entier, à nos compatriotes très nombreux qui, malgré les difficultés et les souffrances refusent de courber l’échine, se battent et ce faisant, entretiennent une lueur de l’espérance en un autre Mali, un Mali de dignité et de paix.
A ceux qui vivent dans l’angoisse du quotidien, qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui ne prennent plus les trois repas par jour, aux victimes et laissés pour compte de la mauvaise gouvernance,
A ceux qui vivent dans leur chair les conséquences de la crise, ceux qui souffrent de l’insécurité, des attentats terroristes, à ceux qui triment dans les camps de réfugiés, à nos compatriotes de la diaspora, à ceux de l’intérieur, nous formons des vœux de bonheur, de paix et de stabilité.
Que la nouvelle année dissipe, disperse les nuages qui s’amoncellent sur nos têtes, qu’elle éloigne et fasse disparaître les dangers qui menacent l’existence de notre Nation! Qu’elle nous fasse oublier très vite 2015, ses difficultés, ses souffrances, ses incertitudes et ses malheurs!
Permettez-nous de saluer, au seuil du nouvel an, les peuples du monde qui nous témoignent leur amitié et nous apportent leur soutien pour nous permettre de sortir de la crise. En particulier, ceux qui envoient leurs enfants sous casques bleus, prendre des risques pour notre liberté. Nous leur adressons nos meilleurs vœux pour 2016.
L’année qui s’est achevée a été une année très difficile pour notre peuple et notre pays.
– Dans le domaine de la sécurité et de la stabilité,
plus de 400 personnes ont été tuées au Mali pendant les douze derniers mois. La signature de l’Accord d’Alger a été une étape de la longue quête de paix et de stabilité au Mali.
Toutefois, la situation sécuritaire est très dégradée. Sur les 400 victimes de la crise, plus de 200 ont perdu la vie après la signature de l’Accord. L’instabilité s’est propagée. Elle confine à l’anarchie dans certaines zones. Les témoignages concordent: à 10 kms de Tombouctou, il n’y a plus d’État, au delà d’Almoustarat, il n’y a plus de Mali. Les routes ne sont plus sûres dans plusieurs régions. La multiplication des actions terroristes ou de banditisme donnent le frisson.
Le processus de paix est enlisé, faute de vision et du fait de l’immobilisme du Gouvernement. L’amateurisme, les tâtonnements et les improvisations ont fini par exaspérer les signataires maliens et étrangers de l’Accord.
La faiblesse de l’État, l’absence de stratégie et la recrudescence des activités des groupes jihadistes font peser de sérieuses menaces sur le Mali.
L’échec de la dernière session du Comité de suivi (16-17 décembre) et l’ultimatum posé par la Plateforme et la CMA rajoutent à l’impasse.
Au plan de la gouvernance,
Les 28 derniers mois ont été émaillés par des affaires qui ne sont pas honorables pour un pays qui sort du gouffre et qui a bénéficié d’une exceptionnelle solidarité de l’Afrique et du reste du monde. Des conditions d’acquisition et d’exploitation du 2ème avion présidentiel à la tentative de cession de la Place du cinquantenaire à des hommes d’affaires douteux en passant par les engrais sous-dosés, le marché des fournitures militaires, celui des tracteurs, les exonérations sur le riz, les surfacturations, rien n’a été épargné à notre peuple qui souffre tant.
Que dire du train de vie de l’État, du budget de la présidence en augmentation continue (9,3 milliards de francs en 2014, 16 milliards en 2015, 19,3 milliards en 2016)?
Que dire des voyages du Président à l’extérieur, de leurs coûts pour le contribuable malien?
En 28 mois passés à la tête de l’État, le président a parcouru 516. 636 kms lors de 83 voyages à l’extérieur, soit trois voyages internationaux par mois. 516. 636 kms représentent 13 fois le tour de la terre (40.075 kms) ou 552 fois la distance séparant Bamako d’Abidjan.
Sur la même période de 28 mois, il s’est rendu à l’intérieur du pays 10 fois. (Marakakoungo, Kayes, Mopti-Bandiagara, Ségou-Niono, Gao ( après l’accident du vol d’Air Algérie ), Kourémalé ( Ebola), Gao ( après la fusillade ayant impliqué des soldats de la Minusma), Koulikoro, Sikasso et Ségou).
Les Maliens doivent faire en sorte que 2016 soit radicalement différente de 2015. Il faut agir de manière à relever le défi de la restauration de la paix, de la stabilité et de la sécurité sur tout le territoire. Les défis des réformes institutionnelles, de la re fondation de l’État et de la bonne gouvernance doivent être relevés au cours de cette année.
Les propositions du PARENA pour 2016:
Le PARENA invite le président de la République à prendre la mesure de la gravité de la situation et engager des concertations nationales sur la restauration de la paix et de la sécurité. Il pourrait utiliser la disposition de l’Accord d’Alger relative à la Conférence d’entente nationale dont l’objet pourrait être élargi pour traiter les maux dont souffre le Mali.
Le PARENA réitère sa proposition d’élaboration d’une stratégie nationale autonome de stabilisation et de sécurisation du territoire. Il encourage le Président à explorer la possibilité d’engager le dialogue avec les jihadistes maliens pour stabiliser le pays. Un tel dialogue a donné des résultats sous d’autres cieux.
Le défi des réformes institutionnelles et de la re-fondation de l’État:
Le quinquennat en cours aurait dû être celui des leçons apprises de l’effondrement de l’État en 2012 et des réformes subséquentes.
Malheureusement, le président élu s’est donné d’autres priorités.
L’Accord d’Alger que le PARENA considère comme une étape de la longue quête de paix et de stabilité au Mali nous oblige à des réformes institutionnelles. Saisissons l’occasion pour doter notre pays d’institutions voulues de commun accord.
La Conférence d’entente nationale est l’occasion de débattre de cette nécessaire re-fondation de notre architecture institutionnelle globale.
La période intérimaire de 18 à 24 mois prévue par l’Accord d’Alger sera le temps de mise en œuvre de ces réformes qui dessineront le visage du Mali post-crise:
- Engager la révision de la Constitution en tirant les leçons de la crise et en tenant compte de l’Accord d’Alger,
- Modernisernotre dispositif électoral,
- Renforcer les contrepouvoirs,
- Conforter l’indépendance de la justice,
- Renforcer les pouvoirs du parlement national et des assemblées régionales,
- Organiser la séparation des pouvoirs, en particulier au niveau régional.
- Améliorer l’Accord d’Alger,
- Relancer l’économie afin de créer la richesse et les emplois non seulement pour les jeunes mais aussi pour les moins jeunes. Les pères de familles sans activités et sans ressources représentent une tragédie pour les familles et pour la société.
- L’École: rationaliser les activités des Missions universitaires récemment créées, éviter qu’elles donnent naissance à de nouvelles universités thématiques, privilégier la création de missions universitaires dans les régions frontalières ( Kayes, Sikasso et Gao ) pour favoriser la coopération avec les universités des pays voisins et impulser l’intégration sous-régionale.
- Les femmes: elles sont la moitié de l’humanité, elles sont l’avenir de l’homme, comme l’a chanté le poète. Nous devons tout à nos mères, à nos épouses, à nos sœurs, des origines de la vie à la mort, elles jouent un rôle unique et irremplaçable. Reconnaissant ces réalités incontestables, nous devons avoir un consensus pour accroître leurs responsabilités dans la cité.
- Dans le monde rural: mettre fin à l’arbitraire et aux interférences du gouvernement dans les organisations paysannes, renouveler les coopératives de producteurs de coton selon les règles de l’OHADA. Nous affirmons notre solidarité avec les cotonculteurs traduits en justice à Koutiala par ladirection de la CMDT.
- La Défense et la sécurité: commandant des troupes au front en 2012-13, le général Didier Dacko avait parlé de » putréfaction » de l’armée. Il savait sans doute de quoi il parlait. Il est indéniable que la mauvaise gouvernance est une des principales causes de cette « putréfaction ».
Mais il ne semble pas que nous ayons tiré des leçons suffisantes des causes profondes de l’affaiblissement des FAMAS. Nos forces auraient été en meilleur état si les ressources qui leur sont destinées sont utilisées à bon escient.. Chacun a en mémoire l’affaire des contrats de Guo-Star en 2013 et les détournements de milliards auxquels, elle a donné lieu.
Lors du Collectif budgétaire de juin 2015, le budget de la défense et de la sécurité a été porté de 183 à 281 milliards. En 2016, ce budget a été ramené à 213 milliards.
Le PARENA invite le président de la République et le Gouvernement à édifier l’opinion sur cette baisse inexpliquée des ressources affectées à la défense et à la sécurité du pays.
Conclusion: lutter contre l’impunité et sortir de l’immobilisme.
En ce début d’année, le MALI donne l’impression d’un pays qui a baissé les bras. Le leadership est plongé dans un grave immobilisme. Il n’y a pas d’enthousiasme à relever les défis. Le pays s’enfonce dans la crise.
Le Mali nous a tout donné. Nous avons un devoir vis à vis de notre pays. Individuellement et collectivement, nous n’avons pas le droit de croiser les bras et d’adopter l’attitude du spectateur quand le pays va mal.
Mobilisons-nous, utilisons tous les moyens démocratiques pour amener le président de la République à sortir de l’autisme et de l’immobilisme, à changer de cap.
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Permettez-moi de saluer le courage avec lequel vous accomplissez votre métier.
Les femmes et les hommes de presse sont partie intégrante du peuple. Ils souffrent et luttent avec le peuple.
C’était le cas à la fin des années 1980 avec les Boubacar Keita-Doyen ( paix à son âme), Alpha Konaré, feu Abdoulaye Barry, Sadou Yattara, Belco Tamboura ou feu Chouaidou Traoré qui ont pris des risques en exprimant courageusement l’aspiration profonde du peuple à la liberté.
C’était le cas en 2012, quand les auteurs du coup d’État ont tenté d’instaurer une nuit noire au cours de laquelle agressions et atteintes à l’intégrité physique, arrestations arbitraires, menaces et intimidations étaient le lot des journalistes qui avaient refusé le viol de la constitution. Les escadrons de Kati ont cherché à semer la mort dans les rangs de la presse.
Saouti Haïdara et Abdramane Keita ont payé un lourd tribut à la barbarie. Chahana Takiou a été harcelé par la Sécurité Militaire. Boukari Daou a été emprisonné comme Sambi Touré, Birama Fall, Hamèye Cissé l’ont été il y a quelques années à la suite d’articles sur une dissertation scolaire.
En 2015, Lacine Diawara et Moussa Mallé Sissoko ont été arrêtés à la suite d’une manifestation contre le projet d’accord d’Alger.
C’était aussi le cas en octobre 2015, quand, à Paris et à Bamako-Sénou, l’on a tenté de remettre en cause les libertés sur lesquelles repose le cadre démocratique et républicain de notre pays. Avec les autres forces vives, les journalistes se sont dressés contre l’autoritarisme, contre les menaces et les invectives, contre les tentations dictatoriales sommeillant chez certains responsables maliens.
Depuis un quart de siècle, les femmes et les hommes de presse opposent une résistance digne d’éloges aux tentatives de musèlement et de remise en cause des droits démocratiques du peuple. Ils méritent un hommage appuyé de tous ceux qui sont attachés à la liberté et à la justice.
Mesdames et Messieurs,
Nous entrons en 2016 dans l’année du 25 ème anniversaire de la révolution démocratique de mars qui a donné naissance à la 3 ème République!
Un quart de siècle!
Le temps du souvenir, le temps de s’arrêter pour faire le bilan, pour réfléchir sur le parcours, sur notre parcours, sur nos échecs, nos fautes, sur les avancées et progrès.
Le temps de se souvenir des pionniers sans lesquels, il n’ y aurait pas eu de presse libre, sans lesquels, il n’y aurait pas eu mars 1991.
A tous, à nos martyrs un déférent hommage en ce début du 25 ème anniversaire.
Hommage aux journalistes morts au Mali parce qu’ils aimaient ce pays et étaient venus rendre compte de ses réalités: je pense en particulier à mon amie Ghislaine Dupont et à son collègue Claude Verlon morts à Kidal, au Mali, le 2 novembre 2013.
Que 2016 soit l’année de la vérité sur les circonstances et les auteurs de leur assassinat. Où en est l’enquête malienne? Que fait la justice malienne pour traquer la vérité?
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Vous avez démontré, tout au long des 25 années écoulées votre attachement à la liberté et à la démocratie.
Ensemble célébrons la liberté, célébrons mars et son esprit en 2016!
Je vous remercie.
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