Mali : la France se félicite de son intervention, mais l’avenir reste incertain
Le président malien, Ibrahim Boubacar Keita et François Hollande à l’OCDE, le 22 octobre 2015.
François Hollande, qui accueille pour deux jours, le président malien Ibrahim Boubakar Keita, se félicite de la stabilité retrouvée au Mali. Dans les faits, le chemin pour la sécurité est encore long.
Les Champs-Elysées ont été décorés aux couleurs du Mali pour l’occasion. Le président malien, Ibrahim Boubakar Keita, dit IBK, a eu le droit à tous les fastes pour sa visite d’Etat de deux jours en France. Paris fait valoir que cette visite « tombe à un moment important dans le règlement de la crise malienne avec une accélération de la mise en œuvre des accords d’Alger depuis septembre ». François Hollande promet que la France « restera en première ligne » dans l’aide au Mali. Ce qui a été possible en à peine trois ans (…), trois ans pour passer de l’état de guerre à l’état de paix, trois ans pour vaincre le terrorisme qui allait envahir tout le pays, trois ans pour assurer une réconciliation, eh bien, ce qui a été possible pour le Mali doit être possible au-delà du Mali », a-t-il encore dit jeudi 22 octobre.
C’est vrai, la France peut se féliciter. Les mesures prises par François Hollande pour le Mali ont été une réussite : depuis l’intervention militaire française dans le nord du Mali, le pays va mieux, les djihadistes n’ont pas déferlé à Bamako. La sécurité est désormais assurée par les forces de maintien de la paix des Nations-unies, la Minusma, aidée par la France. Les élections qui se sont tenues à la suite de l’opération militaire, se sont déroulées dans de relatives bonnes conditions. Des accords de paix, après huit longs mois de pourparlers, ont été signés en mai et en juin entre les différents groupes rebelles du nord et Bamako et prévoit un retour progressif de l’administration et de l’armée malienne sur l’ensemble du territoire, notamment dans le nord.
Le pire a été évité, le chemin a été long, mais rien n’est réglé et les problèmes de fond demeurent. Le terreau du terrorisme n’a pas été éradiqué », estime Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, en charge de l’Afrique.
Des djihadistes toujours présents. Si l’opération Barkhane (1.300 militaires pour le seul Mali sur les 3.000 présents au Sahel) a permis de disperser les djihadistes qui opéraient dans la région, ces derniers sont toujours présents. Des zones entières échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères. Les groupes djihadistes, très mobiles, ont encore la possibilité de mener des actions individuelles partout au Mali. Longtemps concentrées dans le nord, les attaques djihadistes se sont étendues depuis le début de l’année vers le centre du pays, puis à partir de juin au sud, aux frontières avec la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. En mars, une attaque, revendiquée par le groupe de Mokhtar Belmokhtar, dans un restaurant du centre de la capitale malienne avait fait 5 morts.
« Ces mouvances sont dans des logiques de guerre asymétrique avec des cellules dormantes un peu partout. Elles n’ont pas perdu leur capacité de nuisance. Et on trouvera toujours des jeunes, sans perspective d’avenir, prêts à être rémunérés par ces groupes qui mêlent mafia et religion », explique Philippe Hugon.
Kidal reste toujours une épine dans le pied de la France et du Mali. La ville, dont la population reste très hostile au gouvernement, est toujours sous le contrôle du mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), principal groupe séparatiste. L’armée malienne n’y a pas droit de cité et l’opération française n’a pas pu y accéder non plus. Par conséquent, les djihadistes s’y cachent toujours, dont les djihadistes d’Ansar Dine.
Des accrochages fréquents entre tribus. Les accords de paix devaient instaurer une paix durable dans le nord du pays et répondre aux différentes revendications des groupes touaregs, armés qui sont à l’origine des troubles qui ont déstabilisé le nord du pays depuis 2013. Les tensions communautaires se sont certes calmées, mais n’ont pas disparues. Il faut savoir que le nord Mali, territoire immense, avec très peu de richesses économiques exploitables, n’est pas uni. La région est composée de Touaregs, mais aussi de Peuls, d’Arabes, de Sonrhaïs, d’immigré du sud du Mali, à l’instar des Bambaras. Par ailleurs, au sein même des Touaregs, le contrôle du jeu politique passe par des appartenances aux différentes tribus. Pour complexifier la situation, tous ont en commun des intérêts pour le contrôle des trafics. Certains n’hésitant pas à s’allier à Al-Qaïda au Maghreb islamique qui veut aussi sa part du gâteau.
De fait, de nombreux accrochages meurtriers sont encore fréquents entre les groupes armées pro-gouvernements (la Plateforme) et les CMA, l’ex-rébellion. Le 19 octobre dernier, les parties se sont engagées à respecter les accords de paix et ont signé un cessez-le-feu.
Des fonds mal ciblés. La question du développement est pour toutes ces raisons primordiales. Mais là encore, l’accord signé est loin de permettre une amélioration de la situation. Human Rights Watch (HRW) estime qu’il reproduit les erreurs du passé, en favorisant une politique de décentralisation et de clientélisme. L’organisation regrette que le texte évoque peu les questions d’accès aux services sociaux de base, d’emploi et de justice. « La priorité donnée à la sécurité a relégué au second plan le difficile combat pour restaurer l’utilité sociales de l’Etat sur l’ensemble du territoire malien ».
Ce n’est qu’à la mi-octobre qu’une délégation de Bamako s’est rendue à Kidal pour évaluer les besoins de la population. RFI raconte que depuis 2012, les écoles de la ville n’ont pas toutes rouvert, seulement quelques centres médicaux sont en activité et un seul groupe électrogène alimente la ville, quand il n’est pas en panne.
La France a déjà octroyé 300 millions d’euros de prêts et d’aide en 2013. Cette somme est versée entre 2015 et 2017. Elle a également annoncé 360 millions d’euros supplémentaires, dont 80 millions destinés au nord du pays, jusqu’en 2017. Si elle n’est pas la seule à contribuer au développement du Mali, on est loin des 3,5 milliards nécessaires pour reconstruire le pays. Aussi, Philippe Hugon estime que les bailleurs sociaux ciblent mal les canaux de distribution des fonds. « Ils ne font pas appel aux personnes qui connaissent bien le terrain, comme les ONG et les chercheurs. Ils pourraient aussi faire appel à la diaspora malienne par exemple. Ce ne sont pas des grands projets, comme ceux menés par Jean-Louis Borloo [à travers sa fondation « Énergies pour l’Afrique », ndlr] qui va faire redémarrer le pays. Il faut connaître les réalités du terrain, avoir des approches plus modestes, plus sectorielles avec des acteurs multiples à l’échelle infra-nationale. »
Source L’OBS
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