Mali. La république des imams
Bamako, 2 mai 2015. Cherif Ousmane Madani Haidara (à gauche) et Mahmoud Dicko (à droite). Les deux imams se ne privent pas de peser sur la vie politique de leur pays. HABIBOU KOUYATE / AFP
Malgré la menace djihadiste qui a failli désintégrer le pays en 2013, le religieux fait de plus en plus intrusion dans la sphère politique.
Les leaders religieux drainent d’importantes foules et il est de notoriété qu’ils sont faiseurs de rois aux plus hautes charges de l’Etat. Les meetings politiques n’arrivent plus à susciter autant d’enthousiasme. Mais les principaux leaders religieux musulmans (le pays est à 90 % de cette confession) du Mali remplissent aisément les grands stades pour chacun de leurs meetings. Surtout lors de la célébration des fêtes religieuses musulmanes comme le Maouloud (naissance et baptême du Prophète).
Ils finissent par tirer de cette popularité une place prépondérante dans les choix politiques majeurs. Pour l’opinion publique nationale, le candidat Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) n’aurait pas réussi à se faire élire président de la République en 2013 si les leaders religieux ne l’avaient pas aidé. Le président du Groupement des leaders religieux, Ousmane Cherif Madani Haïdara, confirme. Selon lui, la campagne électorale d’IBK, pour la présidentielle 2013, a commencé dans son salon.
“Et aujourd’hui, il s’éloigne de nous”, déplore-t-il, faisant allusion à l’absence du chef de l’Etat à la récente célébration de la fête du Maouloud dans le plus grand stade du Mali. A la veille des fêtes de fin d’année, le gouvernement a décrété l’état d’urgence pour dix jours et l’a prolongé plus tard de trois mois (il court jusqu’au 31 mars). “Personne, aucun pouvoir ne peut nous empêcher de célébrer notre Maouloud”, a martelé le leader religieux. Laissant entendre que si l’Etat a décrété l’état d’urgence, c’était pour “saboter” la célébration de cette fête musulmane, à laquelle un courant dans l’islam (les wahhabites) n’est pas favorable.
Etat d’urgence défié . Pour le ministre des Affaires religieuses et du Culte, Thierno Oumar Hass Diallo, il est difficile de séparer l’Etat du fait religieux. “On ne peut pas concevoir la gestion des affaires publiques sans considération des opinions de la religion, sans tenir compte des croyances. Mais cela ne veut pas dire que ce sont les leaders religieux qui dictent à l’Etat la conduite à tenir”, déclare-t-il. Avant d’ajouter que dans un pays où presque tout le monde est croyant, où l’Etat gère par exemple une bonne partie de l’organisation du pèlerinage musulman, il est difficile que le religieux et le politique n’interfèrent pas.
A ce titre, on parle d’environ 813 mosquées dans le district de Bamako (selon l’imamat, chiffre issu du recensement 2012). Et des voix s’élèvent de plus en plus pour demander que l’Etat y contrôle les prêches des vendredis. Mais on constate qu’il peine à faire l’inventaire de toutes les mosquées du pays, à bien organiser le pèlerinage.
Pour sa part, le président du Haut Conseil islamique du Mali, l’imam Mahmoud Dicko, fustige “le manque de cadre de concertation entre l’Etat et les leaders religieux”. Et de critiquer le rôle que joue le ministère des Affaires religieuses.“Depuis que ce ministère est créé, nous ne nous sommes jamais assis autour d’une table avec ses responsables pour discuter des problèmes que vivent les religieux au Mali. Aucune orientation, aucune intervention de l’Etat pour aider à résoudre les problèmes…” déplore-t-il. Et quand on lui pose la question de savoir s’il n’y a pas une intrusion du religieux dans la sphère politique, l’imam Dicko répond par l’affirmative. Avant d’assurer qu’il ne saurait en être autrement.
“L’Etat doit gérer les affaires de la cité. Et la religion fait partie de la cité. Donc les religieux ne peuvent pas ne pas faire de la politique.”
L’imam ajoute que c’est aux religieux de veiller, afin qu’il n’y ait pas de dérives du fait des décisions que l’Etat est amené à prendre. Il cite volontiers les lois telles que le Code des personnes et de la famille, qui réglemente le mariage, l’héritage, le divorce, etc. “Pensez-vous que ces questions ne touchent pas le cœur même de nos croyances et de nos valeurs religieuses et traditionnelles ? Devons-nous croiser les bras en spectateurs quand ces aspects de la vie sont touchés ?”
Il ne comprend pas comment l’Etat peut demander aux imams de sensibiliser les fidèles aux élections, à la nécessité de s’inscrire sur les listes électorales, au civisme et ne pas leur permettre de parler de ceux ou celles qui sont candidats, donc susceptibles de diriger la cité, “notre bien commun”. Et de tempérer que cela ne veut pas dire que les mosquées doivent devenir des partis politiques. Mais, estime-t-il, la politique a besoin de la morale et celle-ci est liée à la religion, aux valeurs traditionnelles et coutumières.
Laïcité en question. Faut-il rappeler que certains leaders politiques avaient dénoncé la création, en 2012, du ministère des Affaires religieuses au Mali ? C’est le cas de l’ancien Premier ministre Soumana Sako. Il trouve que, l’Etat malien étant menacé par l’extrémisme religieux, la création de ce ministère favorise une forme de radicalisation de certains fondamentalistes proches des terroristes. Il faisait allusion aux djihadistes, qui souhaitent, du reste, l’application de la charia. D’autres leaders de la classe politique ne cessent de dénoncer “l’immixtion dangereuse du religieux” dans la sphère politique.
Chez les fidèles musulmans, les avis sont partagés. Les uns soutiennent que le religieux doit contrôler le politique, qui est, à leurs yeux, éphémère. Tandis que, pour d’autres, le religieux doit s’occuper seulement des questions de la foi et non de politique.
Pour le sociologue Abdoulaye Diarra, il doit juste y avoir un équilibre entre le fonctionnement de l’Etat et celui de la religion : “Cela fera que chaque citoyen respectera l’Etat et sera libre de pratiquer sa religion dans le respect de la loi”. Il ajoute que la séparation de l’Etat d’avec l’Eglise dans les pays occidentaux n’a pas empêché l’exitence de courants politico-religieux ou la formation de coalitions au pouvoir dans certains pays. Et de parler des “démocrates-chrétiens, de la droite chrétienne et autres” qui gèrent les affaires publiques dans certains pays.
Pour sa part, Djenéba Thiero, membre de la société civile, souhaite que les religieux s’impliquent dans la politique parce que les acteurs politiques ont souvent déçu les populations. “La recherche effrénée des postes et des privilèges, sans aucune conviction, les alliances contre-nature, les transhumances politiques sont ressenties comme des trahisons, explique-t-elle. Les gens se consacrent alors à la religion et n’hésitent pas à demander des orientations aux leaders religieux par rapport aux votes.”
SOURCE SAHELIEN.COM
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