Djéneba Diarra, dite «Fanta» ou «Nan», avait 5 ans. Elle était albinos. Elle a été décapitée dans la nuit du 12 au 13 mai dans la localité de Fana, située à 125 km au nord de Bamako. Ce dimanche-là vers 2 heures du matin, «des hommes armés l’ont enlevée et ont escaladé le mur avec elle», a précisé une source policière à l’AFP. La mère de la fillette, qui dormait à ses côtés, a tenté de rattraper ses ravisseurs avant de revenir auprès de sa seconde fille, elle aussi albinos. «Nous avons retrouvé son corps à côté d’une mosquée, mais sans la tête», décrit Oumar Diakité, enseignant de Fana. «Nous réclamons justice. Sa tête a été emportée. C’est un crime rituel», a déclaré sur place Mamadou Sissoko, secrétaire général de la Fédération des associations atteintes d’albinisme d’Afrique de l’Ouest (Fapao). Cette décapitation refait surgir le spectre de ces «crimes rituels» frappant les albinos, alors qu’approche l’élection présidentielle malienne, fixée au 29 juillet.
Pourquoi les albinos sont-ils des cibles?
L’albinisme désigne une affection génétique héréditaire, qui cause une absence partielle ou totale de pigmentation de la peau, des cheveux et des yeux. Les albinos sont exposés à plusieurs risques (cancer de la peau, problèmes de vue) et sont, dans certains pays, victimes de discriminations. Comme l’expliquait Libération l’an dernier, l’albinisme est beaucoup plus prononcé en Afrique qu’en Europe, du fait d’un brassage génétique moindre et de la permanence de zone isolées, selon les hypothèses des chercheurs. Au Niger, par exemple, la maladie concerne 1 naissance sur 1000 contre 1 personne sur 17 000 en Europe.
Les attaques perpétrées contre les albinos sont la conséquence de superstitions toujours ancrées dans les esprits. «Dans l’imaginaire populaire véhiculé, les albinos ne sont «d’homme que la stature du corps» car «ils donneraient la puissance !» explique Naffet Keita, philosophe, anthropologue et enseignant-chercheur à la Faculté des lettres des sciences Humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) de Bamako, au Mali.
Les rituels pratiqués sur les albinos surviennent au niveau des organes considérés comme porteurs de richesses et de chance. Le corps entier a même un coût: 75 000 euros, rappelait Libération en juin 2016. «Ces traditions prennent leur source dans des considérations culturelles abonnées au mysticisme ou au charlatanisme», souligne Naffet Keita.
Les attaques contre les albinos sont-elles plus nombreuses ?
«Les attaques contre les personnes albinos ont toujours existé mais l’effet des réseaux sociaux a amplifié la médiatisation de ce qu’il se passe en Afrique. Ensuite, il faut comprendre que les attaques ne sont pas forcément qu’en Afrique», observe Mariame Sidibe, doctorante à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et enseignant à la faculté de droit public de Bamako, au Mali.
«Depuis la fin des années 70, le Mali connaît une recrudescence des crimes rituels ou crimes superstitieux qui fait peser sur le pays une chape de peur», affirme Naffet Keita. Dans les années 70 c’est dans la même ville de Fana, celle de la petite Djéneba Diarra, qu’une femme enceinte avait été assassinée et éventrée. La folie meurtrière s’était installée dans plusieurs villes maliennes. Les coupables ont été arrêtés, jugés et condamnés à mort. «A ma connaissance, ce fut la dernière exécution assumée par l’État avant que ces condamnations ne soient commuées en prison à vie», précise Naffet Keita avant d’ajouter, sur la situation actuelle: «Dans ces sociétés en quête d’identité, de recompositions sociétales, on constate à la fois une rigidification du recours aux traditions, un retour du sacré refoulé, une expansion de nouvelles formes de religiosité et de néo traditionnistes dans un contexte de mésusages des techniques de l’information et de la communication.»
Qu’est-ce qui change pour les personnes albinos en période électorale?
«A chaque fois qu’il y a des élections, nous devenons du gibier pour des gens qui veulent faire des sacrifices rituels. Ce n’est pas la première fois que ça arrive à Fana. L’Etat doit prendre ses responsabilités», a affirmé Mamadou Sissoko à l’AFP. «L’approche d’organisation de nouvelles élections générales inquiète, dans un pays traversé par une crise multidimensionnelle et d’insécurité ambiante, remarque Naffet Keita. Les albinos font l’objet de nombreuses croyances et la différence de couleur est plus frappante, ici. Etre minoritaire et différent engendre des comportements d’une grande violence.»
Si les attaques visent en premier lieu les albinos, elles touchent particulièrement les enfants. Ils disparaissent sur le chemin de l’école avant d’être retrouvés dans un puits ou assassinés derrière des habitations. «Les recherches s’effectuent souvent toute la nuit et le corps est retrouvé mutilé. Les personnes albinos sont les cibles préférées de ces personnes malfaisantes même si elles visent également d’autres enfants», ajoute Mariame Sidibe.
La société civile s’est toutefois emparée du débat. Le célèbre chanteur albinos malien Salif Keita une association SOS Albinos qui lutte pour la cause. Depuis plus de vingt ans, une journée internationale de la sensibilisation à l’albinisme a été créée et un nouveau programme a vu le jour pour sensibiliser et informer l’opinion publique sur l’albinisme. Il s’agit de favoriser à la fois la protection et l’insertion sociale des personnes albinos.
L
Pingback: Mali : l’assassinat des albinos, un «crime rituel» – Malicom – L’info sur le bout des doigts. | Malicom – Actualité du Mali sur Internet