Neuf questions pour comprendre la crise grecque
Le gouvernement d’Alexis Tsipras martèle que ce référendum ne porte pas sur un « Grexit », une sortie de l’euro.
Quelles seraient les conséquences d’une victoire du oui pour les Grecs ? Et du non ? Quels sont les enjeux du référendum ? La solidarité européenne est-elle menacée ? Retour en neuf questions sur le vote décisif qui se déroule en Grèce dimanche 5 juillet.
Όχι (non) ou nαι (oui) ? Le référendum prévu dimanche 5 juillet divise la Grèce, éreintée par des années de crise. Les électeurs doivent s’exprimer sur les dernières propositions des créanciers du pays, pourtant caduques aujourd’hui. En attendant, les discussions sont suspendues sur un éventuel plan d’aide.
L’avenir du pays, dont les caisses sont vides, dépend en grande partie du résultat du scrutin, même si le gouvernement d’Alexis Tsipras martèle que ce référendum ne porte pas sur un « Grexit », une sortie de l’euro. Retour en neuf questions sur les enjeux du vote.
1 Après toutes ces discussions, pourquoi un vote ?
Comment en est-on arrivé là ? Alexis Tsipras a surpris tout le monde. Dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 juin, le Premier ministre grec annonce la tenue d’un référendum, dans une allocution diffusée sur toutes les chaînes de télévision grecques. Ce coup de théâtre met fin à des mois de discussions entre Athènes et l’Union européenne (UE), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE). Depuis le mois de mars, les créanciers de la Grèce demandaient des réformes et des pistes d’économies budgétaires au gouvernement grec en échange d’une aide financière.
Ces négociations ont en fait tourné au bras de fer et à la guerre des mots entre le gouvernement mené par Syriza, parti de la gauche radicale, et les créanciers. A plusieurs reprises, on a frôlé le point de rupture tant les invectives ont été intenses.
A qui est due cette impasse ? Intransigeance du FMI, rigidité de l’Allemagne, négligence de l’Union européenne, mauvais choix des gouvernements grecs successifs… Chaque camp a sa part de responsabilité.
Depuis le début de la crise dans le pays en 2009, les Grecs ont subi huit plans d’austérité en échange des programmes d’aide internationale. Mais la dette de la Grèce n’a cessé de croître. Le gouvernement grec tentait donc d’obtenir le versement, d’ici fin novembre, de 15,5 milliards d’euros d’aides de la part des institutions européennes et du FMI. Cet « argent frais » aurait notamment servi à rembourser 1,5 milliard d’euros au FMI le 30 juin – somme que la Grèce n’a pas pu régler, entraînant son défaut de paiement.
Prochaine échéance : le 20 juillet avec le remboursement de 3,5 milliards d’euros à la BCE… Alors que l’économie grecque est asphyxiée, Alexis Tsipras tente un ultime coup de poker risqué. Juste avant l’annonce de la tenue du référendum, le blocage ultime entre Athènes et ses créanciers portait sur les retraites, la TVA et la fiscalité des entreprises.
2 Vous pouvez répéter la question sur laquelle les Grecs doivent se prononcer ?
Les Grecs ne vont pas se prononcer sur le maintien de leur pays au sein de la zone euro ou de l’Union européenne. La question qui leur est soumise porte sur l’ultime proposition des créanciers d’Athènes : les 15,5 milliards d’euros de prêts (12 des Européens, 3,5 du FMI) en échange de réformes budgétaires et structurelles. Autant dire sur des textes extrêmement techniques. Résultat : la formulation de la question est complexe, voire absconse.
Faut-il accepter le plan d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) lors de l’Eurogroupe du 25 juin, qui est composé de deux parties : ‘Reforms for the completion of the current program and beyond’ (Réformes pour l’achèvement du programme en cours et au delà) et ‘Preliminary debt sustainability analysis’ (Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette).
L’électeur aura le choix entre deux cases à cocher : « n’est pas accepté/NON » (OXI en grec) et, juste en-dessous, « accepté/OUI » (NAI). Le Conseil de l’Europe et plusieurs opposants grecs au gouvernement Tsipras se sont élevés contre cette formulation complexe. « Les questions d’un référendum doivent être très claires et compréhensibles », a rappelé le Conseil de l’Europe, estimant que ce n’était pas le cas.
Ajoutons aussi que les documents mentionnés sur le bulletin de vote sont difficilement accessibles au commun des mortels. Pour décrypter ce fatras de chiffres et d’acronymes, vous avez intérêt à être calé sur la législation grecque, les mécanismes financiers internationaux et les soubresauts de la crise qui dure depuis plusieurs années.
3 Qui est pour le oui ?
Favorables au oui, les « leaders des grands partis grecs sont les grands absents de la campagne », notent Les Echos. Mais ils agissent en coulisses en faveur d’une approbation des propositions des créanciers de la Grèce. Le principal syndicat grec du secteur privé (GSEE), proche du Pasok (socialistes), est dans le camp du oui. Le milieu des affaires s’est lui aussi massivement mobilisé pour le oui. Une manifestation a réuni 20 000 « oui-istes » à Athènes. La plupart des dirigeants européens ont également pris clairement position pour le oui.
4 Qui est pour le non ?
Le gouvernement grec incite clairement la population à voter non. Le Premier ministre se verrait ainsi « mieux armé » pour repartir lundi à la table des négociations pour obtenir « un accord meilleur » par rapport aux dernières propositions des créanciers. Appelant à un « non massif », Alexis Tsipras met en garde ses concitoyens : « Si les Grecs veulent continuer avec les plans d’austérité à perpétuité, ce qui nous empêchera de relever la tête… Nous respecterons leur choix, mais nous n’appliquerons pas. » Figure emblématique de Syriza, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, appelle à rejeter le plan proposé par les créanciers. « Le programme qu’ils ont imposé à ce pays et qu’ils veulent continuer à imposer (…) va rester comme le plus gros ratage de l’histoire économique », a-t-il martelé.
Syriza et ses partisans peuvent notamment compter sur le soutien de deux prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman, qui ont appelé à voter non.
5 A votre avis, quelle réponse va l’emporter ?
Vendredi, pour la première fois, le oui (44,8%) a devancé le non (43,4%), dans un sondage publié par le journal Ethnos. Mais, compte tenu de la marge d’erreur de l’enquête et du taux d’indécis (11,8%), personne ne peut prédire le résultat du référendum. Deux sondages précédents annonçaient une victoire du non, là encore avec de faibles marges.
Les Grecs sont partagés sur le sens même du référendum : à une question demandant si le vote équivaut à un « oui ou non aux créanciers » ou bien à un « oui ou non à l’euro », chaque proposition recueille 43%.
6 En cas de victoire du oui, ça donnerait quoi ?
Si le oui l’emportait, les négociations pourraient reprendre avec l’Union européenne, en vue d’un nouveau plan d’aide. Le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a déjà annoncé qu’il démissionnerait, et le gouvernement devrait sans doute annoncer son départ, ouvrant la voie à la formation d’un gouvernement d’union nationale.
Le cas échéant, « il faudrait qu’une cinquantaine de députés Syriza (sur 149) acceptent de s’allier aux socialistes du Pasok, aux centristes de To Potami et aux conservateurs de Nouvelle Démocratie, écrivent Les Echos. Pas gagné, sauf si la victoire du oui est très nette. » Des élections anticipées seraient également possibles.
7 Et en cas de non ? La Grèce sortira de l’euro ?
Si le non l’emporte, débutera alors une période d’incertitude. La sortie de l’euro n’est pas automatique, puisque le référendum a pour but d’obtenir de meilleures conditions de la part des créanciers de la Grèce. Et, pour le moment, la BCE maintient les prêts d’urgence accordés aux banques grecques. Mais pour combien de temps ? Le 20 juillet, la Grèce doit rembourser 3,5 milliards d’euros à la BCE. Celle-ci « aurait le droit de couper les robinets, mais la situation financière étant extrêmement tendue, il est peu probable qu’elle le fasse », estime François Cabau, analyste chez Barclays cité par La Croix.
Avec le défaut de paiement officiel, qui pourrait être prononcé le 30 juillet, la Grèce aurait toutefois un grave problème de liquidités. Elle pourrait alors se replier sur la drachme. « C’est certainement une possibilité qui leur permettrait de dévaluer leur monnaie, ce dont ils ont besoin pour retrouver la croissance » en relançant les exportations, estime François Lenglet, journaliste à France 2.
Certains imaginent une période de double monnaie, euro et drachme, durant laquelle les fonctionnaires seraient payés avec des titres de reconnaissance de dettes. Pour autant, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, estime qu’il est impossible de revenir à la drachme, car « les presses ont été détruites ». Une manière d’écarter la question du « Grexit », la sortie de l’euro.
8 Et ça craint pour les autres pays européens ?
En cas de « Grexit », Athènes ne pourrait plus payer ses créances contractées en euros. Mais l’économie grecque n’est « pas assez importante pour avoir un effet direct » sur celle de la France, rassure l’économiste Fabien Tripier, cité par l’AFP. L’engagement total des Français vis-à-vis de la Grèce est « de l’ordre de 1 000 euros » par personne. Il n’y aura pas besoin d’« augmenter les impôts demain pour compenser ce que la Grèce ne pourra pas rembourser », souligne l’expert, car les créances sont très étalées dans le temps.
Par ailleurs, l’Union européenne semble mieux armée qu’auparavant pour éviter la contagion de la crise, grâce, notamment, au Mécanisme européen de stabilité (MES), opérationnel depuis octobre 2012. Le Premier ministre, Manuel Valls, estime que l’économie française « ne serait pas affectée » par un « Grexit ». Mais tous les économistes ne sont pas aussi optimistes. « Si la Grèce sortait de l’euro, la monnaie unique dégringolerait », juge Philippe Dessertine, cité dans Le Figaro.
« Si un pays sort de l’euro, cela va provoquer l’idée qu’il n’y a plus d’euros identiques », analyse l’économiste Alexandre Delaigue, blogueur à francetv info.« Des pays comme le Portugal vont constater des sorties lentes d’argent. Ceux qui ont des fonds à placer vont se dire qu’il est plus sûr de les orienter vers des banques allemandes. La France n’est pas dans cette situation pour l’instant, mais des gens qui ont de l’argent vont tout de même réfléchir à la meilleure façon de le préserver. »
9 En résumé ?
Dans son bras de fer avec l’Union européenne, le gouvernement grec a choisi d’organiser un référendum pour en finir avec les politiques d’austérité. C’est un choix périlleux. Les Grecs votent donc dimanche pour ou contre le dernier texte d’accord proposé par les créanciers du pays (des réformes en échange d' »argent frais » de la part des institutions européennes et du Fonds monétaire international). Au fil des jours, l’enjeu de ce référendum surprise s’est dramatisé. La Grèce n’a pas pu honorer sa dette vis-à-vis du FMI, les banques sont fermées depuis lundi… Il est de plus en plus question de saut « dans l’inconnu » en cas de non, selon les termes de François Hollande.
De fait, la question d’une sortie de la Grèce de l’euro se pose. Vendredi, un sondage a donné le oui légèrement en tête, mais il montre que le pays est totalement coupé en deux et encore très indécis. En cas de victoire du oui, le ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, pourrait démissionner et le parti au pouvoir, Syriza, se poserait la question d’appliquer ou non le plan des créanciers de la Grèce. En cas de non, une période d’incertitude s’ouvrirait. La Grèce pourrait connaître de graves problèmes de liquidités et revenir à la drachme. Ses partenaires européens seraient protégés contre les effets directs d’un « Grexit », mais les conséquences à long terme sur l’avenir de la zone euro restent incertaines.