On ne tue pas le rire

 Voltaire, un célèbre penseur français disait souvent à ses interlocuteurs « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire ». En s’attaquant à Charlie Hebdo dont ils ont décimé la rédaction  en tuant à la kalachnikov douze membres et disant vouloir « venger le prophète », les jihadistes n’ont pas compris qu’ils portaient atteinte à l’un des fondements même de la personne humaine : la liberté d’expression. Une liberté dont on a le droit de priver personne. La réponse de la société française et du monde entier ne s’est pas fait attendre. Près de quatre millions de personnes ont manifesté dimanche 11 janvier à Paris et dans toute la France. Une cinquantaine de dirigeants du monde ont participé, des plus puissants au plus humbles. Des manifestations spontanées mobilisant des dizaines de milliers de personnes ont eu lieu partout dans le monde avec un seul cri de ralliement « Je suis Charlie ». Mais l’acte le plus courageux est venu des survivants de l’hebdomadaire satirique qui ont sorti du chaos un numéro de huit pages tiré à 3 millions d’exemplaires (contre 60 000 d’ordinaire) et qui paraîtra mercredi 14 janvier. Sur la couverture qui a été dévoilée, hier dans la nuit, apparaît Mahomet sur fond vert, couleur de l’islam, tenant une pancarte « Je suis Charlie ». Le titre : « Tout est pardonné ».Un pied-de-nez à ceux qui ont voulu faire taire à jamais Charlie Hebdo.

En faisant un numéro « normal » et non nécrologique, les auteurs entendent respecter la tradition du journal. « Nous nous moquons de nous, des politiques, des religions, c’est un état d’esprit »,  a commenté l’avocat de l’hebdomadaire Richard Malka. « L’étonnant aurait été que Mahomet n’y apparaisse pas, a-t-il expliqué, car  dans chaque numéro de Charlie Hebdo depuis 22 ans, il n’y en a pas un où il n’y a pas de caricatures du pape, de Jésus, de curés, ou de rabbins, d’imams et de Mahomet ».

Dans son prêche de vendredi dernier, l’imam de la mosquée de Bordeaux Tareq Oubrou a dit aux fidèles venus l’écouter: « Parole contre parole, pensée contre pensée, intelligence contre intelligence, caricature contre caricature. Qui empêche les musulmans de faire des caricatures ? Faites aussi un hebdomadaire, et faites aussi les caricatures ! ». On ne peut pas tuer le rire. Charlie Hebdo restera comme il affiche fièrement sur sa couverture  un « journal irresponsable ».

Fousseni TRAORE