Rapport : le Vérificateur découvre plus de 28 milliards de FCFA volés à l’Etat
Le rapport du Vérificateur Général, M. Amadou Ousmane TOURE, épingle deux ministères de souveraineté:la Défense et l’Economie
Faux et usage de faux, trafic d’influence, délit de favoritisme, détournement de deniers publics… Le rapport du Vérificateur Général est accablant contre l’ex ministre de la Défense et l’actuelle ministre de l’Economie et des Finances.
Publié le 29 octobre, le rapport du Bureau du Vérificateur Général sur l’achat d’un avion présidentiel et des fournitures militaires aux forces armées maliennes par le ministère de la Défense, est un véritable manuel de la délinquance économique et financière. Selon le Vérificateur Général, M. Amadou Ousmane TOURE, le montant total des irrégularités financières s’élève à 28, 5 milliards de FCF A dont 12,4 de FCFA au titre de la fraude ». Principaux accusés : le ministre de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubèye MAIGA, au moment des faits et la ministre de l’Economie et des finances, Mme BOUARE Fily Sissoko.
La colère du FMI. Les impératifs de dotations des forces armées maliennes engagées dans les opérations de défense de l’intégrité du territoire national ont servi de contexte au Ministère de la Défense et des Anciens Combattants (MDAC) pour mettre en place une politique d’équipement. C’est ainsi que le gouvernement malien a effectué en novembre 2013 et février 2014 des achats d’un montant de total de 87,77 milliards de FCFA dont 18, 9 milliards de FCFA pour l’acquisition d’un aéronef destiné au Président de la République et 69,18 milliards de FCFA pour des équipements et matériels destinés aux forces armées. Cependant face à l’insuffisance des ressources budgétaires ces dépenses non prévues avaient suscité l’ire du FMI (Fonds Monétaire International) dont l’aide est souvent sollicité par le Mali sous forme d’appuis budgétaires.
Ordonné par le Premier Ministre, Moussa Mara, suite à la polémique provoquée par ces dépenses extrabudgétaires, le rapport du Vérificateur Général, met à nues des pratiques peu orthodoxes de passation des marchés, de décaissement des fonds publics et de dilapidation de l’argent du Trésor.
Le Code des Marchés Publics (CMP) dispose qu’avant d’engager tout appel d’offres ou octroyer tout marché de gré à gré, l’autorité responsable doit déterminer préalablement les besoins et établir le cahier des charges. Or, pour l’achat d’un avion présidentiel et la fourniture aux forces armées maliennes de matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation, ainsi que de véhicules et de pièces de rechange aucun besoin n’a été formulé. Pour le Vérificateur
« Le MDAC a effectué les deux acquisitions en l’absence de toute expression de besoins préalablement et formellement définie.»
Ce qui a pour conséquence la difficulté d’apprécier la pertinence de la commande ainsi que l’effectivité des biens acquis et partant rend impossible légalement le rejet des commandes non-conformes.
Entente directe. Aussi, le MDAC ne s’est pas assuré de l’existence de crédits budgétaires avant le lancement des deux acquisitions, ce qui est une violation de la loi des finances qui peut entrainer la détérioration du cadre budgétaire en occasionnant la prise en charge des dépenses non prévues par l’Etat.
Selon, le Vérificateur, le MDAC a signé par entente directe, sans aucune motivation formelle, un mandat à une société dénommée Conseiller du Gouvernement, un protocole d’accord pour la fourniture de matériel militaire et un contrat de « Cession Acquisition d’aéronef ». Le mandat et le protocole d’accord ont tenu lieu de contrat. Le ministre de la Défense n’a effectué aucun contrôle de prix spécifique ou exiger la fourniture de tout document permettant l’établissement des coûts de revient en violation flagrante du Code des Marchés publics. Ce conseiller du Gouvernement en l’occurrence M. Sidi Mohamed KAGNASSY a été nommé comme tel, par une lettre du chef du cabinet du président de la République, M. Mamadou CAMARA, aujourd’hui Ministère de l’Economie Numérique, de l’Information et de la Communication.
Conflit d’intérêt. « En effet, le consultant Conseiller du Gouvernement a été ciblé et retenu dans des conditions non transparentes puisque jouissant du privilège d’être l’Administrateur Général de la Société « Afrijet Business Service », qui était prestataire de services à la Présidence de la République dans le cadre de la location d’avion » a constaté par l’équipe de vérification ce qui indique l’existence d’un conflit d’intérêt. Malgré cela « le montant total payé au Conseiller du Gouvernement dans ce cadre est de 2 137 500 $ US, soit 1 028 39 063 FCFA ».
←Le ministre de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga
D’autre part, l’équipe de vérification a constaté l’existence de deux protocoles d’accord, tenant lieu de contrat, signés le 11 novembre 2013 , soit à la même date, d’une part, par Sidi Mohamed KAGNASSY et d’autre part, par Amadou KOUMA pour le compte de la Société « GUO STAR », titulaire du protocole. Le premier, habilité par la Présidence de la République du Mali, comme conseiller du Gouvernement pour « traiter avec tout fournisseur ou intermédiaire que ce soit, des affaires d’équipement des forces de défense et de sécurité maliennes », n’a aucun lien avec la Société « GUO STAR ».
En plus le contrat d’achat de l’avion présidentiel est rédigé en anglais, ce qui est une violation de la Constitution qui dispose dans son article 25 que « Le français est la langue d’expression officielle ». « Seule la version anglaise du contrat d’acquisition de l’aéronef existe, explique le Vérificateur Général. Aucune traduction en langue officielle du Mali n’a été faite. Il en résulte, qu’en passant et réglant un marché d’acquisition de bien avec des documents non écrits et signés dans la langue d’expression officielle, le MDAC et le MEF ont exposé la justification et la comptabilisation des deniers publics à un risque évident de non-contrôle administratif et juridictionnel ».
Malgré toutes ces irrégularités le Ministère de l’Economie et des Finances a effectué exclusivement tous les règlements par un emprunt bancaire complété par des crédits sur les « Charges Communes » du budget national. Ce qui a fait dire au Vérificateur Général que le MDAC et le ministère l’Economie et des Finances(MEF) «ont irrégulièrement passé, exécuté et réglé les deux contrats d’acquisition et de fourniture ».
Usurpation de pouvoir. Le Vérificateur a constaté que dans la procédure de passation et d’exécution des deux marchés, l’implication d’intermédiaires dont l’opportunité n’est pas démontrée a eu pour effet d’augmenter les coûts d’achat.
De plus, Le MDAC a retenu des candidats n’ayant pas les capacités (juridiques, techniques et financières) requises pour assurer l’acquisition de l’aéronef et la fourniture de matériels militaires, de véhicules et de pièces de rechange.
En approuvant ces deux contrats, ce qui relève du Conseil des ministres vu les montants en jeu, le Ministre de la Défense et des Anciens Combattants a non seulement commis des actes d’usurpation de pouvoirs, mais a également exposé l’Etat à des risques d’exécution budgétaire majeurs. Pour résorber la conséquence de cette irrégularité, le Gouvernement a restructuré, après paiement, la Loi de Finances de 2014 pour faire face aux dépenses relatives à l’acquisition de l’aéronef.
Les procédures d’enregistrement des deux contrats n’ont pas été respectées. Les contrats n’ont fait l’objet d’enregistrement, ni au Secrétariat Général du Gouvernement, ni au service des Impôts. Le Trésor Public a été ainsi privé de l’encaissement de plus de 2 milliards de FCFA de droits d’enregistrement et l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et des Délégations de Service Public de 345 millions de FCFA au titre de la redevance, seulement sur le marché de la fourniture du matériel militaire.
←La ministre de l’Economie et des finances, Bouaré Fily Sissoko
L’avion n’est pas propriété du Mali. Selon le Vérificateur, pour des raisons diverses non justifiées, le Ministre de la Défense et des Anciens Combattants a donné mandat, le 05 mars 2014, à un avocat afin de constituer une société dénommée « Mali BBJ Ltd » dans le but de procéder d’une part, à l’immatriculation de l’aéronef sur le registre de l’aviation civile d’Aruba au nom de cette société et d’autre part, d’établir un contrat de bail pour son exploitation. « Suite à la constitution de cette société le 7 mars 2014 à Anguilla, territoire britannique d’outre- mer, l’aéronef fut immatriculé le 25 mars 2014 pour le compte de « Mali BBJ Ltd » pour une période de deux ans, à travers le certificat n°BVI-14/006 et le certificat de navigabilité n°BVL-14/006 a été délivré pour l’exploitation, sur une période d’un an ». Donc, aux termes de la convention de Chicago, l’aéronef est propriété de « Mali BBJ Ltd » car l’immatriculation vaut titre de propriété. Même si, aucun document déterminant la structure de gestion de cette société n’a été fourni.
Un contrat de bail a été signé pour un an avec tacite reconduction entre le Ministre de la Défense et des Anciens Combattants pour le compte de la République du Mali et « Mali BBJ Ltd » représenté par le Managing Director d’IMC Management (Anguilla) Limited dont l’identité reste indéterminée.
Une garante de 100 milliards. Le MEF a irrégulièrement accordé une garantie au titulaire du marché dans le cadre de la fourniture des matériels et équipements destinés aux forces armées. Le Vérificateur a constaté que le titulaire du marché, la société GUO STAR, n’a pas pu honorer son engagement contractuel en ne parvenant pas à mobiliser le financement. Pour parer à cette défaillance et en violation de tous principes, le Ministre de l’économie et des Finances a fourni une garantie autonome à première demande de 100 milliards de FCFA à la banque de ce dernier pour assurer le financement du protocole d’accord. « La garantie est toujours fournie par le titulaire et non l’autorité contractante à fortiori une autorité qui n’est pas partie prenante au protocole d’accord. Cette pratique constitue une distorsion aux principes de la commande publique » clame le Vérificateur.
Aux termes de son rapport bien documenté de 234 pages (annexes compris) le Vérificateur Général a saisi le Procureur de la République afin de poursuivre les auteurs des faits pour détournement et complicité de détournement de fonds publics par l’engagement irrégulier des finances publiques ; utilisation frauduleuse et détournement de deniers publics ; délit de favoritisme ; faux et usage de faux; trafic d’influence; fraudes fiscales, etc.
Fousseni TRAORE
Télécharger ici Le Rapport du Vérificateur Général