Réponse à un ami touareg : « Nous sommes tous des « génocidés » de la mauvaise gouvernance »
La photo polémique du Pr Aboubacrine Assadek (officiellement en traitements médicaux) dans une manif du MNLA à Paris.
Paraplégique et mathématicien de renom, le Pr. Aboubacrine Assadek du département mathématiques et informatique de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université de Bamako qui a publié plusieurs livres et formé de nombreux étudiants maliens est un véritable symbole de la nation. Cependant ses prises de positions sont souvent aux antipodes de sa réputation. Aïda Diagne le répond suite à un de ses commentaires polémiques laissé sur malicom.net.
«Mille bravos à mon ami(e) Aida Diagne! Mais tant que les Maliens sont dans le déni du génocide contre les touaregs, il n’y aura pas de paix. Les touaregs qui nient cela sont atteints du syndrome de Stockholm ou ne pensent qu’à leur ventre et bas ventre.». C’est le commentaire laissé par le Pr Aboubacrine Assadek suite au dernier billet publié sur le site internet malicom.net, « IBK, symbole de l’échec de la politique africaine de Hollande ».
Cher Professeur, Tout en vous remerciant pour votre appréciation, je suis très surprise de la teneur de votre commentaire. Il m’étonne qu’un homme aussi précis que vous, joue avec le terme « génocide ». Des êtres ou des groupes humains peuvent se faire la guerre sans chercher à s’exterminer, c’est souvent c’est le cas, heureusement… « Mais tant que les Maliens sont dans le déni du génocide contre les touaregs, il n’y aura pas de paix ». Avons-nous là la raison fondamentale pour laquelle la CMA n’a pas signé l’accord de paix ? La reconnaissance par l’Etat du Mali d’un génocide des Touaregs ?
←Pr Aboubacrine Assadek
Je suis très curieuse de voir quelles sont les preuves tangibles et irréfutables qui vous permettent de parler de génocide. Ce terme est très précis et suffisamment lourd de sens pour ne pas être employé à tort et à travers, ne serait-ce que par respect pour ceux qui en ont été réellement victimes dans une histoire pas si lointaine.
En 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention pour la prévention et la répression du génocide. Le génocide y est très précisément défini dans l’Article II: « Dans la présente Convention le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. «
Avez-vous connaissance d’un projet de génocide théorisé et planifié dans un « Mein Kampf » malien, « propagandé » par les autorités maliennes sur une radio assimilable à la « Radio des 1000 collines » ? Les Touaregs ont-il été victimes de mesures spécifiques destinées à entraver la naissance de leurs bébés ? Leurs enfants ont-ils été arrachés à leur communauté pour être « déportés » dans le sud du pays ? Des membres de votre communauté n’ont-ils jamais participé à un gouvernement malien au motif qu’ils étaient Touareg ?
Tous « génocidés » de la mauvaise gouvernance. En revanche, si vous faites référence au point c – «soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », nous tous Maliens partageons peu ou prou ce drame. Nous sommes tous victimes de la mauvaise gouvernance assassine imposée par nos dirigeants dont ont fait ou font partie des Touaregs, et leurs partenaires complaisants. Nous, populations maliennes, peuples de l’est et de l’ouest, du nord et du sud, du fait de la corruption endémique et des détournements de nos ressources, sommes tous des naufragés suicidaires. Nous sommes tous des « génocidés » de la mauvaise gouvernance, intentionnellement soumis à des conditions d’existence qui entraînent notre destruction physique totale ou partielle, qui portent gravement atteinte à notre intégrité physique ou mentale et qui nous tuent aussi sûrement qu’une balle reçue en pleine tête.
Que font nos jeunes migrants qui fuient une mort misérable à petit feu mitonnée par les puissants complices, préférant une mort brutale probable, suicide expiatoire à peine déguisé d’une société devenue inhumaine envers ses propres enfants ? Que dire de ces villages dévastés par les compagnies minières multinationales qui empoisonnent l’eau des bébés, hypothéquant leur avenir, quand ils ont la chance de survivre, par une « atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale » ? Ne trouvez-vous pas paradoxal que nos migrants soient majoritairement originaires de la région de Kayes où sont installées de grandes sociétés minières multinationales qui s’enrichissent à milliards, détruisant la vie de ceux qui ont le malheur d’être nés sur ces terres riches en or dont ni eux, ni notre pays ne voient la couleur?
Cher Professeur, la souffrance et la mort sont les choses les plus également partagées dans notre pays, du nord au sud, d’ouest en est. Ne masquons pas des appétits et des sentiments bassement mesquins derrière un terme aussi chargé de sens que « génocide ».
En affirmant que « Les touaregs qui nient cela [le génocide] sont atteints du syndrome de Stockholm ou ne pensent qu’à leur ventre et bas ventre », vous affichez votre refus de la différence, y compris au sein de votre communauté. Vous voulez imposer le règne de la pensée unique, la vôtre. C’est sans doute pour cela que vos thèses sont minoritaires dans votre propre communauté et plus largement dans cette partie du Nord du Mali que vous voulez annexer par la force. Le fascisme n’est pas loin… Très cordialement.
Aïda H. Diagne
Merci chère Aida, pour cette leçon de morale et d’éducation civique pour dire que même à un professeur on apprend et surtout lorsque ce dernier lui même manque de lucidité dans une situation de déni de personnalité. Je trouve seulement que c’est bien dosage qu’il lie une telle pensée à sa personnalité et la figure qu’il represente d’abord aux yeux des maliens et au sein de sa propre communauté.
Merci encore