Meurtre en détention préventive ?
Les autorités maliennes sont accusées d’être responsables de la mort de l’ancien chef du gouvernement, décédé lundi 21 mars, alors qu’il était incarcéré depuis août 2021. Sa famille demandait depuis des mois une évacuation sanitaire dans un hôpital à l’étranger.
Vingt-quatre heures après l’annonce de la disparition de l’ancien premier ministre malien Soumeylou Boubèye Maïga, l’émotion voire l’indignation sont vives parmi les chefs d’États de la sous-région. Le président nigérien Mohamed Bazoum a accusé la junte malienne d’avoir commis un crime politique : « Sa mort en prison rappelle celle du Président Modibo Keita en 1977. Je pensais que de tels assassinats relevaient d’une autre ère. » De manière plus politique, le président ivoirien a évoqué sa « grande tristesse » en apprenant le décès de son « jeune frère ». Même « tristesse » du côté du président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat.
Intransigeance
Emprisonné depuis le 26 août 2021 pour « faux, usage de faux et favoritisme » dans le cadre d’une enquête sur l’achat d’équipements militaires et sur l’acquisition d’un avion présidentiel, en 2014 alors qu’il était ministre de la défense, Soumeylou Boubèye Maïga n’est pas mort en prison, mais dans une clinique de Bamako où il était détenu depuis le mois de décembre. À plusieurs reprises, sa famille avait alerté les autorités issues du coup d’État de l’été 2020 sur la détérioration grave de son état et avait demandé qu’il soit hospitalisé à l’étranger. Mais la junte s’y est toujours refusée.
Faisant comme si de rien n’était, le porte-parole du gouvernement s’est fendu d’un communiqué, lundi 21 mars, pour rendre hommage au défunt, allant jusqu’à écrire : « Le gouvernement de la République du Mali et le peuple malien ont salué la mémoire du grand serviteur de l’État, son engagement pour la démocratie et prient pour son repos éternel. »
Du côté des partis politiques, le Cadre d’échange (2) a jugé qu’il était « mort en détenu politique, dans des conditions très troublantes ». Et a demandé l’ouverture d’une enquête judiciaire. Une autre formation politique, le Parti pour la renaissance nationale (Parena), a aussi demandé aux autorités de « faire toute la lumière sur les circonstances du décès ».
Nommé à la tête du gouvernement par le président Ibrahim Boubacar Keïta de 2017 à 2020, Soumeylou Boubèye Maïga avait été contraint de quitter son poste après le massacre de 160 civils peuls en avril 2019 à Ogossagou (centre) et après une série de manifestations dénonçant la mauvaise gestion du pays. Chargé de sécuriser le centre du Mali en proie à une spirale de violence communautaire et à la contagion djihadiste, il avait échoué.
Les alertes de ses proches, les constats des médecins et les sollicitations de plusieurs dirigeants d’Afrique de l’Ouest n’ont été finalement d’aucun secours. Soumeylou Boubèye Maïga est mort lundi 21 mars en détention à Bamako, à l’âge de 67 ans.
Cynisme
L’ancien premier ministre du Mali (2017-2019) ne s’est pas éteint derrière les barreaux de la maison centrale d’arrêt de la capitale, où il était placé sous mandat de dépôt depuis le 26 août 2021, mais à la clinique Pasteur, un établissement privé où il avait été transféré le 16 décembre, en raison de la dégradation de son état de santé. Ce fut la seule concession des autorités de transition offerte à Soumeylou Boubeye Maiga. En effet, en dépit des demandes répétées de sa famille pour qu’il soit soigné à l’étranger, du courrier écrit le 1er mars par son épouse au chef de l’Etat, le colonel Assimi Goïta, rappelant que son mari avait « perdu plus de 23 kg » et que « le conseil de santé, commis par l’Etat, a confirmé la nécessité d’une évacuation d’urgence », le pouvoir est resté inflexible à l’endroit de cet homme.
Une inhumanité qui continuera même après la mort de Soumeylou Boubeye Maiga car les membres de la famille n’ont pu accéder à son corps que plus de 24 heures après son décès. Et à condition de signer le document transmis par la junte, les engageant à ne pas faire d’autopsie sur la dépouille. Un comble. Alors que cache la junte ?
La lettre de l’épouse de Soumeylou Boubeye Maïga à Assimi Goïta
Incarcéré depuis le mois d’août pour des soupçons de corruptions et de favoritisme dans deux affaires distinctes, Soumeylou Boubèye Maïga était hospitalisé sous surveillance policière dans une clinique de Bamako depuis près de 3 mois. Dans une lettre ouverte adressée au président de la transition datée du 1er mars, Maïga Binta Yatassaye, épouse de l’ancien Premier ministre, réclamait l’évacuation sanitaire de son mari. Un véritable SOS à laquelle les autorités de la transition sont restés sourdes.
«Excellence, Monsieur le Président de la Transition,
J’ai l’honneur de soumettre à nouveau à votre haute attention la situation critique dans laquelle se trouve mon mari, Soumeylou Boubèye MAIGA, ancien Premier ministre du Mali, en attente d’une autorisation d’évacuation d’urgence depuis la mi-décembre 2021.
Permettez-moi de rappeler que depuis son placement en détention préventive le 26 août 2021 à la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako, sa santé s’est progressivement détériorée en raison de conditions d’incarcération épouvantables et dégradantes tant sur le plan humain, sanitaire que sécuritaire.
Dans ces conditions, il a aujourd’hui perdu plus de 23 kg et se trouve dans un état critique pour lequel un collège d’éminents médecins a requis depuis la mi-décembre une évacuation d’urgence. Le Conseil de Santé, commis par l’Etat, a confirmé la nécessité de cette évacuation d’urgence.
Il s’agit pourtant d’une détention préventive, qui ne justifie pas une telle inhumanité et qui aurait pu prendre une forme plus humaine, comme le contrôle judiciaire.
Monsieur le Président de la Transition,
Je garde l’espoir qu’en tant que Garant de la Constitution, en tant que Premier Magistrat et Garant de la Justice dans notre pays:
– Vous saurez vous prémunir d’une Justice à deux vitesses qui priverait un citoyen de son droit à la vie et à la santé, sans lesquelles, il ne saurait faire face à la Justice.
– Vous saurez faire assurer le respect de l’article 1 de la Constitution, qui garantit pour chaque Citoyen le droit à la vie, à l’intégrité et à la sécurité.
– Vous saurez accorder l’importance qui s’impose au Conseil National de Santé et à l’équipe pluridisciplinaire, composés de professeurs agrégés de médecine, de chef de clinique, et d’éminents médecins civils et militaires, ayant unanimement soumis aux Autorités Maliennes l’urgence de l’évacuation de S.B. Maiga, dont le pronostic vital est engagé.
– Vous saurez vous prémunir d’une Justice arbitraire et sélective qui détruit physiquement un citoyen et le prive sans fondement juridique et contre la Loi, du droit de visite de sa famille et de ses avocats, comme c’est le cas actuellement.
– Vous saurez vous prémunir d’une attitude inhumaine qui laisserait un citoyen mourir en lui refusant les soins dont il a vitalement besoin et pour lesquels l’Etat reste désespérément passif.
En effet, Monsieur le Président de la Transition,
Quelle société serions-nous en train de bâtir en dehors du respect des droits fondamentaux de ses citoyens, en dehors d’une humanité qui est le fondement de toute société aspirant au progrès, en dehors de l’Etat de Droit qui est la base d’un Contrat Social vertueux entre citoyens et dirigeants?
Je reste confiante que vous êtes porteur de ces valeurs et que vous prendrez les décisions qui s’imposent pour préserver la vie du citoyen Soumeylou Boubèye Maïga.
Monsieur le Président de la Transition,
Je vous écris cette lettre de façon ouverte, afin que le Peuple malien soit pris à témoin de cette situation inhumaine et intenable, pour laquelle vous détenez la solution.
Toutes les démarches et lettres que nous avons adressées au Ministère de la Santé et de la Justice sont restées lettres mortes. Les recommandations du collège de médecins et du Conseil National de Santé, sont également restées lettres mortes. Veut-on la mort par abandon et négligence programmée de Soumeylou Boubèye Maïga ?
Je garde foi en votre humanité, votre impartialité et votre capacité à prendre les décisions qui s’imposent dans l’urgence et dans le respect des recommandations des médecins, car Vous êtes le Décideur Final.
Je prends aussi l’engagement, devant le Peuple malien, du retour au Mali de Soumeylou Boubèye Maïga, après ses soins effectués. Nous ne saurions manquer à cette parole prise devant notre Peuple. Nous vivons dans un monde où une personne digne ne saurait se cacher et manquer à ses obligations et SBM est tenu par un tel engagement, il a toujours répondu présent à la Justice et continuera de le faire.
Monsieur le Président de la Transition,
Le pronostic vital de Soumeylou Boubèye Maïga est engagé.
Je vous demande, devant le Peuple Malien, de lui permettre d’aller se soigner et je m’engage, au nom de notre famille à ce qu’il revienne dès qu’il sera rétabli.
Tout notre espoir repose sur votre décision, votre humanité, votre respect du droit à la vie, votre sens de l’Etat de Droit, votre respect de l’expertise et de la parole des médecins, votre sens du devoir à l’égard de tous les citoyens maliens, sans exclusion.
En vous remerciant de votre haute et bienveillante attention, je vous prie d’agréer, Excellence, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.»
Mme Maïga Binta Yatassaye
Epouse de Soumeylou Boubèye MAIGA