Terrorisme : punir n’est pas déchoir et déchoir n’est pas punir
La révision constitutionnelle présentée par le gouvernement vise à étendre la déchéance aux «binationaux nés Français» auteurs de «crimes contre la vie de la nation». Photo Christophe Maout
Le projet de déchéance de nationalité pour les terroristes heurte les principes les mieux établis sans offrir une once de sécurité supplémentaire. Pis, il réjouirait presque ceux qu’il entend punir.
Elu socialiste et avocat de très nombreuses victimes d’actes de terrorisme ou de leur famille, j’aurais sans doute dû me réjouir du projet d’extension de la déchéance de la nationalité annoncée par le président de la République le 16 novembre dernier devant le Congrès.
Il n’en est rien, précisément parce que, confronté à la difficulté de juger les terroristes et leurs complices, je mesure combien ce projet est contre-nature : il heurte les principes les mieux établis sans offrir une once de sécurité supplémentaire. Pis, il réjouirait presque ceux qu’il entend punir !
Commençons par préciser que la déchéance de nationalité existe dans notre droit et qu’elle n’a jamais empêché le moindre attentat ni dissuadé le moindre apprenti terroriste de passer à l’action. Les articles 25 et 25-1 du Code civil permettent de déchoir de la nationalité par décret tout individu convaincu d’actes grave en ce compris le terrorisme si les faits ont été commis dans une période précédant de dix ans l’acquisition de la nationalité ou s’étendant quinze après pour les cas les plus graves. Peu usitée, cette condamnation n’a, à ce jour, été prononcée qu’à six reprises en tout.
Le président de la République a donc annoncé son souhait de voir cette mesure inscrite dans la Constitution afin qu’elle soit étendue aux bi-nationaux y compris «ceux nés Français». Voilà la faute.
Cette mesure étant à la fois existante et dérisoire, on ne peut comprendre la position du président de la République que comme la recherche d’une annonce symbolique. Or, il faut le dire, s’il est ici un symbole en jeu, il est particulièrement funeste car contraire à nos principes, contraire à notre histoire, contraire à la place qui devrait être la notre dans le concert des Nations, contraire enfin, à toute logique d’efficacité dans la recherche d’une plus grande sécurité.
Contraire à nos principes car ce serait sans doute la première fois dans l’histoire de la République que l’on modifierait la Constitution non dans le but proclamer un droit ou conquérir une liberté mais pour entamer un principe et revenir sur nos valeurs. Ce serait au sens propre notre première régression constitutionnelle. Hors, les cas de naturalisation, un pays ne choisit pas ses ressortissants. Il ne peut davantage en vertu des conventions internationales créer d’apatrides. Tout Etat constitué est tenu de conférer une personnalité juridique et une citoyenneté à ses ressortissants sans distinction ni appréciation de leur valeur ou de leur mérite. Et ce qui vaut pour tous les pays, vaut à fortiori pour la République française. La déchéance de nationalité pour les bi-nationaux nés en France mettrait à mal nos principes et nos usages en cherchant à inscrire notre pays dans une tradition qui n’est pas la sienne.
Contraire à notre histoire parce que si symbole il y a, chacun sait que la déchéance de la nationalité des Français nés de parents étrangers est un totem de l’extrême droite française qui puise aux tréfonds des premières campagnes lepénistes et de la France de Vichy. Et pour cause, le droit du sol, à savoir le droit de devenir français sous certaines conditions dès lors que l’on naît en France est un principe presque aussi ancien que la République et avec laquelle il fait corps. L’acquisition de la nationalité par le droit du sol est normalement intangible.
Contraire au rôle que notre pays entend jouer dans le concert des Nations, alors même que les rassemblements populaires en présence de plus de cent chefs d’état le 11 janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hypercacher avaient contribué à forger un nouveau consensus national et une solidarité internationale inconditionnelle. A-t-on mesuré l’effet calamiteux produit sur nos relations avec des pays proches, comme ceux du Maghreb, victimes aux aussi du terrorisme, si demain nous leur renvoyions à l’issu de leurs peines des terroristes nés, élevés et radicalisés en France parce qu’ils seraient devenus des criminels dans notre pays ?
Contraire enfin à toute logique d’efficacité et de renforcement de la sécurité de nos concitoyens. En effet, la déchéance est contraire aux préceptes de notre doctrine répressive. La justice française a en effet compétence, en vertu des conventions internationales, pour punir les auteurs d’actes criminels commis sur le territoire national ou visant des Français, peu importe le lieu de commission de l’infraction et nonobstant la nationalité des auteurs. La France s’est donc octroyée le droit de juger comme un Français, n’importe qui porte atteinte à ses intérêts fondamentaux. C’est une manifestation de sa souveraineté au plan judiciaire et donc de sa puissance.
La peine de déchéance de nationalité s’apparente au contraire à une manifestation d’impuissance, visant à tenir pour étranger celui qui blesse notre pays. Comme si le sort de celui qui devenait criminel regardait désormais d’autres nations davantage que la nôtre.
Elle pourrait finalement s’avérer désastreuse en pratique. Imagine-t-on un Franco-Marocain étant identifié comme ayant été le commanditaire d’un attentat en France et qui serait en Syrie. Rien ne s’opposerait à ce qu’il soit condamné par défaut en France (en son absence) à diverses peines dont la déchéance de nationalité. Il pourrait par le biais des années et des circonstances regagner son second devenu son unique pays de citoyenneté et deviendrait potentiellement inextradable vers la France.
Et pour conclure, ce n’est pas le pire. Le sens d’une peine surtout s’il s’agit d’une des plus sévères est que sa sévérité soit perceptible par tous pour qu’elle puisse avoir une vertu dissuasive et punitive.
Les actes de terrorisme qui se sont abattus sur le territoire français depuis trente ans n’ont pas beaucoup de choses en commun. Mais tous ceux qui ont été commis par des Français, qu’il s’agisse de militants de l’ETA, de nationalistes corses ou plus récemment de jihadistes ont ceci de propre que leurs auteurs ne se considéraient pas comme Français et se revendiquaient d’une autre appartenance pour attenter à la France et à ses citoyens. Ainsi, Mohamed Merah dans ses échanges avec le Raid (retranscrits dans la presse) déclarait peu avant qu’il soit tué : «Donc euh, j’ai pas fait les choses au hasard et tu le sais comme moi que ce que je fais c’est une obligation. Je suis obligé de le faire, en tant que musulman, si je choisis l’islam comme religion, ce que j’ai fait en FRANCE ou, ou que je le fasse dans un autre pays, c’est une obligation pour moi.»
Déchoir les terroristes de la nationalité française serait une forme de reconnaissance funeste donnée à leur doctrine davantage qu’une punition. Comment dès lors l’envisager comme une sanction exemplaire ? Une chose est certaine, cette réforme est un non-sens car on ne peut pas combattre le crime au moyen d’une disposition qui pourrait être une revendication des criminels.
Le gouvernement devrait d’urgence retirer la déchéance de la nationalité du projet de réforme de la Constitution. S’il ne le fait par respect de notre tradition républicaine, par déférence envers le rayonnement de notre pays à travers le monde, qu’il le fasse au moins pour le motif qu’il avait lui-même avancer et qui devrait aujourd’hui et de toute urgence le conduire à renoncer: combattre le terrorisme.
Patrick KLUGMAN Avocat de nombreuses victimes de terrorisme et adjoint à la mairie de Paris (PS)
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