Trois ans de guerre, l’ONU durement frappée et toujours pas d’issue
Avec 56 casques bleus tués au 31 juillet 2015, la Minusma est la plus dangereuse des missions de l’ONU.
Près de trois ans après l’intervention militaire française, la sécurité n’est toujours pas revenue au Mali. L’opération de l’ONU est même la plus dangereuse de toute l’histoire de l’organisation. Avec 56 casques bleus tués au 31 juillet 2015, la Minusma illustre cet enlisement sur fond de blocage politique.
Cela devait être le symbole du retour à la normale, après plus de trois années et demie de conflit, et trente-trois mois après l’intervention militaire française. Lundi 19 octobre 2015, les enfants de Kidal, cette localité du nord-est du Mali, devaient reprendre le chemin des classes. Il avait fallu de longues semaines de négociations entre les différents mouvements rebelles de l’Azawad (dont la volonté d’indépendance est à l’origine de la guerre en 2012) et le gouvernement central malien, qui peine à rétablir son autorité dans cette zone, pour parvenir à un accord sur la reprise des cours.
Las, dimanche 18 octobre, une centaine d’habitants ont manifesté contre la venue du ministre de l’éducation nationale, et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’entité parapluie des groupes rebelles, a préféré annuler la rentrée scolaire.
Ce nouvel écueil symbolise la difficulté, voire l’impossibilité, du retour à la normale au Mali en dépit de la signature d’un accord de paix en juin 2015 entre le CMA et le gouvernement de Bamako. La porte-parole de la MINUSMA, la force de l’ONU en charge du maintien de la paix, mais également de tous les aspects de réconciliation, de sécurité et de promotion des droits humains, expliquait, quelques jours avant le 19 octobre, que la reprise des cours à Kidal devait marquer une avancée concrète : « Nous sommes très heureux de ce développement et nous espérons que ça sera une étape qui va inaugurer une nouvelle phase où la population sentira concrètement le bénéfice direct de ce processus de paix. Il y a un consensus aussi bien au sein du Mali que de la communauté internationale qu’il faut absolument démontrer à la population que la paix est bien installée. Et commencer par démontrer concrètement que la reprise de services de base se traduit tangiblement sur le terrain. »
Faut-il en déduire que c’est l’inverse qui s’est produit ? L’absence de retour des services publics dans le nord du pays signifie-t-il que la paix n’est pas installée ? Probablement.
Peu de monde le sait, mais l’opération de maintien de la paix des Nations unies au Mali est la plus dangereuse de toutes celles jamais entreprises par l’ONU. Avec 56 casques bleus tués au 31 juillet 2015, la Minusma possède le plus lourd bilan jamais enregistré. D’autres missions ont connu un plus grand nombre de morts, notamment des civils, lors de catastrophes naturelles comme en Haïti, mais jamais les soldats sous la bannière des Nations unies n’étaient aussi souvent tombés au combat (ou dans des embuscades et des attentats). On dénombre, par ailleurs, neuf soldats français tués depuis janvier 2013.
Le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, le Français Hervé Ladsous, serait par ailleurs sur le départ, selon plusieurs sources onusiennes. Avec sa sortie, ce serait la fin de la mainmise de la France sur ce poste crucial : depuis 1997 et un accord passé avec Kofi Annan, les Américains et les Britanniques, quatre Français se sont succédé à cette fonction (Bernard Miyet, Jean-Marie Guéhenno, Alain Le Roy, Ladsous). Nul doute que l’Élysée expliquera qu’après 18 ans de contrôle sur ce poste, il est temps de passer la main, mais certains à l’ONU font aussi valoir que la dangerosité de l’opération malienne et le parfum de scandale entourant celle en Centrafrique, deux zones dans le « pré carré » hexagonal, ne seraient pas étrangers à ce chamboulement.
Le rapport du secrétaire général des Nations unies à l’attention du Conseil de sécurité, remis le 22 septembre 2015, est relativement éclairant sur la précarité de la situation au Mali. En dépit de la tonalité généralement optimiste de ce genre de document (le secrétaire général est rarement négatif sur les opérations dont il est, in fine, responsable), il est impossible de lire autre chose qu’une situation de violence qui ne diminue pas.
Exemple : « Malgré la signature de l’accord de paix par toutes les parties, la situation en matière de sécurité est restée extrêmement précaire. Des violations du cessez-le-feu par les groupes armés signataires ont été observées alors que ceux-ci se repositionnaient dans le nord du Mali. […] Parallèlement, des attaques extrémistes et asymétriques ainsi que des menaces de nature criminelle contre les Forces de défense et de sécurité maliennes et la MINUSMA ont persisté tout au long de la période considérée et se sont étendues dans des régions jusqu’alors plus sûres, dans le centre, l’ouest et le sud du Mali et le long de la frontière avec le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie. »
L’ONU affecte une grande partie de ses ressources à sa propre protection
Malgré le déploiement par l’armée française de l’opération Barkhane sur toute une partie du sud Sahel, les réseaux djihadistes et contrebandiers (armes, drogues et migrants) continuent d’opérer, non pas en toute impunité, mais avec beaucoup de facilité. Toujours dans le rapport de Ban Ki-moon, on peut lire ceci :
« Les menaces de nature extrémiste et asymétrique et les risques d’agression violente contre les Forces de défense et de sécurité maliennes et la MINUSMA, suscitent des inquiétudes croissantes. […] Le banditisme armé, les violences intercommunautaires, les attaques menées sans discernement par des groupes extrémistes et les représailles de groupes armés contre des personnes soupçonnées d’apporter un soutien au groupe opposé ont constitué les principales menaces de violence physique dirigées contre les civils, d’où le plus grand nombre de victimes civiles constaté en juin et juillet 2015 par rapport à la période précédente. »
Dernier exemple, enfin, contenu dans le document onusien : « Le nombre de faits de violence ayant mis en péril la sécurité du personnel humanitaire depuis le début de l’année 2015 est près de trois fois plus élevé que celui qui avait été enregistré en 2014. L’augmentation des actes de pillage visant des organismes d’aide alimentaire s’est soldée par la perte d’environ 90 tonnes de nourriture. […] La persistance des attaques contre des convois civils affrétés par la Mission, menées par des groupes extrémistes et criminels armés qui ont recours aux embuscades, à la pose de mines et à des engins explosifs improvisés, contraint la Force à consacrer sans relâche des moyens considérables à la protection de ces convois, ce qui réduit d’autant les ressources à sa disposition pour mener des patrouilles et assurer la protection des civils. » En langage clair, cela signifie que l’ONU affecte une grande partie de ses ressources à sa propre protection, au détriment de ses missions.
« Il est toujours facile de blâmer l’ONU quand ça va mal, et souvent elle le mérite », réagit un diplomate européen en poste à Bamako, « mais la mission malienne est compliquée par trois éléments. Primo, les pays contributeurs de troupes ont mis du temps à envoyer leurs effectifs et beaucoup d’entre eux sont arrivés complètement démunis en véhicules ou en armement.Secundo, les Français se sont empressés de refiler la patate chaude du conflit et de l’accord de paix à l’ONU, pendant qu’ils montaient l’opération Barkhane, qui fonctionne de manière quasi autonome. Tertio, le gouvernement malien semble toujours attentiste, comme s’il ne comprenait pas que c’est à lui de prendre les choses en charge désormais. »
À la veille de la visite d’État du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à Paris, les médias maliens ont souligné la proximité du président avec les autorités françaises, pour, dans l’ensemble, le regretter. IBK en est à son troisième premier ministre en deux ans et son implication dans les différents « maux » du pays semble assez faible d’après plusieurs sources à Bamako. « IBK reste un homme du passé, il a du mal à comprendre que les temps changent. Il attend que les Français ou l’ONU agissent à sa place. Par ailleurs, il a toujours pensé à ses intérêts propres et à ceux de sa famille. Or les rumeurs de corruption et les écoutes dans l’affaire Tomi l’ont affaibli », raconte un homme politique malien qui a longtemps été proche de lui. Il n’est, en tout cas, pas le « sauveur » que les Maliens attendaient et que les Français avaient poussé.
PAR THOMAS CANTALOUBE-MEDIAPART
Rapport de la division des droits de l’homme sur les événements de Kidal des 16, 17 et 21 mai 2014 en date du 9/09/2014 (…) C. Composition des forces de défense et de sécurité maliennes
Les témoins interrogés ont rapporté que les soldats avaient emporté leurs armes et qu’aucun des civils à l’intérieur du Gouvernorat ne portait d’arme.
Le retrait des militaires FAMA a permis aux membres des groupes armés d’investir le Gouvernorat.
« Les tirs ont eu pour effet de nous projeter tous au sol d’où on a rampé jusqu’aux toilettes du bureau du directeur de cabinet pour nous cacher. On y était à cinq, on est ressorti après avoir jugé que la situation était assez calme».
La coalition MNLA, HCUA et MAA a pris le contrôle le Camp I et de toute la ville de Kidal. Cette victoire rapide des groupes armés pourrait peut-être s’expliquer par le nombre important d’éléments du MNLA. HCUA et MAA qui se trouvaient alors en ville pour assister au congrès de l’Azawad.
Au moins cinq éléments des groupes armés ont été blessés et soignés par la MINUSMA l’un d’eux est décédé des suites de ses blessures. Selon les informations recueillies par la DDH, aucun élément n’indique que ces soldats ou éléments des groupes armés aient été tués hors de combat.
Les FAMA ont tiré au moins deux roquettes de 73 mm qui ont touché des résidences civiles, faisant deux blessés, et une lance-roquette (RPG) qui a détruit partiellement le bâtiment d’une ONG.
Le 7 août 2015, un véhicule des troupes des Nations Unies a été endommagé par un engin explosif placé sur la piste d’atterrissage de la ville de Kidal.
Au début du conflit en 2012, toutes les écoles ont été fermées dans la région de Kidal. Toutefois, à la faveur du retour partiel de l’administration en juillet 2013, certaines écoles dans les villes de Tessalit, Aguelhok et Anefis ont été rouvertes. Depuis lors, les populations locales soutenaient la réouverture de plus d’écoles dans la ville de Kidal. Mais le Gouverneur et la société civile de Kidal n’ayant pas pu s’accorder sur les matières à enseigner, toutes les écoles de la ville de Kidal sont restées fermées. Les évènements de mai2014 ont eu pour conséquence d’annihiler tout espoir à moyen terme de réouverture officielle des écoles dispensant un cursus reconnu par l’Etat malien. A ce jour, seules trois écoles ont pu rouvrir grâce à des volontaires dispensant aux élèves un enseignement de base. Les évènements de mai ont aussi été à l’origine de la fermeture de toutes les écoles à Tessalit, Aguelhok et Anéfis. A la fermeture des écoles s’est ajouté le problème de l’occupation des établissements scolaires par des groupes armés (le MAA et le HCUA) dans certaines zones du nord mali. Au 1er Septembre 2014, la DDH recensait 10 occupations d’écoles, à savoir : dans la région de Gao, deux écoles à Ménaka, l’école d’Intilit et l’école primaire de Tabankort ; dans la région de Kidal, l’école de Tessalit, le lycée de Kidal et deux écoles à Aguelhok ; dans la région de Tombouctou, l’école de Lerneb ; et dans la région de Mopti, les FAMA avaient délogé les groupes armés qui occupaient l’école de Boulkessy en novembre 2014,mais l’établissement est désormais occupé. La division des droits de l’homme continue d’effectuer régulièrement un plaidoyer pour la libération des écoles par les groupes armés ou militaires. VII. RÉPONSE DES ACTEURS À LA CRISE MALIENNE
VIII. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Au Gouvernement du Mali I- Ouvrir des enquêtes criminelles crédibles et indépendantes sur les évènements de Kidal des 16, 17 et 21 mai 2014 et rendre public les résultats de ces enquêtes.
III. Mettre immédiatement fin aux occupations de l’école de Boulkessy, dans la région de Mopti.
Aux groupes armés (MNLA, HCUA, MAA) Coopérer avec les mécanismes d’enquêtes nationaux et internationaux dans le cadre de l’établissement des faits et de la recherche de la vérité au sujet des évènements de Kidal du 16, 17 et2l mai20l4.
III. Cesser urgemment de recourir au recrutement et à l’utilisation d’enfants, libérer tous les enfants présents dans leurs rangs, et mettre immédiatement fin aux occupations d’écoles.
A la communauté internationale
III. Renforcer l’assistance humanitaire dans les régions du nord, notamment dans le domaine de l’éducation, et soutien au fonctionnement des services de santé et d’éducation de l’Etat. Initier une action de plaidoyer consolidée auprès des autorités maliennes pour une réouverture des écoles dans la région de Kidal en prévision de l’année scolaire 2014-2016.
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