Un procès a été requis contre Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, soupçonné de « prise illégale d’intérêts »
Le ministère public de la Cour de justice de la République a demandé le renvoi devant la Cour du garde des sceaux, accusé d’avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats.
L’affaire Dupond-Moretti pourrait se traduire devant les tribunaux. Le ministère public de la Cour de justice de la République (CJR) a annoncé, mardi 10 mai, avoir requis le renvoi devant la Cour de l’actuel garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, mis en examen pour « prise illégale d’intérêts ». L’ancien avocat est soupçonné d’avoir profité de sa fonction gouvernementale pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était conseil dans deux dossiers, ce qu’il nie.
Selon un communiqué du parquet général près la Cour de cassation, le ministère public a jugé qu’il existait des « charges suffisantes » contre le ministre pour le renvoyer en procès devant la formation de jugement de la CJR, seule juridiction habilitée à poursuivre et à juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis « dans l’exercice de leurs fonctions ».
La décision finale sur un éventuel renvoi du ministre devant la formation de jugement de la CJR appartient, désormais, à la commission d’instruction de la CJR. Eric Dupond-Moretti, nommé au gouvernement à l’été 2020, est mis en examen pour des faits de prise illégale d’intérêts depuis juillet 2021. Convoqué en mars et en avril par les magistrats de la CJR sur les deux dossiers, il a refusé de répondre à leurs questions.
« Méthodes de barbouzes »
La commission d’instruction de la CJR a ouvert en janvier 2021 une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts » après avoir jugé recevables les plaintes de trois syndicats de magistrats et de l’association Anticor dénonçant des situations de conflit d’intérêts dans deux dossiers.
Le premier concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre 2020 par le garde des sceaux contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF) qui avaient fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés (fadettes) quand il était encore une star des prétoires. Le PNF cherchait alors à débusquer une taupe ayant pu informer Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog – un ami de M. Dupond-Moretti – qu’ils étaient sur écoute dans l’affaire de corruption dite « Paul Bismuth », pseudonyme utilisé par l’ancien chef d’Etat pour utiliser une ligne téléphonique distincte de celle à son nom.
Vilipendant ce qu’il avait qualifié de « méthodes de barbouzes » du parquet anticorruption, M. Dupond-Moretti avait déposé une plainte, avant de la retirer au soir de sa nomination comme garde des sceaux, le 6 juillet 2020.
Dans le second dossier, il est reproché au ministre d’avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients et dont M. Dupond-Moretti avait critiqué les méthodes de « cow-boy » après que ce magistrat avait pris la parole dans un reportage.
Dupond-Moretti s’est toujours défendu de toute prise illégale d’intérêts, arguant qu’il n’avait fait que « suivre les recommandations »de son administration. Les potentiels conflits d’intérêts du nouveau garde des sceaux avaient cependant conduit à l’écarter du suivi de ses anciennes affaires, passé sous le contrôle de Matignon à la fin d’octobre 2020.