Vincent Segal et Ballaké Sissoko sous les étoiles du Mali
Ballaké Sissoko au kora et Vincent Segal au violoncelle interprètent N’Kapalema, extrait de leur nouvel album.
Le Français au violoncelle, le Malien à la kora. C’est sur un toit de Bamako qu’ils ont imaginé leur deuxième album, “Musique de nuit”. Rencontre avec un duo fait pour s’accorder.
Vendredi 4 septembre. Il est 11 heures à Bamako et le soleil est déjà haut. Assis dans la rue sur un fauteuil en plastique, les pieds dans la poussière rouge et le béret à l’ombre des arbres, un homme blanc discute à la fraîche avec ses voisins du paisible quartier N’tomikorobougou. C’est là que Vincent Segal, 48 ans, passe ses après-midi quand il séjourne au Mali, sur le pas de porte de son ami Ballaké Sissoko, d’un an son cadet. « C’est tranquille ici, glisse le violoncelliste français. On boit le thé, on reçoit les visiteurs ou on fait de la musique, juste pour le plaisir de jouer ensemble. » Le lendemain, il doit monter sur la scène de l’Institut culturel français avec le maître de kora pour présenter en avant-première leur Musique de nuit : enregistré chez Ballaké Sissoko, ce disque très attendu est le deuxième du duo et le fruit de l’une des plus belles aventures nées des métissages entre l’Afrique et l’Occident.
Elle a commencé il y a dix ans, quand ces deux expérimentateurs se sont rencontrés, lors d’un festival à Amiens. L’éclectique Segal, moitié de Bumcello (avec Cyril Atef), avait déjà largement baroudé musicalement depuis ses débuts à l’Opéra de Lyon, mais « jamais avec un musicien classique africain, fin connaisseur du grand répertoire mandingue ». De son côté, Ballaké Sissoko, héritier d’une prestigieuse lignée de djélis (griots) et ancien de l’Ensemble instrumental national du Mali, pratiquait lui aussi l’ouverture, mais n’avait pas encore frotté l’ancestrale tradition mandingue au lyrisme grave du violoncelle. Depuis ce coup de cœur réciproque, Segal et Sissoko n’ont cessé de se rendre visite, à Bamako ou à Paris. De leur conversation au long cours est née en 2009 leur fameuse Chamber Music, dialogue en fusion introspectif et obsédant : vendu à près de cinquante mille exemplaires dans le monde, ce disque a comblé le jeune label No Format et posé un nouveau jalon dans l’histoire des alliages instrumentaux.
“En tournée, on ne sort jamais, on reste jouer dans la chambre”. « On a beau se connaître par cœur, on continue, chaque fois qu’on joue ensemble, d’expérimenter de nouvelles nuances de jeu », s’émerveillent-ils après plus de deux cents concerts donnés à travers le monde. Au fil de moult collaborations croisées, Bamako est devenu leur point d’ancrage. Ils y ont enregistré Chamber Music, dans l’intimité du studio Moffou de Salif Keita, et le récent Musique de nuit… sous les étoiles. « Ballaké et moi sommes tous les deux assez casaniers, avoue Segal. On mène une vie très tranquille. En tournée, par exemple, on ne sort jamais, on reste jouer dans la chambre. A Bamako, c’est pareil, on ne bouge pas de chez lui. »Devant sa maison, Ballaké est assis à l’endroit même où il s’écorcha les doigts sur les vingt et une cordes de sa harpe mandingue quand il était enfant. Il jouait là non pas avec son père, le koriste Djelimady Sissoko, mais avec les amis de celui-ci. Parmi eux, un certain Sidiki Diabaté, leur voisin, issu de l’une des plus prestigieuses familles de griots malinkés, et père du virtuose Toumani Diabaté.
Dans les années 1970, l’Etat honora Sidiki Diabaté et Djelimady Sissoko en leur allouant un terrain à N’tomikorobougou, « la cité des sportifs » — des footballeurs furent également récompensés. Les fils, Toumani et Ballaké, vivent toujours avec leurs clans respectifs dans les maisons accolées. « Entre les deux albums, constate Segal, il y a eu une guerre, des coups d’Etat, des attentats, mais dans ce quartier, dans cette famille, je suis toujours aussi bien, comme si rien n’avait changé. » Son vieux complice, qui fait vivre une trentaine de proches sous son toit, est plus nuancé :« Les étrangers qui venaient apprendre à jouer ou se faire fabriquer une kora par mon cousin Amadou faisaient aussi vivre les habitants. Maintenant, plus personne ne vient et je dois travailler plus pour subvenir aux besoins de tous », soupire un Sissoko fatigué. Il est loin le temps où les djélis, très respectés, gagnaient confortablement leur vie auprès des puissants. A la différence des griots chanteurs, toujours sollicités lors des mariages, les musiciens traditionnels, eux, ne sont plus très adaptés à la mode électrifiée.
Écartelé entre Paris et Bamako. Pour gagner correctement sa vie, Ballaké Sissoko a fait le choix, astreignant, d’une carrière à l’international. « Ses enfants sont à Paris, mais culturellement, il ne peut pas couper avec son clan à Bamako », compatit Segal, fasciné de voir le Malien, constamment sollicité, jongler entre ses quatre puces téléphoniques. Après minuit, les deux amis ont donc pris l’habitude de monter sur le toit, « pour ne pas être embêtés par les sonneries et les moteurs des motos Jakarta » : ils y jouent parfois jusqu’au petit matin. Musique de nuit est le résultat d’une prise sur le vif réalisée un samedi soir, « la nuit la plus bruyante à Bamako » : on y entend un train, une sirène, un bêlement, comme les clameurs lointaines d’une ville qui ne dort jamais tout à fait.
Seul un titre avec la grande griotte Babani Koné, qu’ils n’ont « pas osé faire grimper sur le toit de la terrasse », a été enregistré au Bogolan, mythique studio qui a incarné les belles heures de la musique malienne. Depuis quelques années, son activité s’est un peu ralentie. La faute aux remous politiques ? « Pas du tout, lâche Sissoko. C’est seulement le nombre des home studios qui a explosé ! » A l’en croire, les musiciens n’ont même jamais été aussi nombreux. Ravi de voir la pratique de son instrument s’ouvrir à des non-griots, il a tenu à clôturer le concert à l’Institut français avec son orchestre de dix koras : « La seule façon pour ces jeunes de connaître le répertoire mandingue, c’est de jouer avec les anciens », rappelle-t-il. Soucieux de transmettre son savoir au Mali, Ballaké Sissoko n’en est pas moins conscient que l’avenir de la kora se jouera aussi en Occident. Y compris à Paris, où son ami Vincent Segal lui cherche un petit pied-à-terre dans le Marais pour qu’ils se voient plus souvent.
Télérama.fr
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